1850, le bourg, commune de La Chapelle Achard
Jean Aimé Proux
Allongé sur ma paillasse dans ma sous pente, mon esprit se remémorait ma séparation d’avec la famille Joubert. Malgré mon age avancé je serais bien resté avec eux, c’était ma famille et je les côtoyais depuis ma tendre enfance. Enfant, ma tante m’avait servi de mère, adolescent j’en tombais éperdument amoureux et adulte je me surprenais à avoir des envies érotiques à son égard, son mari Narcisse, m’avait aidé dans mon développement, m’avait montré le travail de le terre comme l’aurait fait mon père ou un frère aîné, je les aimais tous les deux et ne plus les voir me fendait le cœur.
Je n’avais d’ailleurs pas perdu qu’eux , leurs enfants mais aussi mon frère et mes deux petites sœurs. Chacun de notre coté , domestique et servante, nous eûmes à nous déshabituer les uns des autres.
Il le fallait, j’avais vingt six ans et je devais m’établir, Narcisse ne me donnait guère de gages, juste le gîte et le couvert. J’étais donc pauvre comme Job et j’avais à peine une chemise et une culotte pour me changer .
Ma réputation était bonne à la Chapelle Achard et on se souvenait de mes parents.
Je fus donc embauché chez monsieur Aujard un gros propriétaire cultivateur et père du maire du village de surcroît.
J’avais trouvé la bonne place, le patron était bon et la patronne Olive Genaudeau d’assez bonne composition, j’effectuais mon travail, ma rémunération était correcte et nous mangions comme les patrons. Mais ce qui m’agréait encore plus, c’était la présence de Rose, la petite servante. Elle avait dix sept ans, mon dieu quelle divine créature. Un corps de rêve, fière, altière, volontaire, j’en aurais bien fait mon après dîner. Je ne sais si cela était raisonnable, mais croyez moi j’ai tenté ma chance. Elle m’a provoqué, énervé, excité mais ce feu follet n’a jamais été à moi, dommage. Mais elle rêvait meilleur parti, je ne lui en voulais pas, de toute façon je tombais amoureux de toutes les filles que je rencontrais.
Il n’empêche, entre domestique nous aurions du nous entraider et mieux, nous entre aimer, la surprise pour moi vint de ma patronne, accorte femme, sur qui le temps n’avait guère eut de prise, mise comme une bourgeoise, les mains blanches d’une belle dame, les cheveux bruns à peine veinés de traits blancs, une peau préservée des agressions champêtres. Sa taille était encore fine et sa poitrine non touchée par l’apesanteur des années qui passent, un jour que je montais du bois, je trouvais qu’elle me regardait d’un air bizarre.
Un autre jour occupé à graisser les cuirs de leur bel attelage, je la vis entrer dans la remise, elle minauda, se rapprocha et me fit sentir qu’elle pourrait ne pas être cruelle envers moi.
Il était fréquent que dans nos campagnes, les patrons ou propriétaires profitent de la précarité de l’emploi et de la jeunesse des domestiques ou servantes. Les malheureuses déniaisées au débotté finissaient souvent à la rue avec le ventre rond et leur baluchon. Par contre je n’avais jamais entendu dire qu’une patronne s’était donnée à son valet. Mais la nature humaine est bien mystérieuse, peut être que mon monsieur trop occupé au conseil municipal ou bien lassé par les années de la chair tendre de son épouse ne l’honorait il plus avec la constance des premières années .
La brave femme pouvait être aussi atteinte d’un regain d’envie, celui qui précède à la vieillesse féminine, une dernière flamme, une dernière lueur.
Il y avait beaucoup de problèmes en suspend, je ne savais comment m’y prendre, j’avais peur d’être surpris et je risquais de perdre ma place. Lutiner une femme qui ne vous appartenait pas était très grave et je risquais la prison, mais en plus une femme de condition supérieure cela touchait à l’inconscience.
Mais bon voilà la chair est faible, elle se donna et je la pris.
Ma jeune vigueur remplaça mon manque d’expérience et la bourgeoise apparemment en fut satisfaite.
Je m’en tirais à bon compte, je serai moins bête lors de ma nuit de noces, et j’avais la satisfaction diffuse d’avoir transgressé un interdit.
La vie m’était donc belle, j’avais un bon lit de drap blanc en coton, moins rêche que celui en lin du foyer de ma tante, les repas étaient donc copieux et maintenant j’avais en plus du beurre le cul de la crémière. Monsieur Aujard avait plusieurs métairies et exploitait en propre une terre au moyen de journaliers et de moi même. Mais comme j’avais aussi leur confiance, j’entretenais leur attelage, m’occupais des chevaux, cultivais le potager qui se situait derrière la propriété et j’entretenais le jardin d’agrément. Bien sur au moment des gros travaux agricoles je quittais ces bricoles et maniais la charrue et la faux comme les autres.
J’avais mon dimanche et bien sur les fêtes religieuse comme le tout à chacun, entendons qu’il fallait quand même nourrir les bêtes, sortir l’attelage et panser les chevaux au retour du maître. Mais bon ne nous plaignons pas ma situation aurait pu être pire, d’autant que parfois la chair blanche et les froufrous soigneux de ma vieille amante égaillaient mon quotidien.
J’avais aussi les visites à la famille, la fratrie dispersée était encore à portée de marche.
J’étais aussi invité à bon nombre de mariage, à des degrés divers j’étais apparenté au marié mais parfois en tant qu’ami et surtout en tant que fameux danseur, j’aimais bien ces noces, on y mangeait fort bien, le vin était tiré en abondance et les filles et femmes enivrées par le vin, la musique et la danse baissaient la garde des convenances.
N’allez pas croire que cela finissait en ribaude, mais parfois dans la chaleur d’un paillé une blanche colombe était mangée par un prédateur. De toutes façons de nombreuses rencontres et des accords d’épousailles se faisaient aux grès des vapeurs éthyliques de notre piquette vendéenne.
C’est comme cela d’ailleurs que j’ai rencontré ma future, j’avais été invité à la noce au François Barreau et à la Louise Ponteleau, je n’étais pas de la famille, mais j’étais bon ami avec François et j’avais aussi de loin courtisé la mariée.
Au cours de la noce j’ai remarqué une drôlesse qui me regardait d’un air amouraché, c’était la nièce de François, la petite servante de la Crépaudière.