17 juin 1840, La Grignognière, Commune D’Avrillé
Rose Caillaud
Mon Dieu que j’étais heureuse, j’allais assister à mon premier mariage, c’était l’oncle René qui se mariait avec la Rose Papin. Vous parlez d’une animation, toute la métairie bruissait des préparatifs de la noce. Tout le monde était énervé, alors moi j’avais préféré prendre la porte et observer.
Nous nous sommes levés à l’aube car la cérémonie avait lieu à 9 heures du matin à la maison commune d’Avrillé. Nous les femmes nous avions fait toilette, une belle rigolade entre pipelettes, ma grand mère Modeste n’aimait guère se laver et encore moins se montrer nue, alors elle se trempa les mains, se rinça le visage et nous déclara » ça ira bin ». Tante Victoire et ma mère ne firent pas de manière, en rigolant elle se dévêtirent et se nettoyèrent en grand. Elles étaient très belles toutes les deux et j’en fus estomaquée, en fait je crois bien que c’était la première fois que je voyais des adultes dévêtus.
Elle jouèrent comme des folles en s’aspergeant sous les yeux réprobateurs de la vieille qui marmonnait que ses filles étaient des diablesses de se montrer ainsi. Quand elles eurent fini de se draper dans leurs plus beaux atours ce fut mon tour. J’eus droit au baquet, c’était bien mais j’avais 8 ans et je pense que j’aurais pu me laver comme elles.
Les hommes pendant ce temps s’occupaient des animaux, certes c’était la noce mais il fallait quand même faire la traite. Mais je crois qu’au cul des vaches ce jour il n’y eut que le Rivasin Pierre notre domestique, mon grand père René Durand et mon père Joseph Caillaud étaient dans le chai à goûter le vin.
Les oncles François et Augustin les frères de ma mère finissaient de décorer la grange.
Puis le barbier arriva et à la queue leu leu les hommes se firent raser, mon grand père René y passa aussi, il avait les cheveux à l’ancienne mode c’est à dire un peu long, moi drôlesse je regardais tous ces bonhommes avec une sorte d’admiration c’était ma famille.
Nous fumes bientôt tous prêts, Maman, Marie Jeanne et sa jeune sœur étaient resplendissantes, mon père amoureux et déjà un peu gris lui vola un bécot.
Puis arriva la mariée, Rose Papin, alors là quel vilain petit canard, sa belle robe n’arrivait pas à la mettre en valeur, elle arrivait aux épaules de mon oncle qui pourtant n’était pas bien grand.
Mon père fit une réflexion que je ne compris pas à ce sujet mais cela fit rougir ma mère jusqu’aux cheveux.
Enfin bref, nous quittâmes notre métairie de la Grignognière pour nous rendre au bourg, le violoneux entra en jeux et au son strident de son instrument le convoi s’ébranla.
Au fur et à mesure la troupe se gonflait des invités qui nous rejoignaient sur le chemin.
Mon père fut heureux de voir son frère Jacques Caillaux métayer aux grandes Vélisières se joindre à nous.
On longea le bois et grand mère se signa en passant devant les mégalithes du bois de Fourgon, mon grand père lui dit d’arrêter ses bondieuseries.
Après le passage en mairie puis à l’église nous revînmes à la ferme.
C’était le moment de faire bombance, mes parents, mes grands parents et bien sur le marié étaient très fiers car Monsieur le Marquis nous faisait l’honneur de venir boire un verre avec nous.
Ce beau Monsieur élégamment vêtu était notre propriétaire, Amédé Juchereau marquis de Saint Denis
Il habitait au château de la Guignadière et possèdait de nombreuses terres et métairies. On le voyait peu et c’était son régisseur Jean Taveau qui venait prélever tous les ans le bail de métairie.
C’était au vrai un geste insigne de considération, les parents étaient un peu empruntés, baissaient la tête, courbaient l’échine et soulevaient chapeaux. On disait même que le vieux marquis avait déjà été à la cour du roi, celui qui était à Paris et qui était paraît il un cousin à celui qu’avait perdu sa tête autrefois lors de la grande guerre.
La métairie de mon grand père, puisqu’il faut bien le dire le bail était à son nom, était vraiment très belle, un grand bâtiment d’habitation où nous étions à nos aises, un étang une mare des bois , des prés et des terres bien grasses. Cinq hommes de la famille et un domestique de ferme suffisaient à peine à la charge de travail, sans compter bien sur le labeur des femmes
Le maître ne resta pas et nous pûmes profiter de cette fête, le temps était au beau et la noce fut très réussie .
Avant de partir le Marquis prit à part mon père et conversa avec lui, je vis de loin que la discussion s’animait, mais je n’en sus rien de plus, car lorsque mon père regagna la tablée il ne voulut rien dire à ma mère.
C’est affaire d’hommes
Mon oncle René rompit quelques peu la tradition en restant à la métairie avec sa femme, les tractations furent longues, devait il partir chez son beau frère à la métairie de la Charrotière ou rester ici. Mon père disait que le travail ne manquait pas mais le problème venait d’ailleurs. Il fallait loger ce couple et la place manquait un peu, de plus une nouvelle femme qui voudrait régenter la maison ce n’était pas raisonnable.
Ce ne le fut pas mais ils restèrent
On aménagea une chambre dans une espèce de soupente, exiguë certes mais ils avaient quand même un peu d’intimité. Moi je dormais en dessous, c’est bizarre Rose la nuit elle faisait les mêmes bruits que maman.
Dès le lendemain de la noce le travail reprit sur la métairie, nous étions en juin et le labeur ne manquait pas. Moi qui était pourtant bien jeune, j’étais sollicitée à tout va, Rose par ci Rose par là. Maman disait que c’était pour m’habituer à ma future vie de femme.
Moi je préférais bader aux mouches et me grâler au soleil, tout m’attirait et j’échappais souvent à la vigilance des adultes pour partir à la découverte de l’inconnu. J’étais surtout attirée par la métairie de la Violière toute voisine où se trouvait une drollière de mon age.