1900, Puy Gaudin, commune du Girouard
Mathilde Ernestine Guerin, fille de Charles et de Clémentine Ferré
Je passais au vingtième siècle avec mes yeux de petite fille, j’avais la vie devant moi et le passage d’un siècle à l’autre était porteur d’espoir. Moi je rêvais d’un prince charmant comme toutes les petites filles, nous en discutions entre nous à l’infini. Bien qu’au fond de moi je savais que celui qui viendrait m’enlever serait vraisemblablement un prince en sabots crottés.
J’allais à l’école mais je n’aimais guère et madame Caillaud me punissait en permanence, mes cahiers étaient mal tenus et mon esprit volait de bosquet en bosquet plutôt que du subjonctif au futur. Mais bon il fallait s’y contraindre. Ma mère était indulgente et le père ne s’occupait que de ses champs, car voyez vous il était métayer maintenant et les responsabilités qui lui incombaient étaient plus grandes que lorsqu’il était journalier.
Notre institutrice avait la main leste, en arrivant en classe nous devions montrer nos mains et ce jour là malheureusement pour moi mes ongles étaient un peu en deuil. Elle me demanda pourquoi j’avais les mains dans un tel état et je lui répondais que je n’avais pas que l’école à m’occuper mais aussi des vaches. Mon ton lui déplut et elle me gifla. Comment voulez vous aimer la classe dans ces conditions d’autant que la menace de la règle sur les doigts, la fessée devant tout le monde nous terrifiaient.
Ma sœur Marie allait en classe avec moi mais se faisait moins remarquer, nous rentrions ensemble bien sagement la plus part du temps mais d’autres fois on faisait les quatre cents coups.
J’avais deux autres petites sœurs, un petit frère et mon grand frère Gustave.Ce dernier il faut le dire était un peu couillon, cancre à l’école et pas très rapide à la comprenoire. Il ferait un bon ouvrier mais ne serait jamais chef d’exploitation.
Nous allions au hameau et j’eus la surprise de voir arriver mon grand père Ferré avec sa famille. Ma mère se serait bien passée d’une telle présence, car entre elle et grand père ce n’était pas le grand amour.
Mon grand père moi je l’aimais bien, bien qu’il me fasse un peu peur, il était maintenant d’une maigreur extrême, sa peau était parcheminée et des profondes rides zébraient son visage, ses mains étaient toutes tordues et cheminées de grosses veines qui semblaient vouloir éclater. Sa tenue était celle des anciens, on aurait dit un vendéen sorti de la virée de Galerne, surtout l’hiver quand il mettait sa peau de mouton. Son grand chapeau lui couvrait le visage et il ne le retirait que rarement.
Ma mère disait qu’il puait le bouc, ce n’était peut être pas faux. Il était constamment sous l’emprise de l’alcool et à force d’avoir des ardoises aux cabarets des mères Sellier et Guiet il n’était plus le bien venu dans beaucoup d’endroits.
En tant que journalier on ne lui donnait plus grand chose à faire, la vieillesse était un ennemi mortel pour trouver de l’ouvrage et nombre de nos anciens se trouvaient à la limite de l’indigence. Heureusement Etiennette ma grand mère par la main gauche était une rude travailleuse, rien de la rebutait et on pouvait lui donner les travaux les plus vils c’est en fait elle qui faisait tourner le ménage. Il faut avouer à la décharge de mon pépé qu’il avait fait des efforts et que les tensions avec sa femme s’étaient atténuées. Un temps il avait été question qu’il parte sur Aubigny mais bon les hasards de la vie firent qu’il vint au Puy Gaudin.
L’avantage est que je jouais avec mon oncle Pascal le dernier de la fratrie. En ce temps il y avait aussi la Sidonie âgée de douze mais elle, je ne pouvais la sentir.
Chez eux il y avait également Léontine l’aînée du couple François et Étiennette, d’ordinaire elle était servante dans une ferme je ne sais trop où mais là elle vivait avec papa maman et elle venait d’accoucher d’un petit garçon.
Rien d’extraordinaire en soit mais il n’y avait pas de père, je ne sais pas ce qui c’est passé réellement mais cela a fait un foin dans le village, les gendarmes sont même venus au hameau chez mon grand père.
J’ai bien posé quelques questions mais devant le mutisme de ma mère et la peur de la taloche je restais sur mon questionnement.
Je sus simplement qu’être fille mère n’était pas très facile et que la société villageoise était prompte à juger et à ostraciser.
Ma mère me disait » vois tu ta tante elle nous fait honte, moi j’avais un peu pitié d’elle, je trouvais ma tante Léontine très triste, elle avait sûrement ses raisons.
Je vais parler un peu de mes parents, au vrai ils travaillaient en permanence, cette petite métairie suffisait à peine à nous nourrir, mais comme mon père le disait je suis maitre de mon travail donc cela en vaut la peine. Il avait investi pour moitié avec le propriétaire dans une nouvelle charrue et dans une faucheuse mécanique, il gagnait du temps mais bon cela avait obéré ses finances.
Maman faisait flèche de tout bois, elle cultivait un potager et vendait ses légumes sur les marchés, elle faisait du beurre et élevait des volailles. Il fallait la voir partir avec ses paniers de légumes et ses mottes de beurre, quand nous avions des volailles, elle nous les faisait porter à ma sœur Marie et à moi, il fallait voir ce caravansérail. Moi j’aimais ces marchés, toutes ces femmes avec leurs marchandises, les odeurs éveillaient mes sens, et les couleurs chatoyantes des légumes et des fruits m’émerveillaient. Maman était bonne vendeuse et ses produits de qualité, elle avait ses clientes attitrées. Fièrement elle serrait son trésor et les faisait disparaitre dans les surplis de sa robe.
Pendant ce temps le père était à vendre des bestiaux, soit des cochons ou soit des veaux, il en achetait aussi et les affaires se terminaient par un coup à boire dans les estaminets. Ma mère n’aimait guère qu’il boive et elle trouvait que l’argent difficilement gagné ne devait pas servir inutilement. Tout devait aller à la terre. Parfois, mais vraiment parfois, nous avions droit à une petite babiole qu’elle nous achetait chez l’épicier. Moi je ne ressentais pas la moindre pauvreté chez nous, nous étions nous, les enfants de paysans tous à peu près à la même enseigne.
Des sabots usés, des trous aux chaussettes et des robes qu’on reprenait à l’infini et qui grandissaient avec nous.
1901, puy Gaudin, commune du Girouard
Clémentine Guerin épouse de Charles Guerin
Le 13 février dans la nuit je commençais le travail, j’avais très mal et l’enfant ne venait pas, j’avais le pressentiment que les choses n’allaient pas se passer comme pour mes autres enfants.
De fait j’eus besoin d’un médecin pour m’aider, alors que pour les autres une sage femme avait suffit, il m’appliqua les forceps, l’enfant souffrit beaucoup et moi n’en parlons pas. Quand il arriva j’eus l’impression que tous mes organes allaient sortirent , je fus déchirée et une hémorragie se déclara.
Joseph avait lui aussi souffert et nous avions peine à croire qu’une petite chose si malingre m’eut provoquer tant de mal. Le docteur émit un doute sur le fait que le petit allait survivre. Je crois d’ailleurs qu’il avait aussi des doutes sur moi, mais bon il faut croire que j’étais née sous une bonne étoile, bien qu’anémiée par ma perte de sang je me maintins en vie.
Malheureusement et comme prévu par l’homme de l’art Joseph mourut dix jour plus tard, c’était le premier enfant que je perdais, ne l’ayant que très peu côtoyé je ne tombait pas dans un désespoir absolu j’étais simplement triste, mais la vie continuait.