LE TRÉSOR DES VENDÉENS, Épisode 72, la veuve noire

1881 – 1883, la Crépaudière, comme de la Chapelle Achard

Marie Louise Barreau femme Ferré, veuve de feu Barthélémy Aimé Proux

J’étais heureuse moi à la Crépaudière, j’en connaissais le moindre recoin, je connaissais toutes les odeurs, en reconnaissais aussi les bruits. En fonction du bruissement des feuilles je savais dans quelle direction venait le vent, j’étais dans mon environnement et jamais je ne m’imaginais que je puisse quitter cet endroit un jour. C’était ma terre, ma ferme et j’aurais donné ma vie pour que tout m’appartienne en propre.Nous vivions et travaillions en famille, faisant groupe autour du père de famille qui était aussi le chef d’exploitation.

Tous les enfants de mon deuxième lit travaillaient à la Crépaudière, Barthélémy ne se sentait pas de travailler avec son beau père.Le mariage de ce dernier était prévu pour le 26 juin et tout le monde s’en faisait une fête, mais un soir notre monde bascula, mon monde bascula, Jean fut pris de frisson en se couchant, je lui fis une décoction avec du miel, il sua toute le nuit et passa une nuit infernale. Le lendemain comme si rien ne devait changer il était le premier levé et avec Louis partirent finir un désherbage d’ une pièce pas loin de la maison. Moi je devais faire mes préparatifs pour la grande buée que j’effectuerai bientôt.

Deux heures plus tard mon mari était couché dans une charrette conduite par un voisin, il avait fait un malaise et son fils avait arrêté la première personne qui passait. Nous le couchâmes et à tour de rôle nous restâmes à coté de lui, je lui fis la becquée avec la soupe, il était très faible. Il donna quand même ses ordres pour le lendemain. J’envoyais Auguste chercher son frère aîné Barthélémy, j’aurais peut être besoin de lui. Le lendemain Jean ne se leva pas. Aidé de ma petite Louise je lavais et changeais Jean car il ne se contenait plus. Barthélémy était parti je ne savais pas où dénicher un médecin. Tard dans la soirée le praticien constata que mon mari délirait et qu’il était brûlant de fièvre , si on ne pouvait lui faire diminuer il mourait. Hélas rien ne se passa et Jean maintenant hurlait, avait des visions et racontait son enfance . Je restais à son chevet en lui tenant la main, les enfants s’étaient endormis, Barthélémy accompagné de sa future parlaient autour de la table de leur future destinée. Jean me pressait le bras très fort et je sus quand la pression se fit plus lâche qu’il allait nous quitter. Je réveillais tout le monde et en famille il partit pour un monde meilleur.

On lui organisa un bel enterrement, quarante sept ans ce n’est pas un age pour passer, mais il est vrai que mon premier n’avait pas dépassé les trente cinq ans. Je fus dès lors la veuve maudite, celle qui tuait ses hommes, certaines vieilles commères se signèrent même à mon passage.

Soyons clair le décès du Jean me laissait dans une merde noire, j’étais métayère et mes fils auraient très bien pu reprendre avec moi, mais le propriétaire qui voulait récupérer son bien ne consentit jamais à nous le bailler. Vraiment un beau salopard, je me retenais de pleurer devant lui mais en rentrant je m’effondrais. Nous avions un mois pour décamper.

Grâce à nos relations, familiales ou autres tout le monde trouva du travail, ce fut la dispersion irrémédiable de la fratrie, Louis et François se placèrent sur la commune du Girouard, Auguste sur la Chapelle Achard, Louise se fit servante à Saint Mathurin, mon petit Eugène alla sous la surveillance de son frère à Sainte Flaive.

Je plaçais même mon Victor âgé de dix ans, c’était un crève cœur et même si tout le monde faisait cela j’avais quand même le sentiment d’abandonner mes petits.

Je gardais simplement Pascal avec moi, mais une question demeurait, où irais je ?

Mon frère Eugène me proposa de venir m’installer avec lui et sa femme, je ne voulais pas déranger et je lui dis non. Il fut aussi question que je m’installe avec Barthélémy, mais lié par contrat avec son beau père il ne put m’accueillir.

On me trouva une petite maison au bourg du village et comme je n’avais pas les deux pieds dans le même sabot je me fis femme de tâche, blanchisseuse, femme de peine à pelleter la merde des vaches, gardienne de troupeau comme une drollière, rien ne me rebuta sauf bien sur les avances rebutantes de quelques patrons.

Comme je vous l’ai déjà dit, la société paysanne n’aimait guère les chutes comme la mienne, tous pouvaient voir dans les destins brisés une image qui pourrait révéler leur propre sort.

Alors on le conjurait en m’ostracisant et en se moquant de moi. Peut être avais je été trop fière lorsque je tenais la Crépaudière. Tout cela finira bien par passer, ma préoccupation était que Pascal le dernier puisse aller à l’école pour échapper à mon destin et au destin de son aïeux.

L’école maintenant était obligatoire, laïc et républicaine, j’entendais que mon fils ne manque aucun cours. Pour être obligatoire ce le fut sur le papier, mais la plus part des paysans ne mirent pas leurs enfants dans les mains des instituteurs de la république. Les écoles privées aux mains des congrégations en drainaient une partie et les autres allaient au champs pour travailler comme leurs ancêtres. Le maire dut se fâcher et même envoyer les gendarmes, mais rien n’y fit dès les beaux jours et lors des gros travaux agricoles, les classes se vidaient.

Pascal sera le seul de mes neufs enfants à recevoir une instruction, je ne sais ou cela le mènera mais au moins j’aurais la conscience tranquille.

Certes il serait attiré par le travail des champs et je devrais lui mettre pas mal de calottes pour qu’il ne fasse pas l’école buissonnière.

Heureusement ma Marie habitait à coté de chez moi , elle me garda souvent Pascal quand je dus m’absenter, moi j’en profitais aussi pour garder mes petits enfants, nous nous entraidions et je retrouvais un peu la petite fille qui était partie comme domestique Depuis maintenant un grand nombre d’année.

J’avais revêtu ma tenue de deuil et c’est en noir que je mariais  mon Barthélémy, les autres mirent un crêpe noir à leur bras. La fête fut magnifique et j’étais fière de marier mon premier, en espérant assister à la noce de tous les autres.

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