LE TRÉSOR DES VENDÉEN, Épisodes 38, le gendre devient patron.

26 avril 1854, Village de Poiroux

Rose Cailliaud

Nous y étions à ce moment mémorable de la vie d’une femme et sans aucun doute aussi de celle des hommes, le mariage accomplissement d’une vie ou plutôt d’une jeunesse, désir secret de toutes les jeunes filles, peur redoutable de rester vieille fille.

Moi je m’en sortais bien, vingt deux ans, avais je fait le bon choix, l’avenir le dira.

L’Eraudière avait revêtu ses atours de fête, de grandes tables avaient été disposées sur l’aire de battage, tout était propre nettoyé ce qui présentait quand même une différence par rapport à notre quotidien .

Nous étions un mercredi, milieu de semaine, parfait, pour faire la fête, les grincheuses de l’église au premier rang duquel se trouvait ma mère étaient satisfaites nous n’empiéterons pas sur le jour saint qu’était le vendredi. Nous avions rendez vous à quatre heures du soir devant monsieur Jacques Chiffoleau l’adjoint au maire. Ce dernier monsieur de la Lezardière occupé ou dédaigneux de si petits administrés ne fut pas présent, au grand désespoir de mon père qui eut aimé avoir ce vieux combattant de la guerre civile, officier au mariage de sa fille.

A propos de mon père son état de faiblesse ne lui permit point de nous suivre à pied on le hissa sur une carriole et on le conduisit au bourg. J’en avais les larmes qui montaient , lui si fier, de se voir diminuer alors qu’il venait tout juste de passer son demi siècle.

Nous fumes donc mariés à la mairie, puis avec mon joli voile, mes broderies de dentelles, ma jolie coiffe je passais émerveillée devant le père Cauteteau. Ce dernier me connaissait assez peu mais j’avais quand même été obligée de me communier avant que d’être unie devant dieu, je lui avais confié mes inquiétudes et mes attentes, ainsi que quelques pensées, disons le, gênantes. François avait du se plier au même cérémonial et je m’amusais de son embarras. Quand il fut sorti du confessionnal, je le questionnais sur ce qu’il avait avoué. Il me dit j’ai tout raconté . Je rougis immédiatement à cette évocation complètement erronée en me disant, je n’ai pas évoqué ce petit passage avec le curé, il va me prendre pour une menteuse trahissant les devoirs de la confession.

Bon apparemment il ne m’en a pas voulu et il nous a mariés, mon père trop épuisé ne pouvait se lever.

Nos témoins furent pour François son frère Augustin et son frère Aimé, pour moi ce fut mon grand père René Durand le père de ma mère et mon oncle René Durand. J’étais heureuse d’avoir mon aïeul à mes cotés.

Nous fîmes la fête une grande partie de la nuit, moi entre les danses et le service je n’eus pas le loisir de m’asseoir longtemps.

Le violoneux nous a transporté, ma mère oubliant les soucis fit plusieurs rondes et mon grand père un peu ivre s’était métamorphosé en un redoutable danseur. On oublie facilement quand on est jeune que ceux qui nous ont précédés ont été jeunes aussi et que tout ce que vous croyez faire de façon unique ils l’ont déjà fait avant vous.

Mon François était bien en forme aussi et s’amusait comme un beau diable semblant oublier que nous avions une petite formalité à remplir.

Ce fut moi qui le tirais en dehors de la noce, nous avions décidé de nous cacher chez des cousins dans le bourg du Poiroux. J’allais aussi vérifier si mon homme avait autant d’expérience qu’il voulait bien le dire.

Mon Dieu que nous avons été maladroits pour une chose si simple, je n’osais pas me déshabiller et lui fut aussi pudique que mon petit frère. Nous finîmes quand même par nous dévoiler un peu mais mon grand navigateur n’était en fait qu’un petit caboteur. La grande goule était aussi puceau que j’étais vierge, nous arrivâmes quand même à un résultat, le bougre n’était pas très délicat mais sa virilité ne se démentait pas. Il me pénétra juste assez pour me déflorer, mais sa rapidité me laissa comme un petit goût de trop peu.

Nous discutâmes ensuite serrés l’un contre l’autre ce fut un moment jubilatoire et peu à peu mon chevalier reprit vigueur et si il ne m’emmena pas au septième ciel me fit entrevoir le chemin pour y parvenir.

A peine endormis nous avons été réveillés par l’ensemble de la noce, commentaires osés, chants paillards, administration d’un liquide peu ragoutant servi dans un pot de chambre et inspection des draps. Ils en eurent pour leur argent car une trace rosée sur la blancheur immaculée du drap ressortait significative et marquait ainsi le début de ma vie de femme.

La noce se continua longtemps dans la journée et le soir bien fatigués nous nous couchâmes dans notre alcôve de l’Erautière.

Malheureusement notre idylle fut ternie par deux décès, mon grand père nous quitta tranquillement une nuit dans sa couche de la Grignognière, son départ nous attrista mais bon fatalité de la vie il était vieux et l’on pouvait considérer que c’était son tour. En le voyant danser quinze jours avant nous ne pouvions présumer d’une si rapide disparition.

Bien sur mon père maintenant alité ne put se déplacer, mon apprentissage de la mort arrivait bien tard, je n’avais jamais vu une personne morte. Le grand père quand je suis arrivée était déjà paré pour l’éternité, roide sur son lit, avec son costume du dimanche, mains jointes sur le ventre avec un fin chapelet , les yeux clos. J’eus le privilège de le veiller une partie de la nuit, mon Dieu, tout vous passe par la tête en ces moments. Le moindre bruit vous fait tressaillir, vous guettez que la statue qui se trouve devant vous ne bouge ou ne manifeste la moindre émotion. Au matin à moitié endormie, un rayon de soleil vient frapper de son dard le corps du vieux semblant vouloir l’emmener sur son astre. Mais la chaleur ne redonne point vie, il va falloir maintenant le porter en une autre éternité.

Nous le portâmes en terre respectueusement avec un peu les mêmes invités que pour ma noce.

La maladie de mon père nous mit dans l’embarras, dans l’impossibilité qu’il avait d’effectuer le moindre travaux, il nous fallut embaucher un domestique de ferme, Jean Berthommé que nous connaissions bien nous aida de toute sa jeune force. Pour nous suppléer et nous soulager nous les femmes, car évidement nous effectuions aussi le travail masculin nous primes une petite de neuf ans, nommé Marie Ruchaud, elle fit ce qu’elle put,  méchamment je la rudoyais plus que de raison.

Nous pensions que mon père atteint aux poumons se rétablirait avec la chaleur et notre air pur du bocage, mais malheureusement son état empira et nous n’eûmes rapidement plus aucun espoir.

Mon grand père dans la mort fut beau, mon père beaucoup moins. Dans les affres de la souffrance, corps tordu, odeur acre, crachats sanguinolents,gémissement, cris , pleurs, rien n’est grand, rien n’est beau.

Le deux août , l’après midi, le père expira, nous ne le vîmes pas partir nous étions aux champs ou bien aux bestiaux. C’est moi en rentrant qui eut le triste privilège de constater qu’il nous avait faussé compagnie.

Il faisait une chaleur lourde et nous dûmes nous hâter pour organiser des obsèques décentes, nos voisins Richard et Herbretreau se chargèrent de la mairie, François se chargea du curé, le domestique fut envoyé prévenir la famille d’Avrillé.

Nous les femmes nous eûmes le privilège de la toilette du défunt, rite de purification venu du fin fond des ages, nous avions au village des spécialistes, genre de matrones habituées au rituel de la vie et de la mort. Mais ma mère décida qu’elle se devait de le faire avec mon aide et avec celle de ma petite sœur.

Mais allez mettre à nu le corps raidi de votre propre père, à moitié squelette, voir le sexe qui vous a donné la vie, pendouillant inutile, incongru. Mouillé de l’eau du puits ce marbre qui hier encore vous parlait puis le revêtir de ses habits de mariage,  vêtements de lumière  dont il tenait comme à la prunelle de ses yeux, oripeaux respectés qui pourrirons avec lui.

Pour qui sonne le glas à l’Eraudière, Joseph n’est plus.

François mon homme se retrouvait métayer, gendre du patron il le devenait à son tour.

Ma mère resterait avec nous ainsi que mon frère Joseph et ma sœur Marie, il y avait du travail pour tous

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