Ils nous restaient une décision importante à prendre, devait on quitter la rue de la porte neuve et nous installer ailleurs et moi devais je abandonner la maréchalerie paternelle pour m’installer à mon compte.
En examinant nos finances il s’avéra que nous ne pourrions faire les deux, d’accord avec ma femme on décida de prendre un appartement. Nous connaissions beaucoup de monde et pour une somme modeste nous nous installions rue des trois marteaux. Ce n’était pas un château mais au dernier étage sous les combles, deux pièces, dont une aveugle, celle en façade exposé plein ouest nous offrait une belle lumière. Nous disposions aussi d’une petite terrasse sur le toit comme en possède beaucoup d’immeuble à la Rochelle. Trois étages nous séparaient d’une petite cour avec latrines. Un petit paradis en quelque sorte. Pour les meubles et les objets du quotidien nous avons fait le tour de la famille et pour le reste on dut l’acheter. Marie avait un petit pécule et un trousseau quelle s’était confectionnée grâce à ses talents de couturière. A ce propos comme il n’était pas question qu’elle continue son travail de bonne il fut décidé qu’elle s’installerait comme couturière. Son ancienne maîtresse lui assurant avec ses relation une confortable clientèle.
Mon père nous vit partir avec regret, il s’était déjà habitué à une présence féminine chez lui.
Je faisais donc tous les jours le chemin qui me menait de chez moi à la forge.
Le canton des trois marteaux se situait près de la grande boucherie, certes pour nous approvisionner c’était pratique mais quel puanteur. Les abattages se faisant sur place devant ou dans la boucherie, odeur de sang, de merde, de mort. Je remontais donc ma rue, passait la place des trois fuseaux, longeais la boucherie, ensuite c’était la rue Gargoulleau qui débouchait sur la place Napoléon, j’étais presque arrivé, je longeais la cathédrale, regardais chaque jour avec un plaisir renouvelé le clocher Saint Barthélémy et le chantier non terminé de son église détruite, puis c’était l’hôpital Aufrédi. Après c’était ma rue et mon ancien terrain de jeux. Tous les matin j’en humais les odeurs m’en imprégnais pour pouvoir accomplir mon labeur. Ayant respiré à plein poumon l’atmosphère de ma terre, je rentrais me mettre au travail en saluant mon père et mon frère.
Partout des commerces, des auberges, des artisans, des écuries, un vrai spectacle bien différent du quartier de la porte neuve. Moins de beaux messieurs et de belles dames, sans doute la boue sanguinolente et merdeuse de la grande boucherie.
On y voyait que le peuple et moi cela m’allait plutôt. Nous nous installâmes avec le plus grand bonheur, enfin seuls, quelle volupté, nous étions libérés et nos nuits furent fort agitées, nous pouvions faire du bruit et nous pouvions jouir de nos nudités respectives. Bon il faut avouer que de ce coté là Marie était fort prude et elle avait du mal à se dévoiler, elle considérait la nudité comme sale et voir un morceau de chair de ma belle était une victoire. Chaque fois je me devais de combattre pour que ma fleur enlève ses pétales.
A oui j’oubliais, Marie dut fréquenter la paroisse Notre dame, le curé de la cathédrale lui avait fait comprendre que demeurant au canton des trois marteaux il ne pouvait plus la considérer comme sa paroissienne. Qu’ importe, moi je n’y allais que pour les grandes occasions, non pas voyez vous que je ne croyais plus en dieu, mais toutes les bondieuseries qui allaient autour m ‘ horripilaient. Je me serais bien vu avec les protestants pour la simplicité de leurs offices. Mais bon j’étais partagé car la munificence des messes catholiques me fascinait. Par contre quelque chose me turlupinait, la bonne Marie notre sainte mère l’était elle vierge ou pas ?
Ma Marie à moi qu’était plus vierge fut bientôt grosse, ses menstrues qu’étaient déjà pas trop régulières, bah elle ne les avait plus. La nature nous avertissait aussi et les seins de ma femme devinrent généreux, quel délice que ses grosses mamelles qui bientôt ne seraient plus pour moi. Ce qui fut moins marrant c’est les vomissements mais bon c’est la nature.
Nous étions très heureux, Marie travaillait à son ouvrage dans notre pièce principale, elle était privilégiée par rapport à ces pauvres filles des campagnes qui devaient trimer dans les champs jusqu’au terme.
L’été passa et elle fut grandement incommodée par la chaleur les émanations des tueries de la grande boucherie. La fosse d’aisance de l’immeuble nous empestait également, le propriétaire ne faisait rien pour la faire vider et il fallait vraiment ne pas être zirou pour poser culotte dans un tel endroit.
Avec mes voisins nous avons été trouver le négociant qui nous louait les appartements, devant notre virulence il fit le nécessaire. Deux jours plus tard une charrette tirée par deux bœufs avec deux énormes haquets se plaçait devant la maison, commença alors un étrange ballet de porteur de seaux.
Chaque pauvre hère occupé à cette tache allait puiser avec son récipient la merde et l’urine qui se trouvaient dans la fosse débordante puis allait les verser dans les immenses tonneaux. L’odeur était épouvantable et moi qui ne suis pourtant pas délicat j’en avais des hauts le cœur. Les pauvres hommes étaient répugnant de crasse et leurs vêtements ignominieusement souillés. Heureusement Marie avait des mesures à prendre autour de la taille d’une belle bourgeoise de la rue saint Léonard et avec son gros ventre put quitter l’enfer de pestilence qu’était notre rue.
Le 8 novembre 1812, j’étais à peine rentré de mon travail que Marie perdit les eaux, elle avait eu des contractions toute la journée mais ne m’avait point fait chercher, heureusement une sage femme habitait rue des sirènes et elle put assister ma femme. La famille n’eut pas le temps de venir et c’est assistée de cette professionnelle et d’une voisine qu’elle mit au monde mon premier fils. Quel horrible chose, petit, sanguinolent, tout fripé,il fut promptement lavé et emmailloté. Le lendemain c’est tout fier qu’avec mon père et mon oncle nous nous rendîmes à la mairie déclarer l’enfant. Pour tout dire on se laissa tenter par quelques pichets et c’est fort éméché que je rentrais à la maison.
Après une haute lutte on obtint qu’Antoine fut baptisé à la cathédrale, l’ancienneté de la présence de notre famille dans ce quartier nous permit d’obtenir ce passe droit. Ce fut mon frère le parrain et ma belle sœur Marie qui fut marraine, nous avons partagé un petit repas à l’issu mais il nous fallait reprendre notre ouvrage, les chevaux n’attendaient pas.
Hélas au bonheur succède souvent le malheur, le petit ne prenait guère et un matin j’entendis un cri strident, Marie se tenait devant moi, tenant Antoine dans ses bras, roide, les yeux clos, un léger sourire sur son petit visage, il était mort.
Malgré la mortalité infantile que nous savions importante, nos larmes se joignirent et de concert nous pleurâmes notre petit. Avec mon voisin on déclara le décès. Le lendemain dans une carriole à main, enroulé dans un linceul de drap blanc je portais en terre le petit corps au cimetière de Saint Éloi.