1893 – 1896, la Cossonnière, commune de La Chapelle Achard
Victoire Cloutour, femme Proux
Il faut quand même le dire, ce qui fut l’événement majeur de ces années est bien entendu notre déménagement à la Cossonnière sur la commune de La Chapelle Achard.
Mon père toute sa vie avait rêvé d’un tel lieu et d’une telle exploitation, à l’aube de ses soixante ans, il y arrivait enfin. C’était bien entendu le chef d’exploitation mais dès le départ il fut convenu que Barthélémy mon mari serait également partie prenante du contrat qui fut conclu avec le propriétaire. N’allez pas croire que c’était une terre gigantesque et que nous allions devenir de riches paysans, non il faut relativiser, l’exploitation serait simplement plus grande que ce que nous avions connu jusqu’à là et surtout nous ne serions plus des journaliers mais des fermiers ayant une assise terrienne. Pour sur les terres ne nous appartenaient pas mais nous nous étions laissés dire que certains paysans parvenaient maintenant à acquérir la terre qu’ils travaillaient depuis la nuit des temps. Nous n’en étions pas là mais peut être qu’un jour nos enfants deviendraient propriétaires à leur tour.
Mon père en accord avec mon mari décida qu’ils iraient de l’avant et que toutes les technologies disponibles et rentables entreraient sur la ferme. Mais de cela nous en reparlerons car comme toujours les oppositions entre les jeunes et les vieux animaient les repas et les veillées.
Papa était toujours plein de vigueur et de force, certes le soir il piquait un peu du nez mais chaque matin près à l’ouvrage, le verbe haut il montrait l’exemple et souvent houspillait son fils qui selon lui feignantait un peu trop sur sa paillasse.
Il se disait aussi que le père avait encore une bonne femme sur Sainte Flaive des Loup moi je n’ai pas été vérifier mais Barthélémy disait que de temps à autre le vieux il trouvait à faire ailleurs et qu’il disparaissait de longues heures. Moi je voyais pas bien comment un homme comme lui pouvait susciter une passion amoureuse, pas très grand, presque chauve, toujours mal rasé, ridé, édenté et un acre fumet s’échappant de son corps rarement lavé. Maman se pliait encore à ses exigences, nous le savions car si les courtils masquaient, ils ne bloquaient pas les sons et régulièrement nous entendions
Nos vieux s’adonner à la chose. Maman était un peu obligée par devoir conjugal mais qu’une femme puisse subir volontairement les assauts de cet homme vieillissant moi cela me passait par dessus.
Maman n’avait que cinquante quatre ans, je la trouvais jolie et ses cheveux que je peignais presque chaque jour étaient encore d’un beauté saisissante bien que quelques fils d’argent apparaissent ça et là.
Lors des grandes toilettes je l’apercevais nue, nous aurions dit une jeune femme, les seins fermes et le ventre plat. Musclée par les travaux agricoles, elle était je pense encore très désirable et je l’enviais car moi avec mes quatre maternités j’avais les mamelles lourdes et tombantes et mon ventre strié de disgracieuse ridules. Ce qui me stupéfiait dans ma mère c’est qu’elle était propre contrairement à la plus part des femmes de son age et qu’elle faisait preuve de coquetterie en s’aspergeant d’une eau parfumée dite de Cologne qu’elle avait achetée à l’insu de mon père à un colporteur. Je savais que maman ne pouvait plus avoir d’enfants et que cela avait simplifié sa vie. Ce qu’elle redoutait le plus n’était pas les assauts de son homme mais plutôt les conséquences.
Au lavoir elle me confia que le sexe la dégouttait maintenant et qu’en quelques sortes cela la soulageait que Papa aille voir ailleurs. La morale n’était pas respectée et cela cancanait énormément sur notre dos. Nous en avions l’habitude.
Mon bonhomme avait maintenant trente six ans, la force de l’age , la maturité, l’expérience appelons cela comme on veut. C’était un travailleur forcené et il rentait souvent le dernier. Certes c’était un fort gueulard surtout quand il était pris de vin, les taloches volaient bas et les drôles se faisaient petits dans leur coin, moi j’aimais pas ces moment car voyez vous avec moi il n’était pas méchant mais amoureux. Une main par ci, une main par là, un baiser dans le cou et des étreintes forts gênantes lorsque j’étais penchée sur le potager. Cela faisait rire le père qui dans ses moustaches n’arrêtait pas de dire » la Victoire ce soir , elle va prendre ». Mon frère en rajoutait en disant que j’aimais bien ça ce qui faisait se pavaner cet imbécile de Barthélémy. En ces moments j’aurais bien voulu vivre seule ma vie de couple.
Donc en plus de mes parents, nous avions à la maison l’Auguste, âgé de vingt quatre ans, il revenait du service. Il ne pensait qu’à une chose depuis, trousser des filles et éventuellement s’en trouver une légitime pour ne plus avoir à chercher une proie pour assouvir sa passion de l’amour. Il était fort intrusif en nos intimités et je savais que si il pouvait il se rincerait bien l’œil avec nos nudités à moi et à ma sœur. Mais bon je l’aimais , je l’avais vu grandir et l’avais souvent martyrisé quand je le gardais étant petite. Nous en avions gardé un amour fraternel indéfectible.
Ensuite il y avait la petite reine Marie vingt six ans, petite brunette potelée, espiègle, enjouée, rieuse. Ma sœur savait faire tourner les cœurs, depuis qu’elle était petite elle retournait ma brute de père par un sourire, jamais une gifle, jamais un coup de ceinture, jamais un cul fessé, non pas qu’elle ne faisait pas d’ânerie, elle savait simplement , habillement détourner les fautes sur moi et mon frère. Nos volées les plus mémorables nous les lui devions. Mais bon elle nous désarmait par un sourire et un câlin.
Mais celui qu’elle désorientait le plus était notre domestique Auguste Ferré. La peste en faisait se qu’elle voulait, comme un pécheur qui avait ferré le poison avec son hameçon elle ne le lâchait pas et le gardait sous son emprise. Ce grand benêt, était au vrai plus qu’un domestique, il était le demi frère de Barthélémy, il n’avait guère été élevé ensemble mais il s’aimait vraiment bien.
Pour tout dire, une idylle s’était nouée et les deux allaient se marier, il le fallait d’ailleurs avant qu’il n’arrive une complication
Le mariage fut donc fixé le 5 juillet 1892 juste avant les moissons.
Il fut convenu que le nouveau couple s’installerait avec nous à la Cossonnière, ce n’était qu’aménagement mais nous fumes avec un nouveau lit double, de nouveau un peu à l’étroit.