Mais un jour je tombais dans les reîtres du dernier fils de la famille, un bon à rien, violent, vicelard qui passait son temps à vouloir nous surprendre quand il ne le fallait pas. Il avait le don de nous observer et de nous guetter, lorsque nous allions au puits, il s’imaginait de suite une toilette quelconque et irrémédiablement il arrivait. Un jour, alors que j’avais particulièrement transpiré, je me décidais à combattre le fumet douceâtre qui exhalait de mes aisselles. Je tombais entièrement mon corsage et la poitrine à l’air je me lavais. Je ne l’entendis pas arriver et il me ceintura en posant ses mains fermement sur ma poitrine. Énervé il me disait des cochonneries .
Je n’aurais pas pu résister longtemps, quand mon sauveur arriva. Mon doux berger se jeta sur le fils de sa patronne et lui mit une belle volée.
L’affaire ne traîna pas, le berger fit son baluchon et moi je me retrouvais face à ma patronne et ses trois fils. Cela ressemblait à un tribunal, j’étais condamnée d’avance. D’abord j’eus droit à un sermon de Madame, comme quoi je n’avais pas à être seins nus dans ma chambre, qu’une honnête femme ne faisait pas cela et ne se montrait jamais nue.
Ensuite elle me fit un cours en m’expliquant qu’une jeune fille ne devait pas se laver, que la sueur lavait la sueur. Elle m’assenait que seules les femmes de mauvaise vie se nettoyaient et que si je voulais rester à son service je devrais être plus pudique et ne pas exciter les hommes. Donc j’avais compris la leçon, je restais mais je devais jouer la souillon et garder une illusion de propreté en changeant simplement de chemise.
De ce moment, je fus remplie d’inquiétude, je ne savais pas où aller alors je pris le parti de rester mais mon ennemi n’avait pas désarmé et rodait autour de moi comme un rapace surveillant sa proie.
La nuit, c’était à peine si je me mettais en chemise. Alors résolument je pris la décision d’en parler à ma mère. Le fils comme je l’appelais, maintenait sa pression sur moi. Il me salissait aux yeux de toute la maisonnée en racontant que je m’étais donnée à lui comme une prostituée.
Maintenant à chaque fois que je passais devant un homme de la ferme j’avais le droit à des propos salaces et dégoutants, j’en souffrais énormément.
Je dormais mal de peur qu’il ne me surprenne dans mon sommeil . Mais le travail à la ferme était fatiguant et un soir je m’endormis comme une souche. Je ne les ai pas entendus arriver.
Lui et un gars du village étaient bien décidés ce soir là à s’amuser à mes dépens.
Je ne sais pourquoi subitement je me suis réveillée,et comprenant la gravité du péril je me suis mise à hurler . Les valets qui dormaient à proximité se précipitèrent. Honteux, le fils de la maison se replia en marmonnant : « tu ne vas pas t’en tirer comme cela »
Si cet idiot pensait que j’allais me laisser violer deux fois il se trompait, à l’aube du lendemain, à la place d’aller traire je repartais sur Sancy et m’en allais frapper à l’huis de ma mère.
Marie Anne Ruffier
Un matin quand je vis arriver ma fille Rosalie je fus stupéfaite de la voir, elle était un peu défaite et avait pleuré. Elle m’expliqua et cette fois je la crus. Sa sincérité transparaissait dans ses larmes et je sus également avec un peu de retard qu’elle n’avait pas menti dans l’affaire avec le Léon . On invente pas deux fois des histoires comme cela.
Je décidais d’agir, je prévins mon fils et mon frère et en une sorte de conseil de famille, il fut décidé que nous irions en causer à la ferme.
La patronne nous reçut de haut mais devant notre insistance et nos menaces de prévenir la maréchaussée elle tenta d’arrondir les angles. Sans expressément reconnaître les torts de son fils elle nous glissa une bourse substantielle dans les mains. Elle achetait notre silence, ce n’était pas moral, mais dans la situation financière où je me trouvais cette petite manne allait nous permettre de tenir.
Derrière notre dos elle nous ostracisa et la famille eut un peu de mal à trouver des employeurs, il fallut que mon frère qui habitait à Augers intervienne une autre fois en coinçant le fils aîné à la sortie de la messe.
Nous étions donc deux femmes à la maison, ma fille et moi, on devint complices et comme deux amies. Notre but maintenant était de trouver un homme à marier.
Seulement voilà les choses ne se passèrent pas comme espérées du moins pour Rosalie. De la ferme où elle avait été chassée elle croyait revenir seule mais revint grosse. Elle qui espérait une nouvelle vie heureuse et pleine d’avenir se retrouva sans avenir et pleine. Le berger disparut dans les plaines Marnaise, lui avait laissé un joli cadeau.
Le neuf janvier 1845 à la maison, suivant ainsi bien involontairement mon exemple, elle accoucha d’un garçon que l’on nomma naturel sur l’acte de naissance, mais qui comme Louis et Rosalie en leur temps sera nommé le bâtard aux Ruffier.