Juin 1905, commune d’Aubigny
François Ferré veuf de Rose Caillaud et mari de Etiennette Blanche.
J’avais décidé et c’était irrémédiable que ce déménagement serait le dernier, les hasards de la vie m’avaient fait vagabonder sur les routes de ce pays qui m était cher. J’en connaissais le moindre chemin, le plus petit bosquet, le nom des hameaux où j’avais vécu, dansait devant mes yeux . Vignolière, Lardière, Eraudière, la Foretrie, Guy Chatenay, la Jannière, le Corbeau, la Primaidière, la Gatière et Puy Gaudin. Les bourgs de Nieul le Dolent, Saint Avaugourd , Poiroux, Grosbreuil, Girouard, Aubingy n’avaient aucun secret pour moi. Je m’étais échiné dans grand nombre de fermes et de métairies et tous connaissaient François Ferré.
J’avoue que la dive bouteille me joua quelques tours et que les deux femmes de ma vie eurent à en souffrir, je ne fus pas non plus un père très aimant mais les nécessités économiques me fit épouser le schéma classique du placement des enfants comme domestique de ferme.
Si j’avais été plus sage, aurais je eu le loisir de tenir en propre une métairie, je n’en suis pas sur alors ne regrettons rien, les beaux parents de ma fille Clementine ont poursuivi ce mirage toute leur vie et sont redevenus eux aussi de simples journaliers
Je suis donc allongé sur mon grabat, mon dernier lit de souffrance, le village d’Aubigny m’offre la terre de son champ de repos. J’aurai espéré mourir à la Vignolière où j’étais né, vain espoir irréalisable.
Etiennette est à coté de moi, elle me prend la main et me fait la causette, je sais que tout à l’heure elle partira se casser le dos à la rivière pour gagner le pain que je ne suis plus capable de ramener. Si je dois être un poids mort, une charge, autant crever. Mon fils Aimé, habite au Landréau dans la commune, il est passé me voir c’est mon fils aîné et on ne peut pas dire que j’ai été très tendre avec lui. L’instinct filial sans doute le fait se rapprocher de moi en mes derniers instants.
Louis celui qui habite Grosbreuil est venu aussi, cela faisait des années que je ne l’avais plus vu.
J’éprouve et c’est bizarre une sorte de satisfaction à les voir, comme un soulagement.
Je suis de moins en moins bien, maintenant, je sais confusément que la fin approche , des gens m’entourent , je perçois leur voix, parfois je reconnais un visage. Étiennette me dit c’est ton fils, c’est ta fille, ce sont tes petits enfants. Je ne sais si tous vinrent me voir, ils sont si nombreux. Un matin un homme en noir s’est penché sur mon chevet il a psalmodié je ne sais quelle incantation. Une femme en noir avec sa coiffe blanche m’a susurré » papa c’est monsieur le curé ».
J’acquiesce, la présence d’un prêtre ne m’est d’aucun secours mais je reconnais penchée sur moi ma fille Clémentine, elle qui ne m’aime guère et qui m’a combattu toute sa vie est là en mes derniers instants. Je ne peux retenir quelques larmes, d’autres ombres, d’autres enfants, Marie , Célina,Léontine, Joséphine. J’aperçois même un homme en uniforme, on me dit c’est Pascal il est en permission, c’est mon plus jeune. Je suis bien entouré je peux partir. Mais encore quelques instants, mon Etiennette que va t’ elle devenir sans moi, je ne lui laisse rien, quelques hardes et guenilles, quelques meubles brinquebalants et une vaisselle dépareillée, ébréchée et cassée. Peut être pourrait elle se remarier, elle n’a que cinquante six ans.
Je perçois une sorte de râle, ce n’est que moi mes yeux se brouillent, je dis quelques mots que personne ne semble comprendre. Une lumière blanche m’apparaît, un grand couloir ensoleillé, des voix m’appellent .
18 juin 1905, commune Aubigny
Clémentine Ferré femme Guerin fille de François Ferré.
C’est souvent dans ces moments là que nous revoyons la famille,.
Il est là allongé dans son lit, nous l’avons revêtu de son costume du dimanche, ses mains sont serrées sur son ventre tenant un chapelet, son visage apaisé semble rajeuni.
De toute ma vie je n’avais jamais vu mon père égrener un chapelet. Cet objet de dévotion fait tache en ses mains impies, mais n’a t’ il pas reçu l’extrême onction. Seule de l’assistance Étiennette pleure, nous autres enfants qui avons eu à le souffrir d’une autre façon avions épuisé nos larmes en notre jeunesse.
Les plus jeunes de mes frère et sœurs ceux du deuxième lit étaient plus tristes que nous les aînés . Eux l’avaient connu alors qu’il était déjà diminué par l’alcool et par l’age et qu’il s’était un peu assagi. Nous qui l’avions supporté au milieu de ses errances éthyliques, nous lui en tenions rigueur. Je le revois encore tenant ma mère Rose par les cheveux, nue, humiliée, frappée. Je ne peux pardonner, même par la mort.
Il faut maintenant le mener en terre, nous sommes tous réunis, cela sera peut être la dernière fois, allez savoir. Le cortège s’organise, nous les enfants et les petits enfants et puis cette pauvre femme, jeune veuve toute de noire vêtue. Elle est là, le front haut, l’allure faussement altière, elle cache sa peine, mais quelques larmes la trahisse, c’est qu’elle l’aimait son vieux grigou, alcoolisé comme une vieille prune, sale, malodorant, et toujours mal luné. Ce sont les mystères de l’amour, l’alchimie des êtres qui bizarrement soudent les âmes et les corps.
Le trou est prêt, nous faisons cercle, le curé officie puis le dernier moment arrive, les fossoyeurs avec des cordes font descendre la bière. Le silence est pesant, les amis, les employeurs, les connaissances, la famille lointaine et les apparentés passent sentencieusement, se baissent, empoignent un peu de terre et la jettent sur le cercueil de bois blanc. Le petit bruit provoqué par la matière qui peu à peu recouvre les planches de la dernière demeure de mon père m’arrache à la léthargie dans laquelle j’étais tombé. Puis ce fut notre tour à tous les quinze de passer devant lui, que ce fut long car chaque branche de l’arbre qu’il avait engendré avait à son tour poussé en de multiples rameaux.
Pour finir cette journée mémorable, nous nous retrouvâmes chez Aimé, le seul qui habitait à Aubigny. Quelques pichets de vin, du lait chaud pour les enfants, de la brioche que la femme d’Aimé avait faite. Le temps du départ arriva et chacun fit le serment de se revoir en sachant pertinemment que les paroles et promesses de fin d’enterrement ne sont que rarement tenues