Il nous fallut être prudents ce qui réduisait nos rencontres mais dans un village si petit je crois que plusieurs personnes le devinèrent.
Un soir que je rentrais du champs ma mère, ma sœur , le beau frère Bourru m’attendaient de pieds fermes, ce fut une belle tempête, je n’apportais que soucis, j’étais une honte pour la famille. Ma pauvre Renée était à leurs yeux une dévergondée, une catin , une étrangère et une voleuse de mari.
Je leur fis face et leur dis que si il venait à arriver malheur à ma femme et bien je marierais Renée.
Ma mère faillit se trouver mal, ma sœur me prévint qu’elle ferait organiser un charivari et Bourdin qu’il ne me paierait plus à boire à l’auberge.
Au printemps 1831, le maire Pierre Favraud et son adjoint Etienne Guiomet vinrent me trouver, j’étais à l’étable à curer le fumier.
- Tu as un coup à boire François
- Pour sur monsieur le maire
- Entrez donc à la maison.
- On a une mauvaise nouvelle François
- quoi donc c’est la mère
- Non mon pauvre ta femme elle est passée le 16 du mois d’avril
- quoi donc qu’elle a eu
- Alors là c’est pas précisé mon vieux.
Je bus en silence avec les édiles annonciateurs de cette mauvaise nouvelle.
Marie n’avait que trente ans c’est bien jeune tout de même .
Après avoir annoncé la nouvelle à la famille je me devais d’aller prévenir Renée.
Curieusement elle ne se réjouit pas de l’annonce, maintenant que j’étais libre je n’aurais plus besoin d’elle, de sa présence de son vieux corps.
Je dus la rassurer lui dire que rien ne changerait, je la pris dans mes bras et je me surpris à lui dire des petits mots.
Puis il me fallut aller à Ferrière prévenir le viel Henry, il n’était point mauvais et je crus même apercevoir des larmes venir aux coins de ses yeux.
On but la goutte ensemble et il me raconta Marie, sa Marie, son enfance, puis comment elle était devenue la méchante personne qui l’avait conduite à mourir à trente ans dans une sombre prison de Limoges.
Je ne pus évidemment récupérer le corps de ma femme qui pourrirait seule dans le cimetière de la prison. Le curé ne voulut même pas dire une messe, même en doublant mon offrande.
Les mois passèrent, je voyais plus tranquillement Renée, nous faisions l’amour, on rigolait, on parlait. J’étais maintenant entiché de son corps, elle m’aurait emmené au bout du monde.
Lorsque sa robe tombait au pied du lit c’était comme si elle offrait une offrande à un dieu Grec. Elle qui avait peu d’assurance au début semblait maintenant maitresse de mon corps.
Mais curieusement cette harmonie nous éloignait du besoin de régulariser notre union. Pourquoi se marier alors que chacun y trouvait son compte.
Renée venait librement chez moi et y croisait ma mère, elles se connaissait bien, presque du même âge. Je n’avais pas le recul pour juger du physique de ma mère mais Jean Louis Drappeau un ami me dit à tout prendre c’est plutôt ta mère que ta Renée que je trousserais.
Encore une fois ma mère me paraissait bien vieille alors que Renée ne me faisait pas cet effet.
Un soir devant la soupe ma mère me dit mon fils maintenant il te faut la marier, c’est point moral de lever la jambe à tout va sans régularisation. Je faillis répondre qu’elle pouvait aussi se remarier avec son veuf, mais je m’abstins.
Avant que de cela je devais montrer au village la nature de ma relation avec Renée, alors un jour de marché je la pris par le bras et nous traversâmes le village. La mort traversant le village sur son char avec sa faux n’aurait pas provoqué la même stupeur. La vieille bretonne, cette étrangère au bras du fils Petit, quel outrage, quelle impudence. Chuchotements, rires, insultes, nous avons tout eu.
Mais nous avions fait un grand pas, il fallait maintenant s’occuper des formalités. Elle furent longues car native d’Ile et Vilaine dans la commune de Bourgbarré il fallut au maire une preuve de sa naissance là bas ainsi que sa filiation.
Cela nous prit donc plusieurs mois, mais finalement on s’accommodait de cette situation et je m’inquiétais à l’approche de notre vie commune.
Finalement la date du mariage fut fixée le jeudi 31 janvier 1833, j’étais veuf, elle était vieille cela aurait pu nous valoir un joyeux tintamarre, mais les coutumes s’en allaient peu à peu et les tumultes des charivaris étaient maintenant de lointains souvenirs.
Il nous fallut des témoins, ma future n’avait pas de famille alors on prit l’un et l’autre des amis ; le premier témoin fut Joseph Bourdin un cultivateur avec qui je buvais le coup et qui avait ses parcelles à coté des miennes, ensuite le Louis Brunetot un compagnon de vendange, puis les témoins de Renée, Louis Morin l’instituteur, père du tisserand qu’on appelait Poléon car l’un de ses prénoms donné au fait de la gloire de l’empereur était Napoléon. Puis le dernier Pierre Roumillou, un cultivateur lui aussi.
Ce fut l’adjoint Guiomet qui officia, le maire ma fois on le voyait pas trop, monsieur fréquentait les gens du château de Beauregard et de Ferrières.
J’étais donc uni à Renée et cela me fit bizarre de me lever le premier matin avec une femme à coté de moi, voyez vous je n’avais jusqu’à maintenant connu Renée que pour la bagatelle, maintenant je la voyais en son quotidien.
Peu à peu je découvrais ses défauts et ses imperfections qui jusqu’à là ne m’avaient guère gêné.