Les guerres Napoléonienne se poursuivaient et l’ogre corse tentait de poser sa patte sur le peuple ibérique, toujours plus d’hommes pour alimenter les charniers du Bonaparte.
Cela ne se passa pas comme prévu, mais passons, les bourbons d’Espagne furent par un tour de passe passe remplacé par Joseph Bonaparte. Ce bourgeois homme d’affaires avisé se serait sans doute passé d’une telle dignité mais les ordres du frère cadet étaient les ordres.
En revenant de Bayonne, l’empereur et sa femme Joséphine, passèrent par La Rochelle. ce fut un beau chambardement en ce samedi 6 août 1808. Notre maire le Paul Garreau en était tout empressé . Il faut bien dire qu’il œuvrait pour la ville car lors de la création des préfectures se fut la ville de Saintes qui avait été choisie, injustice que tout cela et son rêve et son combat étaient que notre cité prennent la tête du département de Charente inférieure.
Bref il fallait épater la galerie, concours du peuple, acclamations, fleurs, obélisque, discours, ville propre et tentures.
Notre majesté arriva par la porte Saint Nicolas, normal il venait de Rochefort, la garde Nationale attendait avec tout le conseil municipal, moi j’étais dans la foule avec mon frère. Le carrosse s’arrêta des belles jeunes filles remirent des fleurs à Joséphine et Garreau notre maire remit les clefs de la ville au divin empereur. Cérémonial bien huilé Napoléon lui dit de les garder. Quelques coups de canon et le cortège pénétra en ville, la foule était nombreuse et je gueulais que tout à chacun. Petite rive, grande rive, rue de la grosse horloge, rue chef de ville et rue porte neuve ou les souverains se reposèrent en l’hotel Poupet. Ils étaient près de chez moi et je me voyais déjà ferrer les chevaux de sa majesté. Bon il n’en fut rien, Napoléon repartit à cheval après s’être restauré, suivit par son fidèle serviteur monsieur notre maire.
Les rues étaient jonchées de feuillage et les plus riches avaient pendu des tentures à leurs fenêtres.
Et vive l’empereur et vive l’impératrice.
Après avoir fait le tour du bassin à flot qui venait d’être terminé, il visita le chantier de construction naval, le port et sa jetée. Il rentra par la place d’armes et passa devant chez nous. Mon père en laissa tomber sa rénette. Nous étions tous sur le bord à lancer des vivats.
Il ne daigna nous lancer un regard et se rendit en son palais. Il reçut encore quelques solliciteurs puis repartit, il n’avait honoré notre ville de sa présence que quelques heures.
Mais elle dut lui faire bonne impression car 2 ans après le siège la préfecture fut transférée à La rochelle, Paul Garreau avait gagné.
Bon quand à moi, l’empire ou la royauté je m’en foutais, cela nous étions en guerre contre pas mal de monde et il fallait des hommes pour serrer les rangs. J’avais vingt ans, pas de femme j’étais donc bon pour le tirage au sort.
Cela se passa devant la maison commune, une grande urne avec des numéros, chaque conscrit inscrit sur la liste tirait un bulletin, puis le chiffre était important plus vous aviez des chances de ne pas être pris. J’eus de la chance et je tirais l’un des numéros les plus éloignés. Mais bon comme le grand guerrier en demandait toujours plus vous n’étiez jamais bien sur de partir . Il fallait que je trouve une épouse au plus vite.
J’eus du mal à la trouver, j’étais encore jeune, pourtant j’avais pris de l’assurance avec les filles et lorsque l’une d’elle me plaisait je lui faisais une cour pressante.
Les bonnes fortunes ne se bousculèrent pas, mais je garde quand même un très bon souvenir d’une petite bonniche de la rue Chaudrier qui ne me fut pas farouche. Je ne pus en faire ma femme, car elle repartit sur Paris avec ses maîtres.
En fait je n’avais d’yeux que pour une seule, la forge donnait sur la rue et le ferrage des chevaux se pratiquait dehors. Un jour que j’étais entrain de procéder au déferrage d’une patte arrière d’un magnifique cheval de labour, une belle drôlesse passa devant moi, je faillis en laisser tomber mon dérivoir, fière, altière même, de grande taille aux hanches bien dessinées, une poitrine opulente jaillissant du corsage de la belle. Les cheveux blonds cendrés comme on en voit très peu chez les filles du coin, des yeux bleus comme le bleu du ciel océanique, une bouche pulpeuse et rieuse.
J’en fus stupéfait et j’en tombais pour l’heure éperdument amoureux. Mais qui était cette belle domestique portant une cruche d’eau ?
Je continuais mon ouvrage sans conviction et mécaniquement, heureusement le cheval était docile. J’enlevais prestement avec ma tricoise le fer usagé, puis avec l’aide de ma rénette je parais et nettoyais le sabot de la bête.
Ensuite un bon coup de rogne pied pour enlever l’excédent de corne, avec finition à la lime, j’aime le travail bien fait et la réputation des maitres Sazerat à défendre.
Nous avions des fers de toutes tailles, mais il fallait ajuster en fonction de la taille du sabot, je fis rougir mon fer au foyer de la forge et je le présentais à chaud.
L’odeur de la corne brûlée qui d’habitude me comble d’aise ne me procura aucune satisfaction tant je pensais aux courbes de la vision miraculeuse qui était passée devant moi.
Je rivais le fer en prenant soin de ne pas blesser le cheval, l’opération est délicate car les rivets passent à quelques millimètres du pied.
Quand j’eus fini je retrouvais le paysan qui m’avait emmené l’animal et on se versa un petit coup d’eau de vie, c’était la tradition, y a pas à déroger. Le laboureur qui payait à l’année repassa la porte Neuve et rejoignit ses terres. Personne ne payait à chaque ouvrage et le recouvrement était parfois difficile, le père sortait souvent de ses gonds et les mauvais payeurs dûment insultés pouvaient passer leur chemin. Mais là aussi c’était la tradition on topait là en buvant un canon.
La journée fut longue et je pensais sans cesse à la diablesse au nom inconnu.
Ma nuit fut agitée et mon corps en réagit en conséquence.