LE MARIAGE DU FORCAT

 

De nos jours il n’est pas rare qu’une personne condamnée à de la prison et incarcérée obtienne l’autorisation de se marier avant sa libération, c’est presque banal et nul ne s’en offusque.

Mais qu’un homme condamné à être déporté dans une enceinte fortifiée par un conseil de guerre obtint ce privilège en 1872, l’histoire valait d’être contée .

CITADELLE DE SAINT MARTIN DE RÉ

NOVEMBRE 1872

Dans le couloir de la prison, les bruits de pas des deux hommes résonnaient, au loin des hurlements d’hommes enfermés. En vêtement sombre de coupe élégante le directeur Mr Harger était accompagné d’un gardien en uniforme. Ce dernier, trousseau de clefs à la ceinture,  ouvrait et refermait chaque porte dans un crissement métallique qui déchirait lugubrement le silence du lieu.

Par régime spécial dans une chambre de sous officier à l’écart des autres condamnés se trouvait un homme. La quarantaine, dans la force de l’age, assit sur une simple chaise de paille, Henri de Rochefort Lucay regarda entrer l’homme qui incarnait son incarcération. Entre l’intellectuel et le fonctionnaire s’était même nouée une sorte d’amitié. Mr Harger respecté de son personnel et des prisonniers était la justesse et la droiture nées, il s’efforçait avec ses moyens d’adoucir le quotidien des hommes qui allaient être déportés en Nouvelle Calédonie.

  • Monsieur Rochefort, votre demande a été acceptée.

  • Vous allez pouvoir vous marier.

  • Je vous en suis infiniment reconnaissant

  • Ma contribution n’est que modeste Mr le marquis

  • Vos amis et notamment Mr Albert Joly y ont contribué bien plus que moi.

  • Certes mais votre diligence à transmettre mes courriers et à adoucir ma détention m’ont permis d’obtenir cette faveur plus facilement.

  • Je crois m’être laisser dire que l’amitié de Mr Hugo et celle puissante d’une haute personnalité sont à l’origine de votre condition du moment.

  • Oui c’est exact, mais l’opinion publique ne doit rien en savoir.

  • Vous allez être extrait de la citadelle et conduit à Versailles, trois gardiens vous accompagneront.

Mais qui était cet important personnage protégé en haut lieu et qu’avait il fait pour être condamné à une telle peine ?

Mr De Rochefort né en 1831 à Paris était un journaliste de renom ayant exercé sa plume au Figaro puis à la  » Lanterne  », journal qu’il fonda.

Il exerçait une réelle influence sur ses lecteurs, ce que ne pouvait tolérer le gouvernement de Napoléon III, violemment hostile à l’empire il goûta de ses geôles, notamment à sainte Pélagie et la forteresse de l’île d’ Yeu.

Libéré il était parti rejoindre le grand Victor Hugo en son exil à Bruxelles. Il fut nommé Député et créa un nouveau périodique qu’il appela la  » Marseillaise  ». De nouveau la prison après que le gouvernement ait obtenu sa levée d’immunité parlementaire .La chute de l’empire le délivra et triomphalement Rochefort devint membre du gouvernement de défense Nationale.

Ce fut pour lui un triomphe mais la roche Tarpéienne n’était pas loin du Capitole, les parisiens se révoltèrent et Rochefort prit alors position pour ces révoltés, ( enfin plus ou moins ), l’armée légale reprit Paris et massacra ceux qu’on appela les communards. Ce fut une véritable tuerie où les plus chanceux furent déportés. Henri fut condamné pour incitation à la révolte et se retrouva une fois de plus dans les geôles de l’état . De prison en prison il se retrouva à Saint Martin avec plusieurs centaines de condamnés politiques. Sous l’influence de son ami Victor Hugo qui s’entremit auprès d’Adolphe Thiers, tous les recours jouèrent en sa faveur pour retarder sa déportation et aussi améliorer son quotidien en la citadelle de l’île de Ré . Il eut donc des conditions de détention largement favorables par rapport à ses codétenus. L’argent qu’il possédait lui permit également de fort bien cantiner. Il eut même l’inspiration et le loisir d’écrire un roman* .

Seulement notre influent personnage qui par ses écrits aurait pu saper n’importe quel gouvernement avait une faiblesse . Cette dernière, louable à tout points de vue était l’amour qu’il portait pour une femme et les enfants qu’il avait de leur union.

Ce couple non marié avait jusqu’à maintenant fait fi de toutes les convenances, vivant dans le péché et procréant de même.

Ils s’étaient rencontrés dans les années 50 et étaient tombés amoureux l’un de l’autre, ils avaient eu trois enfants, Noémie, Henri, et Octave. Noémie et Octave se nommaient Rochefort Lucay mais Henri portait le nom de sa mère.

Les années étaient passées, Rochefort était au sommet de sa notoriété, mais Marie Renauld se mourait, sentant que sa fin était proche , elle voulut régulariser son union devant les hommes et devant Dieu. Elle n’avait que 38 ans et son homme maintenant emprisonné allait certainement être déporté en Nouvelle Calédonie, ce n’était qu’une question de temps. Mais justement du temps elle en manquait, s’affaiblissant tous les jours d’avantage. Elle avait trouvé refuge dans un asile tenu par des religieuses de la congrégation des Augustines sis au 9 de la rue des Bourdonnais à Versailles.

C’est donc avec bonheur qu’elle accueillit la bonne nouvelle au début du mois de novembre 1872.

Les amis d’Henri avaient fait le nécessaire.

Début Novembre, Rochefort fut extrait de sa cellule et conduit en calèche au petit port de Saint Martin ou le vapeur  » Jean Guiton  » lui fit traverser le pertuis jusqu’à La Rochelle. Ils montèrent dans un train et le long voyage commença jusqu’à Versailles. Bien plus rapide que les chevaux ce nouveau moyen de transport révolutionnait alors le territoire français.

A Versailles il fut conduit à la prison Saint Pierre, le mariage aurait lieu le lendemain.

Henri ne dormit guère, l’angoisse de revoir un être aimé en sachant que cela serait la dernière fois le bousculait au plus profond de lui même.

Le 6 novembre 1872 à 8h 30, 2 voitures partirent de la prison, dans la première, sorte de landau loué pour la circonstance se trouvaient Rochefort et trois agents. Dans l’autre voiture de remise, un officier de paix et trois autres agents complétaient l’escorte.

L’affaire avait été tenue secrète et aucun comité d’accueil n’attendait au couvent.

Henri fut introduit au parloir puis à la chapelle où il se confessa. Il rejoignit ensuite ses témoins, il serra tour à tour dans ses bras ses quatre témoins, Albert Joly son ami avocat qui négocia pour lui cette faveur, Jean Marie Destrem journaliste et romancier, Ernest Blum 36 ans homme de lettres et Victor Hugo 44 ans, homme de lettres et accessoirement fils de son père.

Henri vêtu d’un habit noir, ganté était pâle comme la mort quand il entra dans la chambre, il était 8 heure 45, les agents restèrent dans le corridor.

Couloir Sainte Marie au deuxième étage, chambre 3, un petit lit métallique, des meubles jaunes et des rideaux blancs masquant une petite fenêtre. Marie tente de se redresser lorsqu’ Henri pénètre dans la pièce, atteinte d’une paraplégie de la moelle épinière tout effort lui cause des douleurs insoutenables. Elle balbutie  » Henri  », ce dernier sanglote et l’embrasse sur le front. La tristesse s’empare de tous les acteurs de cette cérémonie qui d’habitude génère de la joie.

Le maire Monsieur Rameau pénètre enfin, accompagné du représentant du ministère de l’intérieur Mr Foligny, de l’abbé Barbet vicaire de Saint Louis de Versailles et de l’abbé Bourgeois qui vient par ailleurs de confesser Rochefort.

Mr Rameau commence la cérémonie et après les formules d’usage déclare Mr Henri de Rochefort Lucay marié avec Marie Anastasie Renauld. En outre par ce mariage les trois enfants issus de leur union se trouvent légitimés.

Ayant donnés leur consentement, le forçat et la mourante sont désormais mari et femme.

Marie au moment du jugement dernier souhaitait pour cette union une bénédiction religieuse, Rochefort n’y tenait évidemment pas mais céda à la malheureuse.

Mr Barbet maria donc religieusement les deux êtres qui allaient bientôt se séparer définitivement.

A l’issue les deux époux eurent 30 minutes de tête à tête, ce qu’ils se dirent resta pour toujours leur secret. Henri sombre, nerveux et déchirant ses gants repartit vers sa prison Versaillaise et le lendemain sa citadelle Rhétaise.

Marie Anastasie Renauld femme Rochefort Lucay mourut dans la chambre où avait eu lieu  son mariage, le 17 avril 1873, les témoins ne furent plus des hommes en vue mais deux simples marbriers.

Henri Rochefort perdit son appui lorsque Thiers fut remplacé par Mac Mahon et fut transporté le 8 août 1873 sur la  » Virginie  » pour le conduire lui et ses coreligionnaires en Nouvelle Calédonie.

Il n’y resta guère car de l’île Ducos où il se trouvait, il réussit l’exploit de s’échapper.

Mais ceci est une autre histoire.

Source : Archives numérisées Versailles, journaux de l’époque et le  »pénitencier de Saint Martin de Ré  »par Monique Jambut.

2 réflexions au sujet de « LE MARIAGE DU FORCAT »

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s