On le maria au mois de novembre 1842, en petit comité mais dignement, il s’était fait couper un costume par le tailleur du village . Marie Anne, ma bru, dans une belle robe bleue qu’elle avait cousue de ses propres mains était sublime.
Moi aussi je voulais être digne, mais cela passa simplement par le fait que je fis reprendre ma propre robe de mariée. Je n’avais rien d’autre et de plus il fallait que j’ habille mon fils. Malheureusement je n’avais aucun vêtement d’enfant à faire reprendre et il fallut bien que je négocie avec le tailleur. Lui, le profiteur avait bien la solution il me la proposa crûment. Hors de question que je me couche pour une confection d’habit, ce fut le parrain de mon fils qui me tira d’embarras.
Ce vieux monsieur qui alors que j’étais honnie de tout le monde, avait accepté d’être le parrain de mon bâtard alors qu’à l’époque j’étais détestée de tout le monde. Ce bon Edmé Nauduron me fit prêter un pantalon et une veste pour mon fils, je lui en fus reconnaissante et il devint le premier témoin.
Entre gens de peu on s’entend toujours et la fête fut joyeuse, je crois même que j’ai versé une larme.
A voir l’empressement amoureux des mariés je ne tarderai pas à être grand-mère. Le couple s’installa à Sancy les Provins, je pouvais ainsi les voir souvent, nous faisions souvent pot et sel communs.
En juillet 1843 ce furent des danses de joie, en septembre ce furent des larmes. Marie Anne ma belle fille presque 9 mois après sa nuit de noces accoucha d’une petite fille. On ne peut pas dire que cela se passa mal mais le bébé était malingre et n’avait pas une grande chance de survie.
Un beau jour de septembre ma belle fille qui rentrait des champs décrocha le berceau de la poutre principale, Victoire puisque c’était son nom avait été vaincue. On a beau savoir que la vie est précaire il n’empêche que cela fait un peu mal de voir partir des enfants que l’on a portés et qui vous ont tant fait souffrir.
Moi au milieu de tout cela mes amours n’avaient guère avancé, je croisais toujours mon galant qui était, il faut le répéter le père de Rosalie. Il m’ignorait d’ailleurs supérieurement et quand je le voyais s pavaner avec sa mijaurée à la sortie de la messe, plusieurs fois j’ai été tentée de lui dire quelques vérités. Mais cette grande haridelle ne méritait pas que je me crêpe le chignon avec elle, elle ne connaissait pas mon existence et c’était mieux ainsi.
Par contre un matin alors que je la croisais avec sa fille, je faillis lâcher mon panier, je crus voir la frimousse de Rosalie et, quand poliment elles me saluèrent d’un bonjour, je me suis vue revenir dix ans en arrière.
Comme je vous l’ai dit, je pouvais encore plaire, mais les occasions pour une veuve de séduire quelqu’un ,étaient limitées dans nos villages. Nous étions écrasés par le poids des convenances, tout était commenté et l’on était rarement seule. Le moindre événement faisait le tour du village, les grossesses illégitimes étaient connues par tous en même temps que la famille, les décès étaient presque publiques, les naissances voyaient un défilé de voisines. Chaque héritage était pesé en même temps que le notaire le faisait. Nous savions qui fréquentait qui, enfin bref le terrain n’était pas propice aux amours d’un vieille veuve.
Rosalie Désirée Ruffier
Depuis que ce con de Léon avait cassé sa pipe je retrouvais un peu ma mère, non pas qu’elle devint très aimante, elle ne l’avait jamais été, mais je la voyais de nouveau comme avec mes yeux d’enfant.
Faisant la bravache je savais qu’elle avait été très affectée. Je voyais aussi qu’elle se débattait dans des difficultés financières coutumières d’un veuvage sans héritage, alors je lui glissais parfois quelques uns de mes gages.
Nous avions marié le grand frère, lui suivait le schéma classique, enfance avec les parents, domestique dans une ferme puis valet et si tout allait bien grand valet. Économisant ses gages il pouvait prétendre à une installation avec une jeune servante, ou avec une fille de cultivateur, qui voudrait bien donner son héritière à un gars solide et travailleur. Le frère avait fait choix d’une domestique, fille de cultivateur décédé, il y avait mieux comme parti mais elle était belle et ses charmes auraient sûrement fait craquer même un beau monsieur en habits.
Moi en amour j’en étais à me demander si pour la satisfaction de mes sens je ne devais pas accepter de partager la cabane du berger avec d’autres servantes et paysannes. C’était complètement immoral et de plus dangereux. Mais visiblement soit le berger était stérile soit il avait de la chance car aucun ventre ne s’arrondissait dans son entourage.
Je me mis à espacer mes visites, puis à abandonner sa couche éminemment jouissive. Je décidais d’attendre le prétendant et de m’amuser le plus possible lors des fêtes villageoises.
A la fête de la saint Jean de 1843 j’ai cru que l’amour avait enfin frappé à ma porte, toute la soirée j’ai dansé, rigolé dans les bras d’un paysan d’Augers dont le père était propriétaire de ses propres terres. Autant vous dire que toutes les dindes du village paradaient et jouaient du croupion, il n’y en avait que pour lui, rendant fou de jalousie les autres hommes du village.
Cela se termina en bagarre entre les villageois des deux bourgs, les coqs de Sancy contre ceux d’Augers. Cela fut plus grave que les autres fois car apparemment des lames furent sorties. Pour ma part comme j’avais fricoté avec un » étranger » toute la soirée, je faillis me faire écharper par deux filles du village sûrement jalouses. On en restait là, car de toutes façons mon galant d’un soir ne cherchait pas une épouse mais cherchait une femme.
Peut être êtais-je marquée du sceau de l’infamie, aucun homme ne me faisait une cour courtoise et honnête. Heureusement que pour le corps mon berger me prenait parfois, cette espèce de sorcier me subjuguait encore et toujours.