1849, métairie de l’Auroire, commune d’Aubigny
Marie Anne Tessier
Comme je vous l’ai déjà dit, chez nous il y avait quatre couples qui se partageaient le territoire de la communauté.
Pierre mon beau père âgé de 73 ans et ma belle mère 55 ans occupaient une position centrale dans la pièce commune, elle était malgré son age, encore une femme à part entière avec les mêmes soucis que nous et le Pierre bien que septuagénaire l’honorait de temps à autre. Outre qu’elle criait encore comme une vierge effarouchée, le matin on voyait à la mine fière et réjouie du père qu’ils avaient eu un rapprochement.
Lui s’en vantait quand il avait bu mais elle, baissait la tête en rougissant considérant que faire l’amour sans intention de procréer était un péché.
Par contre nous autres les jeunes nous nous en donnions à cœur joie, c’était un concert ou chacun en tentant de ne pas faire de bruit éveillait en fait la curiosité des autres.
Nous avions aussi chacun nos lieux secrets pour éviter une proximité malsaine, bien sur tous savaient à quoi s’en tenir, qu’en l’un sortait pour l’étable suivit de son conjoint, nous savions qu’il ne fallait point les déranger.
A ce rythme les annonces commencèrent, Marie Anne nous annonça au début du printemps 1848 qu’elle promenait, puis un peu plus tard le Pierre Richard goguenard nous avertit qu’il avait rempli la Louise, quand à moi je le sus au mois de décembre quand mes menstrues disparurent.
Nous étions contentes, Louise et Marie Anne en étaient à leur premier et moi au second, bon j’aurais aimé attendre un peu car Charles n’avait que deux ans et me tétait toujours allégrement.
Moi qui naïvement croyait que le fait d’allaiter m’empêcherait d’être grosse, vous parlez d’une surprise.
Toutes trois avec nos gros ventres nous avions fière allure, ma belle mère se lamentait en disant qu’elle allait tout faire dans la maison et que la métairie deviendrait trop petite.
Ce fut Marie Anne qui délivra en premier, à vingt sept ans c’était donc son premier, Auguste son mari avait déjà un fils de douze ans qu’il avait eu de son premier mariage avec Marie Jeanne la grande sœur.
Nous l’avons assistée et la sage femme n’eut même pas le temps de venir. Un petit garçon tout gros et rose comme un porcelet. Le bougre avait de la voix et les semaines suivantes furent pénibles à tous.
Le grand père hurlait qu’il allait le balancer aux cochons si il ne se taisait pas.
Puis le mois suivant , Louise accoucha d’une petite pisseuse qu’ils prénommèrent Louise, mon Charles, l’Auguste et Pierre le père se prirent une cuite mémorable, ils rentrèrent à la métairie saouls comme des polonais. La petite princesse fut sage et on ne l’entendit point.
Moi alors que les fortes chaleurs arrivaient j’étais grosse comme une vache, mes pieds gonflés ne rentraient plus dans mes sabots, je soufflais, suais et étais bonne à rien. Avachie sur le banc de pierre devant la maison, j’attendais la délivrance , ma belle mère toujours gentille disait que de son temps les femmes allaient au champs jusqu’au dernier jour. Justement celui ci vint alors que j’étais seule, la vieille était partie au village, mes belles sœurs aux lavoirs, j’allais au puits pour tirer de l’eau fraîche, quand un liquide me coula le long des jambes. Je savais pertinemment ce que cela signifiait. Je suis rentrée et me suis mise sur mon lit. Lorsque tout le monde est rentré, j’avais fait le plus gros du travail et la tête apparaissait déjà, on mit les hommes dehors et toutes m’aidèrent comme elles le purent . J’eus donc mon deuxième garçon, mon beau père rigolait comme un enfant, Charles se félicitait d’avoir de bonnes graines, l’avenir chez les Guerin était assuré.
La maison se transforma en pouponnière, trois berceaux et mon aîné qui peinait à marcher, sa grand mère disait y fera pas long feu le chacro.
J’avais repris ma place à la ferme, nous laissions les enfants emmaillotés, comme cela ils ne risquaient pas de bouger. Le soir, ils étaient couverts de merde et de pisse mais la crasse rendait un enfant costaud.
Même époque aux alentours du moulin du Beignon, commune de Sainte Flaive des Loups
Au fur et à mesure que les années passaient le père Guerin ne pouvait plus courir les chemins à la recherche d’un trésor qui devenait hypothétique mais Charles son fils y retourna sur les lieux avec son beau père Henri Tessier. Bien déterminés cette fois à trouver le magot. Le moulin tournait toujours et les deux hommes s’approchèrent, un jeune meunier sortit d’un appentis et leur demanda ce qu’il voulait.
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La dernière fois que je suis passé par là j’ai eu affaire à une jeune fille
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Une jeune fille ?
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Oui une jeune bergère
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Oh sûrement ma sœur
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Que lui voulez vous
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Lui parler
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Elle n’est plus là, elle habite aux Sables
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Les terres sont à vous
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Non, ils sont à ma mère
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On peut la voir
Une vieille dame appuyée sur un bâton sortit alors du moulin, Charles prit le parti de lui demander si elle connaissait la famille de la métairie brûlée. Elle se cabra aussitôt et se mura dans un silence qui en disait long. Charles insista.
La pauvre femme se décida et nous fit entrer dans sa demeure.
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La métairie était à mes parents
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Ils ont été tués par des patauds
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oui
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Vous étiez sur place
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Oh oui
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Vous savez ce qui est advenu aux soldats bleus
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Peut être
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Vous savez que des paysans ont vengé vos parents
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Peut être
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Nos pères en étaient
La farinière sut immédiatement ce que venaient faire les deux hommes, depuis un demi siècle, sporadiquement des inconnus fouinaient dans les parages.
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On vient chercher quelque chose qui appartenait à nos ancêtres
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tient donc, et quoi
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Ça vous regarde pas la mère
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Alors si cela ne me regarde pas foutez moi le camps
Charles avait avancé ses pions trop vite, la maline se referma. Le trésor était probablement sur les terres du moulin, sans l’accord des propriétaires aucune fouille ne pouvait être réalisée. De plus les gendarmes à cheval patrouillaient bien souvent la région et des ennuis étaient à craindre.
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Nous cherchons un coffre qui leurs appartenait
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Celui qu’ils ont volé vous voulez dire
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Ils ont repris ce qui leur était dû
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je crois pas que les autorités actuelles verraient cela de cette façon.
La vieille eut donc confirmation de ce qu’elle avait vu lors du massacre des siens, pourquoi ces idiots n’étaient il pas venus plus tôt
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Cherchons ensemble et partageons
Un accord fut conclu et les paysans décidèrent de revenir les semaines suivantes.