1876 – 1881, l’épinay commune de Girouard
Clémentine Ferré, fille de François et de feue Rose Caillaud
Vous avez beau le savoir, vous avez beau connaître ou supposer votre destinée, quand votre propre père vous informe que dès le lendemain vous ne serez plus dans le foyer qui vous a vu naître vous avez un peu de mal à subodorer l’abîme qui s’ouvre devant vous.
Comme mes frères et sœurs mon père nous trouva une place comme domestique, moi ce fut à l’Epinay, mais cela aurait pu être ailleurs. Les mots de servante et de domestique n’avaient absolument rien de péjoratif en notre Vendée. Nos pères, nos mères l’avaient été et nos enfants le seraient sûrement aussi, c’était la dure loi de la campagne. Le travail en lui même n’était pas fondamentalement éloigné de celui que vous produisiez chez vous je crois même qu’il n’y avait aucune différence. Seulement le patron n’était pas votre père ni votre mère, cela pouvait avoir des conséquences ou pas suivant la famille dans laquelle vous étiez placée.
Souvent nos parents connaissaient nos employeurs, ils étaient même souvent de nos familles éloignées, amis ce n’était pas un gage absolu car la parole des enfants étaient refoulés et se rebeller contre votre patron était source de déshonneur et de chômage.
Moi j’avais treize ans quand un matin j’ai découvert ma nouvelle demeure et mes nouveau maîtres. Petite, menue, impubère j’étais frêle comme un épi mûr et je tremblais de tout mes membres.
Tout était convenu, mon père ne me regarda pas et partit rejoindre sa femme enfants, nous ne serions pas témoins de ses amours. Je le haïssais pour ce qu’il était et pour ce qu’il avait fait à maman.
L’épinay était un hameau ou se trouvaient deux métairies, celle de Guerineau Armand et celle où j’allais servir tenue par Louis Muzard. C’est ce dernier qui me prit des mains de mon père et qui me présenta à la maisonnée. Marie la cinquantaine était la femme de Louis et la mère de pierre dix huit ans et de Eugène quatorze ans.
L’exploitation n’était pas grande mais ne le travail ne manquerait tout de même pas. On me fis place dans un vilain galetas, sombre, humide et froid. Mais voyez vous je n’avais jamais eu d’endroit où je pourrais être seule alors pour moi l’aventure commençait assez bien. Je fus encore plus surprise quand on me fit manger à la table. Chez mon père je servais et mangeait debout, le vilain coup de pied que me donna Eugène me fit redescendre un peu de mon nuage. En aparté il me fit comprendre que je n’étais pas chez moi, ça je le savais le sale petit mioche ne savait pas à qui il avait affaire.
Je fis de mon mieux pour satisfaire tout le monde et globalement je crois que je n’ai pas déchu et que du haut du ciel ma maman Rose serait fière de moi.
Car il faut quand même signaler que les écueils étaient fréquents pour une petite fille livré au servage agricole. Tout d’abord et comme dans toutes les fermes l’entassement et la promiscuité donnaient lieu à toute sortes de problèmes. Moi quand je devins une femme les deux fils de mes patrons devenaient hommes, si l’aîné était assez gentils le plus jeune Eugène ( celui du coup de pied ) m’ennuyait fortement , toujours à me coller, à m’observer, à tenter de me surprendre quand je me lavais ou faisait mes besoins, un jour je l’ai même surpris entrain de se toucher en me regardant.
Ces fils de patron en mal de femme étaient de vrai danger pour les petites servantes esseulées. Ne jamais leur laisser le moindre espoir, ne faire aucun geste équivoque. J’y réussis assez, bien qu’un jour que j’avais baisser ma garde et enlever ma chemise pour me changer après une forte suée le père Muzard fut tenté de me serrer de près. Devant mes hurlements il recula et me laissa, c’était un bon bougre et jamais il ne recommença de gestes inconvenants.
Non moi mes yeux se tournaient vers le fils Guérineau de la métairie d’à coté, je me serais bien vu à ses bras et aussi devenir la belle fille du patron puis la femme du chef de ménage.
Sur ma couche épuisée par mes multiples travaux, j’en rêvais et peu m’importait le physique du bonhomme non moi qui avait changé de multiple fois de lieu d’habitation je penchais pour un établissement sur. Bon si je pouvais combiner la beauté et la force masculine avec la stabilité économique cela serait encore mieux.
Mais le François âgé de vingt cinq ans ne me regardait pas et pour la bagatelle je crois qu’il en avait suffisamment obtenu de la petite Adeline. Une pauvresse placée comme nous autres par ses parents.
Bon comme François ne me regardait pas je faisais mes minauderies en direction du Charles de la Corberie, un petit hameau placée su r la commune de Sainte Flaive des loups mais qui était voisin de l’Epinay. Je le croisais souvent nos champs se jouxtaient, un petit signe, un sourire, un bonjour, une petite aide. Puis un jour il m’a demandé si je voulais être sa cavalière au bal de Sainte Flaive. Un peu que je voulais, en plus j’avais mon dimanche entièrement libre, madame Muzard pour me récompenser m’avait dispensé de traite et de soins aux animaux.
Le fils Guerin n’était pas très grand et pour peu je le dépassais un peu avec ma coiffe, j’arrangeais le mieux que je pouvais ma robe de coton et je passais mon châle de dentelle. Mes souliers étaient un élimés, c’étaient ceux de maman. La patronne me voyant ainsi me demanda si j’avais rendez vous avec un galant, je rougissais jusqu’aux oreilles, elle avait compris.
Au bras de mon Charles je fis des envieuses, car voyez vous les poules du villages se devaient de protéger leurs coqs. Bon je fis abstraction des méchants quolibets . Charles vêtu d’une veste bleue fermée par des bouton dorés et d’un pantalon de même couleur était magnifique, son chapeau enrubanné lui donnait fier allure. Toute la sainte journée il me fit tournoyer, virevolter j’en étais saoul de bonheur et de fatigue. Il m’amena aussi au petit cabaret et je bus pour la première fois un breuvage nommé café.
Aucun geste inconvenant, une conversation banale mais qui dans sa bouche prit une autre dimension, terres, animaux, semences, progrès agricoles. Il me fit même marcher en me disant qu’un américain avait inventé une machine pour moissonner, j’étais un peu bête mais pas au point de me faire gober ces sornettes.
Bref j’étais sous le charme de ses vingt ans et j’espérais qu’il serait charmé par mes dix sept ans.
Il me raccompagna à l’Epinay, sur la route d’autres couples cheminaient et certain bien moins sage que nous.