1846, l’Auroire, commune d’Aubigny
Marie Anne Tessier
Tous ces arrangements communautaires furent bouleversés, car un mois après notre mariage ce fut la Marie Anne âgée de 24 ans qui maria le veuf de sa sœur l’Auguste Gilbert. Il avait trente sept ans et neuf ans de veuvage.
Mon Charles qui parlait comme un charretier, » bon dieu l’Auguste y va jamais réussir à la monter la Marie Anne y va pu savoir faire, c’est sur. »
Cela faisait un peu arrangement de famille, Auguste il avait vu grandir la petite, mais c’est justement parce qu’il l’ avait un peu trop vue qu’il l’épousa. A force de se côtoyer de si près, un homme en mal de femme et une jeune fille débordante de féminité ne pouvaient que se permettre quelques privautés.
Pour dire le couple se retrouva dans notre chambre, je ne sais si au niveau de la morale c’était bien convenable mais nous n’avions pas le choix. Auguste et Marie Anne étaient on ne peut plus démonstratifs et elle d’une impudicité complète. Charles avait beau être son frère, elle aurait dû quand même montrer plus de correction.
Le mois d’après ce fut pour moi la délivrance.
Mon dieu je sus désormais pourquoi on appelait le lit des parturientes un lit de souffrance, j’avais l’impression que mon ventre allait exploser, le diable ne voulait sortir, pousse, pousse, rien et encore rien. La nuit fut longue et au petit matin alors que plus personne ne s’y attendait et que tous sommeillaient j’expulsais le fruit de l’amour en une dernière poussée. Tout vint, bébé, sang, eaux, placenta, une véritable débauche. Épuisée mais heureuse du résultat, un petit mâle tout rond et tout gras qui gueula tout de suite haut et fort.
On avait récupéré un petit lit en osier et le bébé momifié y vécut ses premiers temps.
La coutume voulait que l’on donne le prénom du père, ce fut fait , on décida que le parrain serait Auguste, mon petit se prénomma donc Charles Auguste.
Avouons le il fut de suite un brave gueulard, un vrai cauchemars, avec ma belle sœur nous nous relayâmes, nos hommes dormaient comme des loirs. De toutes façons ils ne s’occupaient pas des enfants qu’ils nous faisaient, ils en auraient été incapables.
J’eus donc la joie de commencer ma vie de mère de famille, elle se couplait avec ma vie de femme, menstrues, montée de lait, risque de grossesse et satisfaction journalière de nos mâle en rut. Comme si nous avions plusieurs vies, nous assurions les tâches ménagères, cuisine, lessive, corvée d’eau, culture du potager, soins aux animaux de la basse cour et traite des vaches, sans oublier un peu de couture, du filage et du tissage. Nous étions en plus obligées d’assurer quelques menus travaux agricoles, moisson, semailles, ramassage des foins. Première levée, dernière couchée, Charles qui s’endormait assez vite hurlait quand je ne le rejoignais pas avec promptitude.
Malgré tout nous étions heureuses et fières de ce que nous faisions, toutefois les femmes s’usaient assez vite et les vendéennes de quarante ans paraissaient être des vieilles octogénaires.
L’année suivante ce fut ma belle sœur Louise qui se maria avec le bonhomme Richard Pierre, il avait trente quatre ans et elle dix neuf, je trouvais cette différence énorme mais bon apparemment c’était dans les normes. Je n’avais pas mon mot à dire sauf que le couple s’installa à l’Auroire, si cela continuait on allait crever misère, les terres n’étaient pas extensibles.
Quatre couples dans une même métairie cela revenait à mettre quatre coqs dans le même poulailler. Cela ne durerait pas longtemps.
Les conflits viendront des deux beaux fils, qui n’entendaient pas être considérés comme des domestiques, en fait c’était peut être pire que de la domesticité car au moins ces derniers avaient des gages, hors le vieux Pierre et aussi Charles s’imaginaient que le gîte et le couvert valaient salaire
C’était discutions sans fin, mais nous nous doutions comment cela allait finir. Avec mes belles sœurs nous nous entendions bien, nous rigolions de bon cœur et chacune confessait ses petits secrets d’alcôve
Un jour mon beau père décida que Auguste et Pierre ses beaux fils iraient labourer un champs et que lui et Charles avaient à faire sur Sainte Flaive des Loup, affaire de famille nous dirent ils. Ce que je ne savais pas c’est qu’en chemin ils retrouvèrent mon père.
Moi je me tus mais je me doutais qu’ils allaient jouer les explorateurs près du moulin du Beignon.
Quelques choses leur appartenant y avaient été enterré. Vieux rêve de richesse que ce trésor révolutionnaire dont le vieux Pierre ne se rappelait plus l’emplacement exact.
Les hommes quand ils ont une idée en tête mieux vaut ne pas insister.
Sur place ils ratissèrent la zone, firent des cercles concentriques autour du moulin. Ils finirent par trouver la métairie en ruine.
Après Pierre se souvenait avoir pris un chemin et être tombé sur une clairière où ils avaient tué les soldats.
Après quelques circonvolutions ils la trouvèrent enfin. Pierre était fébrile, il avait peur de tomber sur les fantômes de la métairie, si la première fois il n’en n’avait point rencontré il serait revenu bien plutôt.
Le problème était qu’il ne se souvenait pas dans quelle direction ils étaient partis quand ils avaient fui, Henri Tessier qui venait à la suite de son père n’en n’avait rien recueilli de concret quand ce dernier lui avait révélé son secret.
Non encore une fois il ne trouverait pas ces foutus rochers et ce triste chemin. Le coffre allait pourrir et les pièces se disperser.
Puis un nom revint à la mémoire du vieux Pierre, comme un tiroir coincé qui voulait bien s’ouvrir, nom de dieu je me souviens, avec nous il y avait un nommé Pierre Le tard de Saint Julien des Landes. Peut être bien qu’il était encore vivant.
Ou qu’il a déjà récupéré le magot, car lui il s’en souvenait de l’emplacement.
Charles décida de se charger de retrouver la trace de ce Pierre, dès le dimanche il irait à Saint Julien pour interroger les habitants, ils avaient de la famille là bas cela ferait moins louche. Car le paysan est soupçonneux et poser des questions sur quelqu’un c’est invariablement le prévenir de votre visite.