Marie Anne Ruffier
Ces deux là toujours à copuler, le Victor c’est sûr il va me la tuer à la besogner ainsi. Ce n’est pas un mauvais bougre il ramène sa paye. Il est même gentil avec Alexandre qu’il considère comme son fils. Il a ses travers comme tout le monde, il ne se lave que très peu, pue abondamment et picole de temps en temps. Les hommes sont moins sérieux qu’autrefois et fréquentent le cabaret ou l’auberge, il y en a plein dans les villages, des couples s’installent, deviennent épiciers et gargotiers, ou lui devient marchand de vin et elle cabaretière. Bref souvent cette tentation déséquilibre le budget précaire et famélique des ménages.
Victor lui quand il est saoul est relativement gentil, enfin c’est à dire qu’il ne met pas de dérouillée trop forte à la Rosalie.
D’autres sont de vrais scandales, la maréchaussée et le maire doivent souvent intervenir pour faire cesser des conflits entre les époux.
Mon fils cadet Louis Nicolas celui qui était valet du coté de Saint Brice se faisait de belles virées avec les gars de son âge. L’alcool leur faisait commettre les pires âneries, bagarres, attitudes envers les filles un peu équivoques. Il filait un mauvais coton et j’espérais qu’il se trouve une femme à marier avant de se retrouver derrière les verrous. J’en parlais à mon fils ainé et ce dernier s’en fut le trouver pour le sermonner. Il rentra saoul comme un polonais lui qui ne buvait jamais, vous parlez d’un engeance élever un enfant sans père ce n’est pas facile.
Un jour d’hiver en fin d’année 1853, je fus conviée à une veillée, j’arrivais comme les autres femmes avec ma chaise et mon morceau de chandelle et quelques guenilles à repriser.
Au coin du feu on parla avant l’arrivée des hommes qui se faisaient un peu attendre. Lorsqu’ils arrivèrent j’eus la surprise de voir Aimable Flon mon cavalier presque servant de la noce à ma fille.
Il me salua mais ne fut pas plus bavard que lors de notre première rencontre.La soirée passa et il nous fallut rentrer. J’avais un peu de chemin, il faisait très sombre et je n’avais pas de lanterne. Aimable se proposa de me raccompagner.
Ce fut pour moi un bonheur intense, quelqu’un s’intéressait à moi, j’étais émoustillée comme une pucelle. Bon le bonhomme resta respectueux, au fond de moi j’aurais aimé qu’il me bouscule, m’embrasse, me caresse , me touche . Mais non il me parla de l’empire et de Napoléon III.
Je fis semblant de m’intéresser, mais en arrivant devant chez moi je lui donnais comme écot un fort baiser sur la bouche. Vraiment ce n’était pas un entreprenant.
On se revit et peu à peu il baissa sa garde, de Napoléon les discussions s’orientèrent vers des sujets plus personnels.
Il était veuf et moi veuve nous pouvions nous fréquenter sans attirer les foudres villageoises. Nous étions aussi libres de nos corps, je n’étais pas encore ménopausée mais je n’étais surement plus aussi fertile qu’autrefois alors sans trop nous compromettre nous pouvions faire la chose. Contrairement aux autres hommes il ne semblait guère pressé et c’est moi qui toujours prenait l’initiative d’un rapprochement physique.
Émilie naquit le 24 avril 1854, une belle petite fille, solide et braillarde, Victor fit la gueule car Rosalie n’était pas foutue de lui faire un garçon, comme si cela était de sa faute. Je pris le ménage en main car ma fille fut très faible pendant un moment. Une hémorragie s’était déclarée, la gamine semblant avoir arraché toutes les chairs en son passage à la vie. Je faisais de la charpie avec des vieux vêtements pour juguler les saignements, mais elle s’anémiait de façon fort préoccupante.
On crut même la perdre et l’on fit venir monsieur le curé pour les derniers sacrements. Est-ce la vue de l’homme en noir ou bien simplement l’envie de vivre qui la sortirent de sa torpeur. On ne le sut pas mais peu à peu elle reprit des forces. Le Victor recommença à lui tourner autour comme un rapace autour de sa proie. Il l’aurait son fils quitte à faire crever sa femme.
Ma file épuisée ne put faire ses relevailles, moi j’étais assez contente qu’elle ne se plie pas à ce cérémonial d’un autre âge, laver l’impureté de l’accouchement et puis quoi encore. Moi ce que je trouvais impure c’était plutôt cette semence masculine qui nous engrossait sans que nous ayons notre mot à dire. J’étais iconoclaste pour certaines choses.
J’aidais comme je pouvais mais je n’en étais pas moins rembarrée pour tout et pour rien. Je n’avais qu’un désir partir de cette maison.
A force de bousculer Aimable, il commença à manifester une flamme disons un peu masculine. Puis un jour sans doute pas comme les autres, il m’emmena chez lui à Augers . Je priais intérieurement pour ne pas rencontrer mon fils ou mon frère. Il arriva ce qui devait arriver, malgré notre age nous prîmes du plaisir, cela faisait longtemps que je ne m’étais pas sentie aussi bien. Une quiétude de l’âme, un apaisement du corps et une satisfaction des sens, c’était cela. Lorsque j’ai posé ma tête sur sa poitrine parsemée de poils blancs, je fus comme amoureuse. Au crépuscule de ma vie cette sensation était vraiment bizarre, je ne l’avais guère connue, Portier et Guillemot c’était pas pareil.
Bon nous n’étions pas des jouvenceaux et nous n’allions pas nous cacher pour vivre notre union. Alors on l’annonça à tout le monde.
Ce ne fut pas la réaction escomptée loin de là, mon fils ainé me regarda comme si j’étais tombée enceinte de nouveau, sa femme la pincée Marie Anne, me fit une moue dédaigneuse et me tourna le dos.
Je n’eus pas beaucoup plus de soutien avec mes filles Eugénie et Augustine qui considèrent qu’une femme de mon âge se devait d’être plus respectueuse et ne plus se donner à un homme nouveau. Nom de dieu de quoi je me mêle, comme si une femme de soixante ans ne devait plus avoir de désir.
Mais le pire fut la réaction de celle avec qui je partageais mon quotidien. La Rosalie, on eut dit que je l’amputais d’un bras et la privais d’un héritage futur. Elle, que je m’envoie en l’air avec un homme elle s’en moquait, mais que je la prive du peu d’argent que je gagnais et des quelques meubles que je possédais cela elle ne le supportait pas.
Bon peu importe je supporterai toutes les avanies mais je m’en irai avec Aimable. Mes noces furent prévues le 17 février 1855 et elles auraient lieu non pas à Augers où je demeurais mais à Cerneux où habitait Aimable.
Au fait la Rosalie était encore enceinte quand je vous dis qu’il allait la faire crever.