1914, la Cossonnière , commune de La Chapelle Achard
Ernestine Guerin épouse de Jean Marie Proust
Jean Marie avait eu beau m’expliquer je ne voyais pas comment un conflit entre les Serbes et les Autrichiens pouvait déclencher une guerre entre nous et les Allemands.
Déjà la Serbie je ne savais pas où cela se trouvait et encore moins Sarajevo où avait eu lieu d’un attentat contre le neveu de l’empereur d’Autriche. François Joseph qu’il s’appelait je l’avais vu en photo sur des journaux, des espèces de favoris et une casquette assez ridicule.
Enfin bref un serbe tue un autrichien, l’Autriche déclare la guerre à la Serbie, la Russie soutient la Serbie, l’Allemagne soutient l’Autriche. L’Allemagne déclare la guerre à la Russie. Mais la Russie est l’alliée de La France, alors l’Allemagne déclare la guerre à la France. L’Allemagne envahie le Luxembourg et la Belgique pour attaquer la France alors le Royaume Unis déclare la guerre à l’Allemagne. Comment voulez vous que je comprenne.
Chez les hommes les discutions allaient bon train et personne ne s’inquiétait vraiment, on verrait bien et nous étions en pleine moisson alors vous vous imaginez que la menace Allemande nous paraissait bien lointaine. Jean Marie avait quand même un mauvais pressentiment et lui qui suivait avec avidité les nouvelles dans les journaux s’inquiétait de ces Allemand belliqueux avec ce Kaiser Guillaume et son fils le Kronprinz.
Certains chez nous se voyaient bien foutre une raclée aux teutons et reprendrent les provinces perdues, l’Alsace et la Lorraine que ces salauds nous avaient volées en 1870. Moi ce que je voyais c’est que mon Jean Marie était encore mobilisable et que je ne le voyais pas aller faire le mariole pour reprendre des terres où paraît il tous les habitants parlaient Allemand.
Nous avions trois petits à élever et une exploitation à faire tourner alors les Allemands je m’en moquais.
Il était environ 17 heures alors que nous étions sur un de nos champs, nous entendîmes le tocsin sonner au village. Chacun leva la tête sans un mot, nous avions compris. Abandonnant notre ouvrage nous nous précipitâmes au village où nous trouvâmes collé sur le mur de la mairie une affiche annonçant la mobilisation générale pour le deux août . Nous étions muets d’effroi, nos hommes allaient partir et nous laisser seules. A ce moment nous ne réalisions pas trop de la gravité de la chose, le départ nous ennuyait mais nous ne pensions nullement que certains n’allaient pas revenir.
Un bravache se mit à dire des conneries, » les boches on va leur foutre la raclée, en un mois c’est fini et nous sommes à Berlin ». Un autre reprit » oui on va se venger et récupérer l’Alsace ».
Puis un patriote zélé tenta la Marseillaise, mais peu avait le cœur à chanter. On resta longtemps sur la place à discuter, abasourdis par la nouvelle.
Puis nous rentrâmes tristement à la Cossonnière, Jean Marie devrait comme les autres partir dès le lendemain comme l’indiquait son livret de mobilisation. De la classe 1904 il était réserviste et comme plus de deux millions d’hommes il dut aller rejoindre ceux qui était déjà avec l’active sous les drapeaux.
Mon mari qui avait été hussard devait rejoindre le 11ème escadron du train des équipages à Nantes.
Moi cela me convenait, il allait s’occuper du transport et des chevaux il ne serait donc pas en danger.
Je lui préparais son sac, il était préconisé de prendre deux chemises, un caleçon, deux mouchoir et une bonne paire de souliers. Les cheveux devait être coupés et les hommes devaient emporter à manger pour une journée.
A partir du lendemain tous les trains étaient réquisitionnés pour le transport qui évidemment était gratuit.
La soirée après que nous ayons épuisé tous les sujets relatif à la mobilisation, la guerre et l’Allemagne fut assez morne.
Les parents allèrent se coucher de bonne heure et les petits se laissèrent coucher sans maugréer. Avec Jean Marie nous fîmes l’amour, plus par le fait que nous savions que nous ne le ferions plus avant un moment que par réelle envie. Comme un devoir entre époux, mais si le physique répondait quand même présent, notre esprit était ailleurs.
Le lendemain, sur tous les chemins des hommes avec leur baluchon se rendaient à la gare prendre le train qui les mènerait à la Roche sur Yon puis vers leur corps d’affectation. Nous la famille on les a accompagnés, les hommes commençaient à être un peu plus joyeux que la veille, ils se résignaient au sacrifice, c’était un devoir non pas une envie d’en découdre à tout prix.
Puis il y eut quelques chants. Lorsque les hommes montèrent dans les wagons, la marseillaise, Sambre et Meuse, des femmes s’accrochaient en pleurant au cou de leur compagnon, les enfants hurlaient. Moi je me suspendis à mon Jean Marie et comme les autres des larmes me vinrent. Il tenta de me réconforter en me disant que normalement dans un mois il serait de retour que les Allemands ne tiendraient jamais. La petite Ernestine âgée de trois ans embrassa son père comme du bon pain sans comprendre bien sur où il allait, j’avais laissé Adrien et Clément à ma mère. Ma sœur Marie était aussi sur le quai car elle accompagnait l’Auguste Raffin son tout jeune époux. Au retour elle m’avoua qu’elle était probablement enceinte mais qu’elle n’avait pas eu le cœur à le lui dire. Je ne sais pas si elle a bien fait, cela lui aurait peu être donné de la force pour partir et puis on ne savait jamais ce qui pouvait arriver.
Le train démarra sous les vivats, les cris , les pleurs et les chants.
Puis vint la question lancinante que personne n’osait poser, comment allions nous faire, plus d’homme, rien que des vieux et des gamins et bien sur nous les femmes. Ma mère me disait t’inquiète ils seront de retour avant les labours et puis il y a Alexandre qui pour l’instant est exempté. Il n’empêche que en plus de nos taches usuelles nous allions être obligé de nous taper le travail des bonhommes. Les vieux devraient dans la mesure du possible reprendre leurs activités d’autrefois et les enfants prendront en charge une partie substantielle du labeur et tant-pis pour l’école.
Nous n’eûmes pas de nouvelles des nôtres tout de suite mais par les journaux nous apprîmes que les choses ne se passaient pas exactement comme prévues et que nos armées avaient été contraintes d’effectuer un repli stratégique sur la Marne.
Au village monsieur le maire avait commencé sa lugubre mission qui consistait à prévenir les famille de la mort de leur proche. La grande faucheuse rodait en nos campagnes et l’automne qui approchait nous assurait de soirées bien lugubres.