C’est aussi en ces années que je me rapprochais de ma voisine Hermance, je ne voyais plus en elle une ennemie, car visiblement les roucoulades de mon mari l’avait laissée de marbre. Nous nous rendions des coups de mains mutuels, couturière elle me reprenais les vêtements des enfants pour qu’ils passent de l’un à l’autre, elle s’occupait aussi de mes robes car voyez vous j’avais une tendance à m’évaser. Moi je lui apportais un peu de légumes du jardin, des œufs, parfois une volaille et je lui lavais aussi son linge.
Elle me parlait de choses de femmes et ce qui se faisait, à Paris, les corsets, l’invention d’une sorte de brassière pour tenir les seins, des culottes pour mettre en dessous des robes. Elle me subjuguait mais pour ma part ce genre de frivolité me serait toujours inaccessible. Moi je trouvais cela commode de ne rien mettre sous la robe, je pouvais pisser debout par contre pour tenir les seins qui évidemment nous tombaient sur le ventre je ne dis pas.
Elle me racontait aussi ses histoires d’amour et pour l’heure elle avait un amant de presque vingt ans son age. Il était fougueux ne lui demandait rien, ce n’est que du bonheur me dit elle. Jamais elle ne voulut me dire qui il était, j’avais beau fouiller dans ma mémoire, la surveiller de loin et parfois de près car rappelez vous nous avions des cabinets communs, rien mais alors rien.
Pour ma part je ne lui révélais pas toute mes aventures et certainement pas mes émois avec une autre femme.
Mon fils Charles était maintenant en age de faire le service, il fut sauvé car son frère Victor était toujours en Cochinchine. Exempté, mais il devrait faire quelques périodes au 5ème commis comme son frère aîné.
Puisqu’il faut parler un peu de la famille l’année 1888 fut riche en événements tragiques.
Le vendredi 20 janvier j’étais à la maison à faire mon rangement quand apparut sur le seuil le grand couillon d’Alfred mon neveu, je ne l’avais plus vu depuis un moment et je le trouvais bien changé. Il me dit »ma tante le père il vient de passer ». Je fus stupéfaite et je l’interrogeais pour savoir ce qui c’était passé car après tout Prosper n’avait que soixante deux ans. Il m’expliqua que selon le médecin son cœur avait cessé brutalement de battre, vous parlez d’une explication évidemment que le cœur s’est arrêté. Bon il n’empêche que le Prosper je l’aimais bien et qu’il fallait que je prévienne son frère. Heureusement il n’était pas loin car il faisait une coupe de bois sur un terrain de la ferme des Vignier. Cela lui mit un coup et pour la première fois je vis des larmes dans les yeux de mon bonhomme. On se rendit à Vaux et on assista Élisabeth, toilette mortuaire, veillée funèbre.
Louis le fils de Prosper fut très efficace et prévint les autres membres de la fratrie.
Pour l’enterrement je revis Jean Louis, Ferdinand, Germain et Almédorine, le Prosper fut enterré dignement entouré de ses enfants et de ses frères et sœurs, tous se firent le serment de se revoir comme à chaque fois pour les enterrements. Mais chacun avait sa vie et on retourna à notre labeur.
Charles avait le cœur gros d’une telle perte c’était le frère qui était le plus proche de lui. Puis il faut bien se l’avouer la perte d’un proche vous rapproche de votre propre mort.
En mai, Élisabeth arriva en pleurant chez nous, toute de noir vêtue, vieillie, elle si belle faisait peine à voir. Son Alfred venait d’être emprisonné après avoir montré son sexe à une jeune fille. Ce gamin il faut en convenir n’était pas très futé, âgé de vingt ans à l’état civil il agissait comme un écolier de douze ans. Faire montre d’impudicité n’était pas bien vu et cet égarement le marqua du sceau de l’infamie. Il était prévu qu’il passe en jugement en septembre en attendant il était libre.
Élisabeth était désespérée, elle ne vivait plus, la mort de son mari l’avait déjà amoindrie et maintenant la honte accablait ses épaules. Elle vivait recluse pensant que tous allaient la juger. Elle avait engendré un idiot et un pervers, pour une mère cela faisait beaucoup. Mais que faire justement du fautif, il fut éloigné chez l’un de ses oncles en attente de sa comparution.
La pauvre qui ne luttait plus, pour rien, tomba malade, au début simple faiblesse, elle se coucha rapidement, fièvre, toux, délire. Je la veillais jour et nuit, relayée par ses filles, Juliette, Louise, Eugénie et par Zélina sa belle fille. Elle ne fut jamais seule, ce fut long et pénible, le temps à l’extérieur était exécrable et la faible luminosité de la chambre ajoutait à la morbidité de l’attente. Maigre, parcheminée, blanche comme un linceul, seuls ses yeux maintenant bougeaient. Lorsqu’ils parvenaient à fixer votre regard vous aviez l’impression que son âme pénétrait en vous. Vous en étiez mis à nu et ne faisiez plus qu’un avec elle. Jamais je n’oublierais ces tristes instants. Elle mourut ma bonne Élisabeth en me tenant la main, avait elle encore la perception que c’était moi , sa Victorine, celle qui n’avait pas de secret pour elle, celle qui partageait les siens.
J’avais perdu une amie, une sœur, heureusement ma voisine Hermance prenait sur moi un ascendant constant, et deviendrait je pense ,ce que Élisabeth avait été pour moi.
L’enterrement fut lugubre, la pluie nous accompagna, les sols étaient détrempés et il me sembla lorsque que les employés du cimetière descendirent le cercueil que nous le plongions dans une eau fangeuse. Quelques pelletées de terre, adieu ma Belle. Son fantôme longtemps me hanta et je me jurais de ne plus m’aventurer au hameau de Vaux.
En septembre Alfred écopa d’un mois, il les fit mais ne ressortit pas car une autre affaire lui fut imputée. Il n’avait rien eu de mieux à faire qu’a brûler une meule de foin, cet incendie lui valut la cour d’assise et surtout de prendre trois ans. Son idiotie lui permit d’échapper à une peine plus importante, heureusement que sa mère était morte.
En rêve je voyais son corps décharné, gratter désespérément le couvercle de son ultime résidence pour aller frapper ce méchant rejeton qui jetait une ombre sur la réputation sans tache de la lignée de Prosper. Une nuit dans mon sommeil ses griffures me réveillèrent et j’ hurlais ma peur, Charles gueula que ce n’était que des souris.