Les deux tourtereaux étaient installés, pour amoureux ils l’étaient, toujours à se tourner autour, à se bécoter, à se tripatouiller que c’en était gênant.
J’avais beau me faire petite, il y avait des limites, le Victor pour excité qu’il était, aurait bien pris la Rosalie sur la table familiale. Quand je les voyais bien énervés je me trouvais quelque chose à faire dehors et j’emmenais les enfants.
Je savais que cela leur passerait mais en attendant je ne pensais qu’à une chose m’en aller et trouver un chez moi. Mais hélas une veuve, journalière de surcroit n’avait d’autres choix que de vivre avec quelqu’un.
Il faut quand même que je vous dise, j’avais un espoir que cela finisse et cet espoir s’appelait Aimable.
En mai 1851 c’était ma troisième fille Augustine domestique à Lescherolles qui convolait en juste noce avec un maçon du village âgé de vingt sept ans.
C’était bien la première fois qu’une Ruffier se mariait sans avoir un enfant, était-elle vierge ma fille, je ne le savais pas. Partie depuis longtemps nous n’avions pas eu de connivence mère fille et elle s’était débrouillée seule pour son éducation de femme.
Bon moi ce que je retenais de la fête c’était une présence, assis un peu à l’écart un homme déjà âgé, les yeux semis clos semblait somnoler. Il était grand et fort, musclé par une vie de labeur. Un embonpoint signalait toutefois qu’il entrait dans la période que l’on appelait vieillesse. Son visage emprunt de majesté était sillonné de profondes ridules, ses cheveux étaient veinés de fils blancs et seules ses rouflaquettes abondantes étaient épargnées par cet assaut de blancheur.
Je ne le connaissais pas et je me renseignais auprès de ma fille, c’était un cousin de l’un des témoins, l’instituteur Louis Flon. Le bonhomme se nommait Aimable Flon. Personne au juste ne savait pourquoi il était là, sûrement un ami du marié.
Intriguée et désolée de voir quelqu’un qui ne s’amusait pas, je tentais une approche et m’asseyais à coté de lui. Il m’en sembla reconnaissant et me sourit. Nous passâmes le reste de la soirée à bavarder de tout et de rien. C’était bizarre mais j’avais le sentiment d’entrer en communion avec cet homme, c’était la première fois que cela m’arrivait. Autant Léon et Pierre s’étaient préoccupés de mon jupon qu’Aimable semblait s’en moquer comme d’une guigne.
Pas un geste déplacé, pas même une invitation à danser, à chaque fois que je m’absentais pour aider ma fille, je le retrouvais à la même place.
Aidée un peu par l’alcool je lui fis clairement des avances, des allusions, des mots, je pris des postures. Rien un âne qui refusait de bouger aurait été plus expressif.
La noce se termina et je rentrais en mon chez moi, triste de n’avoir pu éveiller l’intérêt d’un homme et triste de me voir seule .
Rosalie et Victor se passaient des sacrées engueulades, m’était d’avis que ma fille allait se prendre une trempe avant longtemps. Puis, moi il y avait quelque chose qui m’intriguait, la mort du petit Émile, comme cela, sans avertissement, sans maladie. Cela ne perturbait pas nos amoureux, car tous les soirs nous avions droit au même cérémonial. Dès que nous avions fini nos tâches il fallait nous hâter de nous coucher, je serais bien restée à filer à la lueur finissante des braises.
Augustine fut bientôt enceinte d’Honoré et Rosalie de nouveau grosse des soins de Victor. Au moins je ne manquerais pas de descendants.
Ah, je n’en n’ai pas parlé encore mais le chef de la France était maintenant le neveu du grand Napoléon, pour l’instant il était président de la république mais au foirail on disait qu’il serait bientôt Empereur. Moi je m’en foutais mais c’était bien la peine de voter pour tout casser de nouveau après.
Bien sur les femmes, nous on ne participait pas au vote, nous n’étions bonnes qu’à torcher le cul des marmots, écarter les cuisses, faire des drôles et assurer le travail quotidien. En semi- esclaves que nous étions, ignorantes et dépendantes de nos seigneurs et maitres, nos maris ou nos pères.
Je me rappelle que ce fut de sacrées discutions entre Bonapartistes, Républicains et Royalistes . Hurteau n’y comprenait rien mais faisait comme les autres il hurlait quand on lui demandait d’hurler et d’acquiescer à bon escient.
Rosalie Désirée Ruffier
Après la perte de mon premier fils légitime cela n’allait pas fort avec mon homme, il m’accusait de négligence et me rendait responsable de sa mort. Il me disait même qu’il eut préféré voir mourir mon Alexandre. Je ne pouvais tolérer qu’il me parle ainsi et nous étions en guerre en permanence.
Il n’ y avait que couché qu’il demandait la paix, le cochon était insatiable sur la chose, à croire que je ne lui servais qu’à cela.
Heureusement je tombais enceinte, au moins je serais un peu tranquille et il respecterait mon corps du moins celui de son futur enfant.
La présence de maman devenait insupportable, comme si avoir un témoin de mon malheur l’augmentait, elle était toujours dans nos jambes et même si elle restait muette, sa physionomie imperceptiblement marquait son désaccord.
Un jour Hurteau prit de vin me lança son bol de soupe à la figure sous prétexte qu’il était froid, la dispute s’envenima , les gamins hurlaient et devant tout le monde il me gifla. Ma mère prit parti pour lui en disant simplement que de son temps les femmes faisaient attention à ce qu’elles servaient à leurs hommes.
Je ne savais pas ce qui m’avait marquée le plus, la taloche ou la prise de position de ma mère.
Quoi qu’il en soit, il me fallut mettre au monde ce petit et ma mère me prêta assistance comme à chaque fois, c’était réconfortant, ce fut une fille, je la nommais Rosalie Désirée comme moi, le père faisait grise mine en disant que si il avait le malheur d’avoir une autre fille il se foutrait dans le Morin. Vous parlez d’un idiot, il fit sa brute mais un jour en rentrant du poulailler il l’avait sur ses genoux et lui faisait des risettes. Je ne fis pas de commentaire bien sûr, ne pas vexer le mâle.
Alphonse et Alexandre, quatre et cinq ans s’entendaient admirablement, partageaient leurs jeux et leur lit, c’était quand même de rudes sauvageons et se posera bientôt la question de la mise à l’école ou pas. Moi j’aurai aimé, car la société commençait lentement à se transformer et il ne faudrait pas qu’il passe à coté de quelques choses.
J’avais été élevée sans père et je ne comptais pas les maris de ma mère comme des substituts. Je restais profondément marquée par ma mésaventure avec Léon, se voir violer par le mari de sa mère et se faire virer de la maison comme une voleuse, une catin et une moins que rien cela vous forgeait un caractère des plus aiguisés.
Bref et pour tout dire j’en avais assez de Victor et je rêvais un peu à d’autres paysages. Bien sur je ne pouvais voyager mais en compensation je pouvais trouver un voyageur.
J’essayais de chasser cette vilaine image qu’une mère de famille ne devait pas avoir mais dès que mon corps était au repos mon esprit vagabondait. Je me voyais enlevée par un monsieur en carrosse, emmenée dans une belle demeure. Je me voyais en robe de soie, courtisée, adulée. Je fermais alors les yeux et j’étais prise par un homme propre parfumé et doux.
Je jouissais de ses étreintes, la vie me paraissait douce transparente et merveilleuse à souhaits. En ces moments ma main s’égarait instinctivement et je jouais avec les boucles de ma toison. N’osant commettre ce pêché j’étais torturée et luttais contre le mal. J’en avais même parlé au curé en confession, ce fut difficile, moi qui pensait que la solitude du confessionnal m’aiderait à révéler ces pensée impies. Le prêtre ne sembla pas plus offusqué que cela mais m’ordonna pour mon repentir une série de prières à la vierge Marie, qui elle certainement n’avait pas ce genre d’idée.
Je fus assidue à cet ordonnancement mais cela n’effaça guère mes rêves, d’autres parts, Victor rigolait de me voir à genoux devant mon lit à psalmodier. Lui le lubrique cette position l’excitait et il redoubla d’ouvrage à mon égard.
J’étais jeune et fertile, et nous mîmes en route un autre enfant. Mes rêves insensés de voyage cessèrent et cette grossesse devint un chemin de croix.
Les images sont apparues tout de suite, j’ai adoré cette histoire/témoignage d’un autre temps
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Je vous avoue que j’attends avec impatience, à chaque fois, la suite de vos récits sur Rosalie et sa maman !
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