DESTIN DE FEMME, Épisode 15, la mort de la vieille et de bébé Rosalie

 

Rosalie Désirée Ruffier

Au cours de l’année 1832 on s’en alla à Maisoncelles, un petit village assez proche, mon beau père avait eu une belle opportunité de travail  et il avait trouvé une maison plus grande. Nous avions donc déménagé et mes grands parents avaient également suivi. Le malheur voulut que l’arrangement comporte l’installation des aïeuls avec nous. Il y avait des avantages et des inconvénients. Le mieux était que grand mère allait garder mes sœurs, ce qui me soulagerait sûrement et que, de plus en ancienne, elle connaissait l’accommodement des aliments et cuisinait mieux que maman.

Cette dernière, de se retrouver sous la coupe de son mari et de son père ainsi qu’avec la vieille dans les jambes, la déprimait totalement.

Heureusement si on peut dire, la vieille cassa sa pipe, le pépé retrouva son épouse froide comme une bûche un matin en se levant.

Commença une rude corvée, ma mère pour m’apprendre la vie me fit l’assister dans la toilette mortuaire de ma défunte grand-mère.

La vache était bien grasse encore et on eut toutes les peines du monde à la manœuvrer. C’était terrible mais je n’avais aucun sentiment pour elle,  j’aurais plumé une volaille que cela ne m’aurait pas plus émue. Le baptême avec l’eau nous faisait entrer dans la communauté chrétienne, l’eau de la toilette funéraire purifiait. Maman toujours gentille fit remarquer que la toilette n’avait pas été  le fort de sa mère.

Puis on la veilla, je dus le faire aussi. J’étais terrifiée, à la lueur de la lampe à l’huile je la voyais danser et son ombre démesurément s’étendait sur le mur. Alors que j’étais avec ma tante, Léon vint éteindre la lampe en nous disant  » les chat ne pissent pas d’huile  » quel pingre vraiment.

Nous étions maintenant plongés dans une obscurité presque totale, seul le feu rougeoyant éclairait le pauvre gisant. De temps en temps nous sursautions, ma tante me prenait la main et me disait  » elle se vide  ». Cette garde me traumatisa et lorsque mère m’en releva je ne pus trouver le sommeil.

Cela nous coûta des sous, le curé n’était pas gratuit, pas plus que les planches du cercueil et que le fossoyeur, mon grand père qui ne travaillait plus guère n’avait plus les moyens et c’est Léon qui paya. Entourée de son cher linceul choyé dans son armoire comme la sainte tunique, elle fut encaquée dans sa boite puis jetée en sa fosse éternelle.

Paix à son âme.

Le grand père qui lui aussi faiblissait ne fut plus que l’ombre de lui même après le départ de sa duègne.

A peine deux mois plus tard, un autre drame nous toucha, maman s’était réveillée tôt ce matin là pour partir au marché vendre un panier d’œufs. Moi je devais assumer le foyer et avant de partir elle me secoua pour me faire lever afin que Léon puisse avoir sa soupe chaude avant de partir aux champs. Je devais raviver les braises sous le potager puis m’occuper de Rosalie, d’Augustine et d’Eugénie.

J’avais à peine un pied sur le sol que ma mère hurla, un cri de terreur venu du tréfonds de son être, elle avait Rosalie dans ses bras et échevelée courait comme une folle dans la maison. Serrant le petit être comme un bien précieux, l’étouffant presque, des flots de larmes coulaient le long de ses joues blafardes. Au cri presque bestial du départ avaient succédé les plaintes d’un petit animal.

Léon se leva et tous deux nous nous aperçûmes de la triste réalité, Rosalie les yeux clos, la bouche pincée, bleuie, déjà roide. Morte dans son sommeil, sans un cri, sans un bruit, partie au ciel rejoindre les anges.

Alors que Maman croyait devenir folle, moi j’étais partagée entre peine chrétienne et satisfaction car j’aurais du travail en moins. Léon lui ne pleurait pas les filles et ne changea pas ses mauvaises habitudes.

Nous étions au fait du cérémonial et on enterra la petite sobrement, subrepticement, après tout ce n’était qu’un bébé.

La veillée se passa mieux que pour ma grand mère et tranquillement je m’endormis sur ma chaise.

Maman était encore enceinte, visiblement cela ne lui faisait guère plaisir et je l’ai entendu parler à la voisine, elle voulait le faire passer, bizarre comme expression.

Léon n’était guère aimable avec elle et ils s’engueulaient ferme, tout était prétexte, le repas, le ménage. Un soir ce fut l’orage, mon beau père était passé  à travers son vieux pantalon pourtant ravaudé par maman les jours précédents. Il y a un moment ou il faut que ces vieilles frusques terminent leur vie en chiffons. Il hurla qu’il avait eu la honte de sa vie que sa patronne avait vu son cul et que jamais il ne s’en remettrait. Maman lui fit remarquer que si il ne buvait pas tant il pourrait aisément s’en payer un neuf. Une gifle à décorner un bœuf fut la sanction de cette téméraire réplique.

Autre sujet de dispute, chaque soir mû par une envie de bête il voulait comme le minotaure son dû.

Maman avec son gros ventre ne le voulait pas et surtout ne le pouvait pas. Bref l’ambiance n’était pas bonne. Moi je me promettais avec ma pensée de petite fille que jamais au grand jamais je ne laisserais un homme porter la main sur moi. Pourtant je pense que Léon n’était pas le pire de ses congénères, une femme du village avait été tellement battue qu’elle en était morte et bien le veuf avait de nouveau convolé avec une jeunette à qui il mettait aussi des plumées.

Mon grand père n’était pas comme cela et mon oncle oncle encore moins comme quoi il existait des hommes bons et qui respectaient leur femme.

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