1901, Hameau du Chaon commune du Girouard
Marie Anne Tessier veuve Guerin
Je vivais entourée d’une nuée de gamins, Pierre en avait cinq et André en avait quatre, cela faisait une belle tablée car ils étaient tous grands maintenant.
Mon fils ainé tenait la maison plus ou moins bien car son frère lui contestait souvent son autorité, ils étaient associés sans l’être réellement.
De plus les deux cousins Xavier et Aimé qui s’ entendaient à merveille n’en faisaient qu’à leur tête et disaient haut et fort qu’il n’était pas question pour eux de rester à la ferme tout leur vie.
Je pense que c’était l’école qui leur mettait des bêtises comme cela dans la tête.
Mon fils André était veuf, sa saloperie de femme était passée, et oui ce n’est pas chrétien de parler ainsi d’une morte, mais moi je suis vieille alors je m’octroie quelques droits. Il faut dire qu’elle m’en faisait baver, méchante comme une teigne la Louise. Il n’empêche ce grand couillon d’André qui voyait guère la méchanceté de sa femme et bien il en fut peiné . Certes elle le laissait avec des enfants en bas age et croyez moi c’est dans ces instants qu’on s’aperçoit qu’un vieille bonne femme peut encore servir.
Mon fils maintenant allait mieux et je crois qu’il avait une femme en vue, à quarante cinq ans on a encore des besoins.
Ma préférée c’était Mathilde pas celle de Charles mais celle de Pierre car voyez vous pour m’emmêler ils appelait leurs enfants pareil. Elle avait dix huit ans et était belle comme un cœur, elle retrouvait un garçon et je lui servais souvent d’alibi, pourvu que cette foutue drôlesse ne lève pas le cotillon trop vite et se fasse faire un polichinelle.
Mais comment avait elle fait avec Charles, parfois des larmes montaient quand elle pensait à ce bois où elle avait ressenti les premiers signes du désir et puis ce fut le jour où Charles lui fit l’amour pour la première fois, elle en est encore attendrie après tant d’années. Mais avec du recul elle savait aussi que se retrouver enceinte avant le mariage n’était pas la meilleure des choses et que si pour elle tout c’était bien fini, pour d’autres ce ne fut que honte et catastrophe.
Elle conseillait donc la prudence à sa petite fille tout en sachant que les jeunes se foutaient du conseil des vieux.
Malgré tout certain soir elle se serait bien vu rejoindre son Charles mais dieu la retenait, alors elle buvait encore au miel de la vie avec délectation savourant ainsi chaque minute heureuse qui passait.
1901 Le puy Gaudin, commune du Girouard
François Ferré, époux de Etiennette Blanche et veuve de Rose Caillaud
Bon dieu de garce cette Léontine, elle vient de m’apporter la honte se faire foutre enceinte par je ne sais qui, une Marie couche toi là y ‘a pas à dire. Je la vois encore se pointer à la maison alors que cela faisait des années qu’elle était partie, moi tout de suite je me suis douté qu’il avait un problème, mais cette idiote d’ Étiennette pensait que c’était pour nos beaux yeux. Elle a déchanté quand on a appris qu’elle avait été chassée de son travail. Une servante grosse n’était jamais gardée surtout quand le père était défaillant. Pour sa peine je lui mis une paire de gifles, jamais elle ne nous a dit qui l’avait mise enceinte, mais savait elle qui l’avait fait. Toujours est il que les cognes vinrent à la maison, tout le voisinage pensait qu’on venait m’arrêter moi, comme si le fait de boire un peu et de gueuler parfois quelques chansons paillardes sur le retour du village constituaient un motif d’arrestation.
Ma femme tomba en pâmoison et on garda chez nous la fautive, il faut mieux laver son linge sale en famille. Puis ce fut la naissance du petit, ma femme en devint complètement folle si elle avait eu du lait je crois bien qu’elle aurait donné le sein. Comment s’enticher d’une larve qui gueule tout le temps. Moi à soixante et onze ans j’aspire au repos.
1901 Le Girouard
Clémentine Ferré femme de Charles Guerin
On choisit pas sa famille et là croyez vous que j’étais servi, mon père n’était qu’un vieux grigou toujours aviné faisant des dettes au bistrot. Il me faisait honte quand au loin je le voyais rentrer en titubant et en chantant le curé de Camaret , vous savez celui qui a les!!!!. Mais bon il faisait plus rire qu’autre chose et ce n’était pas le seul poivrot du village. Puis il y a eu l’affaire de la Léontine, bon dieu de mal adroite, enfin il faudrait bien qu’elle l’élève son petit bâtard.
Maintenant il faut que je vous parle d’une drôle d’aventure qui m’est arrivée au village. Je marchais avec une voisine dans la rue principale du bourg quand nous entendîmes un bruit effrayant. Louise eut du mal à tenir son âne. Une espèce de carriole montée sur quatre roues semblait avancer toute seule, un homme avec un manteau de fourrure semblait diriger cet engin du diable. Il portait un chapeau de cuir qui lui enveloppait la tête et des lunettes. Derrière lui un monsieur bien mis avec un canotier riait comme un enfant. La voiture nous dépassa dans un bruit effrayant aucun cheval ni aucune bête ne semblaient intervenir dans la traction de la carriole. Ma compagne me dit je crois que c’est un des monsieur de la Bassetière.
Le soir je racontais ma mésaventure, mon mari me dit que j’étais comme mon père et que je buvais trop. Heureusement Gustave mon fils sortit de sa torpeur habituelle nous dit que cela s’appelait une automobile et que dans les villes cela faisait fureur. Il nous rajouta aussi que des oiseaux mécaniques volaient dans le ciel alors là je lui aurais bien mis une torgnole pour inventer des menteries pareilles. Mais pour se justifier il alla chercher un vieux journal ou l’on montrait cet engin, il avait donc raison moi je me demandais bien ce qu’on pouvait faire d’une telle bizarrerie.
C’est le progrès et apparemment ce n’était qu’un début, une domestique qui revenait de la capitale nous disait que dans certaines maisons l’eau arrivait dans les étages et que la lumière apparaissait en tournant un bouton de faïence. L’électricité que ça s’appelait, la fée électricité précisait elle, ce jour là au lavoir elle nous a bien fait rire. Nous on avait nos chandelles et notre bonne eau du puits, enfin qu’en le fumier ne s’infiltrait pas dedans.