Sans que je puisse le retenir il partit chez Daunis l’aubergiste pour se rincer un peu, il annonça la nouvelle à tout le monde. Une révolution n’aurait pas ému plus la population, la Duteau allait se ficeler avec ce vaurien d’Eugène.
Ma famille leva les bras au ciel et ma belle famille me tourna carrément le dos. J’étais seule avec mon amour mais peu m’importait, pourvu que je sois avec lui.
Le mariage fut prévu pour le lundi 8 janvier 1866. Ce ne fut pas facile car le maire ne m’aimait pas. Le père Petit ne m’appréciait guère, car voyez vous j’avais eu un enfant hors mariage, alors monsieur fit des difficultés, il me fallait un acte de naissance et il mit quand même un certain temps à arriver du Limousin.
Pour Auguste aucun problème ne se fit jour et on obtint les papiers de Rochefort assez rapidement.
Moi je désirais me marier à l’église, nous en avions droit, car moi veuve et lui garçon. Il fallut convaincre le curé, monsieur Auguste Eugène nous dit-il, je vous veux en communion. Par amour pour moi il ne vît aucun problème dans tout cela, d’autant qu’il était assidu aux offices. Même si certains disaient qu’il venait à l’église pour lorgner les femmes, il n’empêche qu’il était quand même à la messe tous les dimanches alors que d’autres étaient à l’auberge.
Le pauvre fut quand même un peu embarrassé de me dire qu’il était un peu juste pour régler les frais des noces. Qu’à cela ne tienne je paierais avec mon bas de laine.
A l’aide du tailleur Jean Phillion je me confectionnais une jolie robe, il convenait de ne pas la faire trop voyante, trop agressive, pour les yeux prudes des commères, j’étais déjà vieille.
Lorsque je me mirais la première fois dans cette belle tenue, j’en eus les larmes aux yeux, je me trouvais belle, encore jeune et encore désirable. Elle était rose pâle avec par dessus un châle de dentelle façon La Rochelle. Sur ma tête j’avais décidé de me couvrir d’une belle coiffe, j’en rêvais depuis longtemps. Lorsque je me m’étais mariée la première fois la mode de ces longues coiffes avec un voile qui trainait derrière n’était pas encore de mise.
Pour que mon homme soit beau je lui payais aussi un nouvel habit de noce, il pourrait de toutes les façons le remettre le dimanche et sur son lit de mort si il lui arrivait malheur. Quaquignolle le cordonnier lui remit à neuf ses souliers, il fit un peu la moue car il en voulait des neufs. Je sus être ferme malgré ses tentatives de séduction corruptive.
Le choix des témoins ne porta pas à débat, ce fut deux de ses amis de cartes qui furent choisis, Antoine Hillairaud cultivateur et Joseph Mélé le sabotier. Pour moi ce fut Jean Dufourneau mon beau frère et Felix Bouteau mon neveu par alliance. Au début toute la tribu Duteau s’était liguée contre ma nouvelle union, personne ne voulait venir et encore moins me faire l’honneur d’être mon témoin. Puis il y eut revirement sans d’ailleurs que je sache pourquoi et ils acceptèrent.
Sans doute pour qu’il n’y ait pas concours de foule le maire et le curé nous marièrent fort tard et il faisait grand nuit quand on sortit de la mairie par nous convoyer à l’église. On n’y voyait rien car le vent très fort éteignait nos chandelles. Mais par miracle, les curieux du village nous firent une haie d’honneur en ouvrant leur porte pour nous regarder passer. Nous avancions au milieu, apportant une solennité imprévue.
André Morin le maréchal ferrand pointait son sale nez avec sa grosse femme et ses morveux, le boulanger Jouinot teint blafard et calotte blanche les mains sur les hanches réprobateur et goguenard nous toisait du regard. Cet idiot de Joseph Jolivet bourrelier de son état assit sur une chaise le verre à la main trinqua à Auguste. Bien sur la famille du maire derrière les rideaux nous observait sournoisement. Bref sans que je puisse reconnaître tout le monde, les Gué d’ Allérien nous accompagnèrent comme des méchants et des curieux qu’ils étaient.
A la mairie Auguste eut un moment de faiblesse et lui qui avait une si belle écriture ne parvint pas à signer. Le maire rigolard, nota sur l’acte qu’il ne pouvait signer tant il était ému.
Pour le repas on alla chez Pierre et Marie Texier, je n’aimais pas cette auberge mais ils étaient moins chers que chez Daunis. Les hommes burent beaucoup et furent rapidement saouls, nous les femmes les regardions faire avec attendrissement. Vraiment je fus satisfaite et heureuse du bon déroulement de l’ensemble. J’avais tout payé sauf l’ anneau que mon amoureux m’avait passé au doigt.
J’étais maintenant madame Eugène et nous allâmes nous coucher. Pour la nuit de noces Auguste voulut me faire sa spéciale. Je ne vous dirais rien à ce sujet car je rougis rien que d’évoquer cela.
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