Mairie de Vouharte
Dans la salle communale du petit village de Vouharte en Charente, Jean Baptiste Heriard fait les cent pas.
Maire de ce petit bourg paisible baigné, par les eaux limpides du fleuve Charente, il est ce que l’on peut nommer un notable de province, cultivateur, propriétaire. Il est issu d’une famille roturière mais qui par les places qu’elle occupe dans la magistrature et l’administration, se pique de fréquenter la petite noblesse Angoumoisine.
Jean Baptiste Héviard sieur de la Ronde habite au Breuil, hameau du village et éloigné de lui de quelques encablures. Il est l’ un des principaux propriétaires du bourg et c’est naturellement qu’il fut choisi comme représentant de la commune au début de la révolution.
Il officie depuis 1792 et remplace monsieur le curé dans la rédaction des actes que l’on nomme maintenant l’état civil.
En 1789, c’est à lui que fut confié la rédaction des cahiers de doléances. Il est instruit, accessible à tous, juste avec ses fermiers, il est respectable et fort respecté.
En ce 12 mai 1795 il n’est plus un jeune homme et ses 69 printemps lui pèsent parfois, grand, corpulent, une forte bedaine, un teint coupe rosé dut aux excès bachiques, un nez proéminent où se promènent de fortes veinules. Dignement vêtu mais sans ostentation, il en impose à ses proches, il commande et sait se faire obéir.
Son énervement va grandissant car justement en ce jour, quelqu’un le défie et ose ne pas se présenter à une convocation officielle émanant de son autorité municipale.
Assis derrière la table de délibération, deux hommes attendent également, silencieux, par respect ils n’osent engager une conversation de peur d’encourir les foudres de sieur Hériard. Antoine Courtain et Jean Bloin sont aussi cultivateurs propriétaires et exercent la fonction d’officier municipal. Coqs de village, ces deux êtres redoutés par les autres villageois sont loin d’avoir le charisme du maire. Mais les temps sont troublés et la terreur et ses dénonciations toujours présentes dans les esprits. Ces deux frustres en profitent et pressurisent leurs concitoyens.
A l’angle opposé assise sur une chaise, une jeune femme la tête penchée en avant et regardant ses sabots, patiente également avec les édiles.
Jolie sans être belle, petite, les hanches larges prêtent à la maternité, la poitrine ferme et redondante semblant vouloir sortir de son corsage. Une petite coiffe blanche sur ses cheveux bruns fait ressortir la teinte halée de son visage de paysanne.
C’est la Catherine Bonnemain, la fille au Pierre que l’on nomme Châtain pour le démarquer de ses homonymes et s’y retrouver dans cette famille prolixe du Breuil.
Elle a 21 ans et pour quelques minutes doit encore être appelée la femme Godichon.
Car en effet à sa demande et à celle de sa famille elle va disposer à son avantage d’une toute nouvelle loi qui permet de se séparer légalement de son conjoint.
De mémoire de paysans, une union même malheureuse est une union indissoluble. Ce décret instaurant ce qu’on appelle le divorce, est une abomination, mais une loi est une loi et chacun peut en disposer.
A onze heures après une heure d’attente Jean Baptiste Hériard, maire du village de Vouharte prononce en vertu des pouvoirs que la loi lui confère, son premier divorce et le premier également de la commune.
« Je prononce en ce 23 floréal an 3, le divorce entre Jean Godichon cultivateur demeurant actuellement sur la commune de Xambes et Catherine Bonnemain demeurant en celle de Vouharte, pour le motif et à la demande de Catherine Bonnemain, d’absence du dit Godichon au domicile conjugal depuis plus de 6 mois. Ce domicile ayant été stipulé sur le contrat de mariage comme étant celui de Catherine Bonnemain»
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