
Peu à peu je découvrais ses défauts et ses imperfections qui jusqu’à là ne m’avaient guère gêné.
Tout d’abord un jour que ma mère et ma femme cote à cote se peignaient je m’aperçus que ma femme avait autant de fils blancs que ma mère dans sa chevelure. C’était un détail mais de ce moment je n’eus de cesse de vérifier l’évolution de cette blancheur que par ailleurs je tentais de percevoir dans les douces frisettes du conin de Renée. Puis moi amoureux de sa belle poitrine je m’étais un peu illusionné sur son fier maintien.
Mais ce qui me frappa le plus c’est qu’elle était aussi emmerdante que ma mère dans la gestion de notre intérieur. Je n’en menais pas large devant mes deux harpies, je devais décrotter mes sabots avant d’entrer, chasser les poules au dehors, me laver les mains et aussi changer de chemise une fois par semaine. A table je ne devais pas faire de bruit en lapant ma soupe et je ne devais plus péter, j’étais pas un bourgeois et il fallait tout de même mieux péter en société que de crever tout seul.
Bref vous parlez d’une engeance, j’étais mieux à l’auberge. A la fin de l’année après la fête des morts ma mère tomba malade, elle se mit à avoir des difficultés respiratoires, de la fièvre et aussi des diarrhées. Incapable de se lever ce fut Renée qui l’aida au mieux qu’elle pouvait. Ce n’était guère reluisant, on fit venir le docteur Junin, un ancien de la grande armée, il lui donna quelques médications. Puis ce fut Renée qui s’alita avec les même symptômes, moi je ne pouvais faire garde malade, j’avais mes labours d’hiver à effectuer.
Ce fut compliquer mais il faut relativiser, ma mère se rétablit peu à peu et ma femme ma foi elle décéda. Moribonde qu’elle était, elle couchait dans l’ancien galetas de ma sœur Anne et sans que j’y prête attention un matin je partis au champs. Ma mère elle s’en fut à son premier marché depuis qu’elle s’était remise. Le soir en rentrant on la trouvant raide comme une buche, morte dans ses rejets et sa merde, mon dieu qu’elle fin.
Il nous fallut l’enterrer, j’étais triste mais pas désespéré, n’allez pas croire que je sois dur ou indifférent mais bon la mort faisait partie de notre quotidien malgré le dévouement des docteurs bien moins mauvais qu’autrefois.
On me plaignit un peu mais surtout on se disait qu’à épouser une femme plus vieille les choses devaient finir comme cela.
Il s’avéra que la maline Renée avait un petit bas de laine caché qui me fit le plus grand bien et me permit d’agrandir ma vigne et l’un de mes champs.
Je pourrais désormais me consacrer à mes terres et non plus me louer.
J’étais aussi sur le marché des hommes à marier, un veuf c’est l’idéal surtout quand il a une vigne, un peu de terre quelques animaux et qu’il n’a pas dans les jambes des drôles à nourrir. De plus je n’avais que trente deux ans.
Ma sœur avait maintenant une petite fille mais d’abord ce n’était pas un garçon et de plus il ne portait pas le nom de Petit. C’était à moi de perpétrer la lignée, fini les femmes d’âge mûr. La prochaine devrait être avant tout un ventre.
Mais finalement ce ne fut pas si facile, le temps passa et je me languissais de n’avoir personne dans mes bras chaque soir.
Je compensais par une présence assidue à l’auberge, là bas j’étais bien, après quelques chopines dans les brumes de l’alcool je pouvais refaire le parcours déjà tumultueux de ma vie, j’oubliais les reins vigoureux de ma taularde et les tétons voluptueux de ma vieille.
J’en oubliais même que j’étais un pauvre paysan laborieux, je me voyais parader au château de Beauregard avec ces messieurs de Chassiron, je me voyais à la table du négociant Dubois. J’y étais servi par une domestique sur une table de chêne fleurant bon l’encaustique.
Mais le rêve ne durait pas, moi et les autres poivrots nous étions jetés dehors après avoir vidé nos poches. Le fruit de notre labeur quotidien passant dans les mains potelées du bistrotier et servirait à couvrir de jupons les hanches larges de la patronne.
Je m’enfonçais doucement dans une sorte de vie où plus rien ne m’importait que la quiétude dangereuse de la brume alcoolique. Je rentrais du champs et de mes vignes du treuil que je m’arrêtais invariablement pour trinquer. Outre que ma bourse se vidait bien vite mon travail s’en ressentait bien un peu. Après quelques cuites mémorables et du tintamarre dans les rues du village ma réputation vint à se ternir. Au début on plaignait bien un peu ce jeune veuf puis on vint réprouver cette conduite.
Un jour mon beau frère se fâcha et on se mit une peignée, ma sœur ne supportait plus qu’au marché, à l’église ou au lavoir on ne murmure à son passage.
Ma mère qui venait de perdre son amant reprit possession de notre foyer et me fit une guerre impitoyable. Mais ce qui me fit reprendre un jour conscience de ma descente aux enfers c’est que je perdis par ma faute le fruit de la récolte de mes vignes. Trop saoul pour vendanger, les éléments climatiques m’avaient rappelé à l’ordre. Un orage d’une violence inouïe avait tout détruit, il ne me restait rien et je devrais vivre chichement en attendant la prochaine récolte.
Plus question de boire , l’aubergiste ne faisait pas crédit et les amis se débinaient au cours des mois, seuls restaient les plus mauvais éléments.