Comment a t’ il pu me faire cela, je l’aimais tout de même un peu, je m’étais habituée à son humeur de chien, à son ivresse, à ses pets et à ses rots.
J’avais même trouvé une sorte de plaisir quand il me pilonnait dans notre cachette de gros rideaux, c’était mon Léon.
Le jour de l’enterrement j’avais trouvé un drôle de sourire sur le visage de cette garce de Rosalie.
Je me posais toujours la question, l’avait-elle provoqué ou bien ce sale cochon avait-il voulu manger un fruit défendu?
Toujours est-il que maintenant j’étais seule avec deux filles à marier, Eugénie seize ans et Augustine treize ans . J’avais aussi mon petit mâle de huit ans. Je ne comptais évidement plus la Rosalie et mon grand fils qui d’ailleurs était bien engagé auprès d’une fille du village.
L’héritage était maigre, des vieux habits que je bradais à un pauvre vagabond et au chiffonnier et un coffre vermoulu que les Portier se transmettaient de père en fils. Je gardais ses outils, ses sabots et aussi son grand fouet de charretier. Un soir j’eus même la surprise de voir arriver la cabaretière d’Augers, le Léon, il avait laissé une ardoise de pinard des plus carabinée. Il fallut bien que je la paye, en comptant les frais de messe et d’enterrement, la mort du Léon n’était pas une bonne affaire.
Je voyais le moment où il allait falloir que je lève mon jupon pour nourrir les enfants. Heureusement mon frère m’aida un peu et en plaçant l’Augustine je pus surmonter cette mauvaise passe. La réalité économique prenait toujours le pas sur les autres considérations, moi à me retrouver veuve cela m’allait, j’avais quarante cinq ans et les hommes j’en avais un peu soupé. Mais voilà je ne gagnais pas lourd et voulant un peu secouer ma vie j’aurais aimé une amélioration de mon quotidien.
Avoir à mon âge des robes sans cesse rapiécées, des jupons miteux, des corsages usés et un manteau que même un mendiant n’aurait point voulu me faisait mal. Non pas que je voulais péter plus haut que mon cul mais malgré mon misérabilisme j’avais un peu de fierté.
Mon fils aîné vint un soir m’annoncer qu’il voulait se marier, il avait trouvé chaussure à son pied, il n’était plus mineur et n’avait pas besoin de mon autorisation, mais le poids des convenances fit qu’il respecta la tradition. Moi je le voyais avec plaisir prendre femme, elle s’appelait Marie Anne Pinard, un peu plus jeune que lui, elle était domestique à Courchamps . Encore un foyer de sans le sous me direz-vous, mais le choix était somme toute assez restreint. On se mariait entre nous la hiérarchie était rarement transgressée.
Le mariage fut donc prévu pour la fin de l’année 1842, beaucoup de préparatifs, j’aidais comme je pouvais.
C’est aussi à cette époque que j’ai revu mon amour de carnaval, il n’avait point changé et j’eus un petit grésillement dans le ventre et une rougeur aux joues, je lui ai souri et lui ne m’a même pas regardée. Bêtement j’ai pensé qu’il ne m’avait pas vue alors je l’ai hélé. Je me suis rendu compte tout de suite que l’idée n ‘était pas très bonne car aussitôt arrêté il fut rejoint par une femme qui vraisemblablement était sienne. On se bredouilla quelques mots mais il était évident que je ne finirais pas dans un taillis avec lui. C’était bien dommage car un homme au physique me manquait un peu.
C’était bizarre mais j’avais la sensation que cette rencontre me mettait de nouveau sur le marché.
Moi l’avantage, c’est que je n’étais plus encombrée d’une nombreuse marmaille, Louis avait neuf ans et n’était plus guère encombrant.
Je pris donc le ferme résolution de me trouver un homme, je fis à ce moment un retour sur moi-même. Quels étaient mes charmes et mes atouts pour séduire?
Pour être franche je n’étais plus de la première fraîcheur, j’avais eu sept enfants et cela m’avait laissé des traces.
Mon visage avait des petites ridules, pas profondes mais nombreuses, nous passions notre temps dehors et le soleil des moissons couplé au froid des labours nous abîmaient sûrement.
Mes cheveux noirs n’avaient pas de fils blancs, j’en étais fière mais bon on attrape pas un mâle avec des cheveux.
Ce qui ne m’embellissait guère c’était ces foutues dents, il m’en manquait plusieurs et certaines qui me restaient, n’étaient plus que des infâmes chicots. Je ne pouvais donc pas trop sourire.
En descendant un peu je pouvais me targuer d’avoir de la poitrine, bon après ces nombreux allaitements, cela tombait un peu mais à mon souvenir le Léon aimait bien s’y plonger.
Mon ventre était celui d’une femme dodue et avait le mérite de ne pas faire de vilains plis, mes hanches étaient fortes et mon fessier saillant, là aussi je crois que je pouvais compter dessus pour séduire.
Je ne voulais pas forcement un mari, non pas, mais un homme qui soit libre. Je ne voulais pas d’un jeune puceau, valet de basse condition qui cherchait à se déniaiser, ni d’un mari volage qui m’aurait prise en cachette comme une pute qu’on ne paye pas. Non, un veuf que j’aurais vu de temps en temps, un vieux célibataire, un homme de passage, un soldat pourquoi pas.
Restait le problème des maternités je n’en n’avais pas fini avec cela et j’aurais été la risée de toute la région si je m’étais retrouvée encore une fois avec un marmot sans père.
Donc j’étais prête, mais avant, passons au mariage de mon garçon.