1846, la Mancelière, commune de Venansault
Victoire Epaud
Comme tous les enfants j’écoutais un peu aux portes, j’étais assise sur la grosse pierre qui nous servait de banc juste devant l’entrée et je nettoyais mes sabots sur le décrotteur en fer qui était scellé au mur.
Mon père Victor faisait face à ma mère en une discussion assez vive. Je savais d’avance ce qui allait se passer, car voyez vous, mon paysan de papa si imposant par la taille et le physique ne résistait guère à l’éloquence de maman. Cette expression est peut être exagérée et par trop bourgeoise, je devrais plutôt utiliser le mot verve. Ma mère maniait les mots aussi bien que mon père conduisait son attelage et c’était peu dire. Hors donc mère finissait toujours lors d’une conversation à avoir le dernier mot.
– Je te dis que mon père m’a confié un secret
– Un secret ?
– Oui pendant la guerre avec un groupe de villageois, ils ont récupéré un trésor.
- Oh rien que ça
– Oui
– Et où est ce qu’il est le trésor au Jean
– Prés d’un moulin enterré sous un gros rocher.
– Des moulins y’ en a partout mon pauvre bonhomme et la seule chose que ton père a ramenée de cette foutue période c’est une maladie honteuse qu’il a refilée à ta mère.
– Je te dis que c’est vrai
– Et pourquoi donc qu’il a pas été le rechercher lui même depuis le temps, pourquoi ?
– Bah je crois qu’il ne connaissait pas l’endroit précisément .
– Et toi nigaud tu vas le trouver.
– J’ai ma petite idée.
– Ah parce que tu as des idées maintenant.
J’entendis mon père claquer la porte et gueuler un retentissant tu m’emmerdes.
Je savais que ma mère serait de mauvaise humeur toute la journée et qu’il fallait que je file droit.
Revenons un peu à mon père malgré ses élucubrations de trésor enfoui , il était laboureur c’est a dire qu’il possédait une charrue avec un attelage, il travaillait chez des fermiers qui louaient ses services, un peu mieux qu’un journalier qui lui n’avait que ses bras. Il avait déjà été métayer et le serait certainement encore. Tout dépendait des opportunités. Costaud,assez gras, le visage sanguin et rougeaud, mâchoire un peu prognathe et nez épaté, ce n’était pas un bel homme et moi en tant que petite fille il me faisait un peu peur. Il avait 47 ans et était né à Aubigny.
Ma mère s’appelait Louise Rabelot et était la fille d’un farinier, elle avait cinquante deux ans, plus vieille certes que mon père mais faisant bien plus jeune.
Plutôt rondelette avec une poitrine fort généreuse , son visage était poupin, aucune ride, aucun cheveux blanc, bizarrement ses yeux étaient un peu bridés, on aurait dit des amandes.
Je n’étais pas la dernière de la famille, car ma petite sœur Clarisse avait juste cinq ans, maman tout en la choyant, comme elle ne nous avait jamais choyés disait qu’elle n’en voulait pas de cette drôlesse mais que le bon dieu lui avait imposée. J’étais pas une spécialiste mais je ne voyais pas ce que le bon dieu venait faire la dedans. Je savais que les taureaux montaient les vaches, que les juments étaient prises par des étalons et je savais pertinemment que certains soirs à l’abri du lit clos ma mère subissait le joug de son mari.
A dix ans quand on était une fille à la ferme on savait tout cela, l’aîné c’était Jean vingt cinq ans pas encore marié, il travaillait avec mon père, puis venait Pierre vingt trois ans, mon préféré car toujours d’humeur égale et ne manquant jamais de me bisouiller. Ensuite Louise vingt ans, ma grande sœur qui fiançait déjà avec un gars du village, puis Marie dix huit ans qui en toute chose faisait le contraire de ce qu’on lui demandait. A la suite Léontine quinze ans, avec qui je partageais le lit, un drôle d’oiseau cette petite fumelle disait mon père.
Enfin le dernier garçon Auguste treize ans, son avenir était en suspend, restera t’ il avec nous ou sera t ‘il placé comme domestique. Pour sur il coûtera moins, disait mon père car il est pas bien vigoureux.
Encore faudra t’ il lui trouver une place lui répondait ma mère, moi je trouvais cela injuste, Auguste faisait bien chacros et était un peu en retard sur bien des choses mais c’était mon frère et je le défendais en prenant à mon compte certaines de ses bêtises .
Comme je vous l’ai dit ma sœur Louise allait bientôt se marier, elle avait maraichiner un peu en sortant de l’église puis au cabaret et c’était vite accordée avec Jacques Longin.
Par contre Marie elle prenait plaisir à essayer tous les garçons du village, elle avait embrassé à bouche que veux tu bon nombre d’entre eux.
Si elle s’était arrêtée là, rien n’aurait pu lui être reproché mais le dimanche après la messe, elle poussait avec les jeunes paysans les jeux de l’amour. La tradition autorisait que la main de la jeune fille passe dans la culotte du garçon et que celle du garçon se glisse sous les jupons pour des caresses qui avaient pour vertu de révéler une compatibilité réciproque. Mais à force d’essayer tous les futurs possibles sa réputation devenait un peu entachée et les femmes du village commençaient à murmurer.
Elle faisait aussi concurrence à des plus sages et un jour au détour d’un chemin tomba sur deux rivales, le ton monta et les filles se bagarrèrent. Le bonnet de Marie fut arraché les deux pestes voulurent la déshabiller pour la punir de faire la catin.
La lutte fut âpre, corsage déchiré, cheveux arrachés visage griffé, l’arrivée de Pierre mon frère empêcha une plus humiliante correction. Il fallut tout avouer car vue l’état de ma sœur ma mère n’aurait pas manqué de s’en apercevoir.
La correction se fut mon père qui lui administra, devant nous tous réunis, le cul et les fesses marbrés par la ceinture ma sœur, prit la seule et humiliante correction de sa vie à l’aube de ses 18 ans. Mes frères se réjouirent de ce spectacle et moi j’en pleurais de honte pour elle.
Plus jamais elle ne s’attarda au retour des offices et oublia les coutumes ancestrales, elle n’adressa plus jamais la parole à mon père et bouda ses frères d’avoir aimé de la voir punir.