DESTIN DE FEMME, Épisode 17, la mort de l’ancêtre

N’allez pas croire que je fus une méchante mère mais voir mon mari dans cette position m’a fait sortir de mes gonds.

Je ne regrette pas pour autant la dérouille que je lui ai mise, mais le Léon ne devait pas avoir le cul très propre dans l’affaire. Elle m’avait prévenue et je n’ai rien voulu voir.

Finalement c’est une bonne chose qu’elle soit partie, cela la protégera du Léon, mais bon je n’étais pas très rassurée pour autant je savais ce qui se passait dans les fermes. Les grands valets, le patron, les jeunes domestiques puceaux qui voulaient tâter de la femme avant le mariage, enfin plein de danger pour une jeune fille.

Il n’empêche que le doute était en moi et je me promettais de surveiller Eugénie comme le lait sur le feu.

Pour me rassurer je me disais qu’ après tout Rosalie n’était pas sa fille et que son attirance pour sa belle-fille pourrait peut-être avoir un caractère de normalité.

Le temps passa et l’on n’en parla plus, moi j’avais retrouvé le sourire car aucune maternité ne pointait, le Louis avait survécu à tout et ne semblait pas avoir souffert d’un sevrage rapide. Je n’avais plus de lait malgré mes gros seins, c’était paradoxal, Léon lui s’en délectait, à la vue , au toucher enfin à toutes les sauces.

Nous avions des nouvelles de Rosalie et de Louis ( l’aîné ) mais ils venaient rarement à la maison. Leur foyer était ailleurs, ils ne me manquaient pas et visiblement eux non plus ne ressentaient un quelconque besoin de nous voir. Mais bon il fallait composer, lorsque les patrons de Rosalie nous la renvoyaient pour Noël nous étions bien obligés de la reprendre. La bougresse nous faisait la tête et nous pourrissait nos fêtes.

Mon plus grand lui allait et venait comme bon lui semblait, presque 20 ans maintenant, il percevait des gages et les économisait pour fonder un ménage. Je crois qu’il s’était rapproché de Rosalie, eux qui n’avaient jamais vraiment fraternisé. L’éloignement ou le fait de porter le même nom je ne sais pas.

Papa n’était plus bon à grand chose, il n’était plus guère embauché ,il ne pouvait réaliser des gros travaux, il se traînait , il faisait peine à voir.

Il n’était pourtant pas cacochyme, même pas soixante dix ans, mais les champs, la vie au grand air l’avait usé prématurément.

Il passait son temps au cœur de la cheminée, toujours refroidi, les mains de glace. Les yeux dans le vague il revivait son passé, il n’était jamais sorti de son village et sa plus grande gloire était d’avoir vu passer le carrosse du roi décapité il y a fort longtemps de cela. Il était resté en dehors de toutes mouvances et pendant les heures sombres de la révolution il avait baissé la tête devant les coqs de village jacobin. Son regret était de n’avoir pas eu beaucoup d’enfants, car lui fier gars avait épousé une vieille qu’il avait séduite, or la nature c’est la nature, quand votre femme commence les maternités à trente sept ans elle en a moins que si elle commence à dix huit.

Bon le vieux rendait encore des services et gardait les enfants, mais le seul problème était qu’il se tenait encore bien à table et que pour un homme sans activité il se bâfrait d’abondance.

Nous n’étions point pingres mais on trouvait qu’il n’était pas normal que Léon et moi nourrissions seuls le vieux. Alors un dimanche après la messe on fit le déplacement à Augers pour en discuter avec mon frère. On fut bien reçus, un lapin en gibelotte et des pommes de terres sous la cendre nous régalèrent, il n’y a pas à dire la Sophie savait cuisiner. Puis après la goutte il fallut bien aborder le sujet. Ce fut une belle empoignade, une superbe joute, un duel sans merci, un combat féroce, plus d’une fois le Louis fut à deux doigts d’accepter, mais à chaque fois la grande Sophie intervenait et il changeait d’avis. J’avais envie de l’étriper, l’éviscérer, la déboyauter, cela ne la regardait pas cette pièce rapportée. Au bout d’un long moment Louis déclara en guise de conclusion un  » je verrai  ».

Cela valait-il acceptation de nous donner un peu d’argent pour l’entretien du père, Léon y croyait , moi j’étais dubitative car je connaissais mieux mon frère que lui.

Mon mari fut dur avec mon père , il s’en prenait à lui irrespectueusement et pourtant au temps de la splendeur de mon père que de fois ils prirent la route ensemble pour aller à l’auberge. Que de fois se tenant pour ne pas tomber les deux lascars rentrèrent complètement saouls.

Il est vrai que depuis l’affaire avec Rosalie ils ne s’entendaient plus si bien. Mon père qui avait l’œil à tout avait lâché au cours d’un souper  » tu crois donc que je te voyais pas la zyeuter la Rosalie, m’étonnerait pas que t’ais fait le coup « . Léon en bon coq montait sur ses ergots et l’ancien chef de la basse cour, vieux volatile abaissé ne caquetait plus que dans sa moustache au coin de la cheminée de peur de se voir privé de soupe.

Eugénie la petite avait de l’affection pour l’ancêtre et le cajolait un peu. J’appris plus tard que Rosalie venait en cachette donner quelques douceurs à son grand père.

A la fin de l’automne 1835, on le coucha une dernière fois et on espérait tous qu’il passerait rapidement sans souffrir.

Mon Dieu que ce fut long, cette vieille bête blessée agonisa trois mois. Pour un peu il aurait fallu une veille constante, je n’avais pas que cela à faire. D’autant que s’occuper d’un vieux c’est pas ragoutant, il faisait sous lui et le soir en rentrant avec Eugénie on devait  le laver, c’est pas une vie ça, ni pour lui ni pour nous. Pourquoi donc qu’il met si longtemps à partir?

Dès fois j’ai l’impression qu’il nous implore de hâter sa fin, j’y ai bien pensé mais voyez-vous cela dépasse mon courage et mes convictions religieuses ne me le permettraient pas .

Louis et Sophie venaient maintenant nous aider sauf que cette dernière qui estimait ne pas être totalement de la famille ne s’estimait pas tenue d’effectuer les soins repoussants. Par décence envers son beau père, si c’était pour lui chanter des comptine autant qu’elle reste chez elle. J’ai même fait appel à Rosalie qui ma foi s’est occupée de son grand père avec amour et abnégation.

Il fallut bien une fin et papa mourut le douze février 1836 à cinq heures de relevée. Nous pensions qu’il allait passer plus tôt et mon frère avec sa femme, sa fille Sophie et ses deux garçons nous encombraient la pièce. Le père mourut donc avec du monde autour, je ne sais pas s’ il percevait quelque chose.

Mon frère et Léon allèrent déclarer le décès et monsieur le maire vint dans la soirée le constater.

Pendant ce temps nous les femmes on fit la toilette mortuaire, ce n’était pas marrant mais bon c’est la tradition et nous devions la respecter.

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