Il faisait un magnifique soleil en ce dimanche 7 janvier 1866, le froid était très vif depuis quelques jours, mais les vifs rayons du soleil qui dardait ses flèches compensaient la faible montée du mercure.
Il pouvait être huit heures du matin quand par le chemin de Surgères à Marans, j’empruntais le pont qui enjambait la Roulière .
J’aimais cet endroit et à chacun de mes passages, je prenais le temps de m’accouder quelques minutes sur le parapet et de regarder les eaux vives.
Le ruisseau plutôt flemmard en été, nous sortait en ces journées hivernales le grand jeu.
Alimenté par le ruisseau de l’Abbaye de Benon et par le Bief qui lui surgissait depuis Plaisance, gonflé par les pluies d’hiver, il roulait un fort courant. Il allait perdre un peu de sa force dans les marais de Rioux avant de se jeter dans le Curé.
Peuplé de chênes têtards, aux formes parfois presque humaines qui lui faisaient une haie d’honneur, il passait là comme inutile, non navigable, non poissonneux tout juste bon à accueillir les ménagères avec leurs battoirs.
Pour être juste avec lui nous y rouissions notre chanvre et ses eaux claires arrosaient nos jardins.
Plus loin sur Rioux, un hameau de la commune ,on y faisait aussi rouler du bois lors des grandes coupes.
Sur le bord à l’emplacement du vieux lavoir, un jeune saule tentait de grandir, trop petit pour apporter encore une ombre lors des grosses chaleurs . On sentait pourtant que sa vigueur lui assurait un avenir prometteur.
Les prés qui couraient le long des berges étaient blancs. La rosée maladroite avait été surprise par le gel du petit matin. Le spectacle était magnifique, le temps comme les plantes étaient figés en une immobilité statuaire, je me sentais heureuse et sereine.
Marie ma sœur accompagnée de ma fille Constance me rejoignirent sur le pont, nous devions nous rendre bien vite à la cure pour y rencontrer monsieur le curé.
J’avais quelques détails de dernières minutes à régler pour mes noces du lendemain.
Du pont à l’église il n’y avait que quelques encablures, on salua une sœur qui balayait devant le couvent et l’on prit sur la place du château.
L’édifice seigneurial n’existait plus mais ses pierres avaient servi à l’édification de la maison bourgeoise d’un négociant. Je me rappelais bien de sa destruction et bon nombre de paysans étaient venus y prendre quelques jolies pierres de taille.
Je connaissais bien les affres de l’organisation d’un mariage car il y a bien longtemps j’avais eu le plaisir de m’unir à un maçon du village et ma fille Constance en était le joli fruit. Le malheur avait frappé chez nous et au bout de trois ans d’union mon mari Pierre Turgnier était mort d’une vilaine maladie.
J’étais donc veuve et cela faisait presque 25 ans. Mais j’étais tombée sous le charme d’un homme et nous avions décidé de nous marier.
A la mort de mon mari je m’étais bien promise de ne pas m’accoquiner, j’avais comme une répugnance à aimer de nouveau. Je ne me voyais pas dans les bras d’un autre que ceux Pierre.
Alors la vie était passée, à la fois monotone et à la fois riche, je considérais ma fille comme le point central de mon existence. Mais si mon cœur restait sec devant la gente masculine il battait pour notre seigneur. Mes temps libres se passaient en prière, dans la petite église du village, agenouillée jusqu’à ne plus sentir mes jambes je chérissais Jésus.
Toute de noir vêtue, je savais que je passais pour une sorte de duègne enchristée dans ma dévotion.
Lorsque je passais devant les hommes rassemblés devant la forge ou devant l’auberge je savais que les commentaires allaient bon train, graveleux, sales, misogynes.
Ces hommes frustes ne supportaient pas qu’une femme encore physiquement acceptable ne serve pas à la satisfaction des sens d’un honnête paysan. Que ce corps inaccessible leur échappe et que mes mains blanches ne rougissent pas à la lessive de leurs chemises sales.
Je connaissais tout le monde, mais hormis mes sœurs Marie et Thérèse et mon frère François je ne fréquentais personne. Me contentant de ce petit monde et de mon Dieu, je voyais bien sur mes pratiques car j’étais couturière.
J’étais originaire d’un petit village du limousin nommé la Croix-sur-Gartempe, mon père maçon était venu avec ma mère s’installer dans la région, mes sœurs étaient nées dans une commune à coté qui se nommait Les Rivières d’ Anais. Mes parents avaient eu la bonne idée de donner le prénom de Marie à trois de leurs filles et d’Anne à deux autres, seul le garçon François et Thérèse la petite dernière avaient échappé à la loi des séries.
Mon père nous avait quittés depuis de nombreuses années, mais maman était quand à elle morte récemment. A force d’épargne et d’opiniâtreté ils avaient cumulé quelques biens dont nous bénéficions maintenant.
Moi mon mari défunt m’avait légué une maison et quelques arpents de vigne que je faisais cultiver.
Je n’étais donc point pauvre et le fruit de mon travail de couturière complétait largement mes revenus.
J’avais eu trois enfants, deux avec mon défunt, Firmin et Constance puis quelques années plus tard je m’étais fait surprendre par un amour de passage et j’avais eu mon François.
Forcément mon fils, le petit bâtard à la grenouille de bénitier recevait quelques avanies tant les gens sont méchants, il était maintenant domestique chez les Néraudeau. J’essayais de le protéger mais parfois la bêtise paysanne conjuguée avait le dessus et je le savais souffrant de cette situation.
Bonjour..quelles belles descriptions de la campagne..j adore deja le debut de votre recit…merci
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