LES 21 MARIAGES D’AIZENAY, 8 FÉVRIER 1747, ÉPISODE 1

 

Déjà liés par un inextricable réseau familial, enchevêtrement indissoluble de sang mêlé, nos ancêtres étaient également associés étroitement à leurs congénères par d’autres liens.

Tous étaient groupés autour de leur village, le clocher servait de repère et son église de lieu de réunion, la fabrique y décidait de tout et pour tous. Le cimetière dont les frêles tombes n’étaient pas encore reléguées à l’extérieur du bourg ,était un lieu d’échanges et de conversations. Chacun se croisait en ces lieux, s’y aimait, s’y détestait, mais s’y connaissait.

Liés par la famille et le village, ils étaient également soudés autour d’une même glèbe, le temps de l’isolement dans des cabines de tracteurs n’était point arrivé et l’ensemble des travaux agricoles se faisaient en commun, du plus jeunes au plus vieux , hommes et femmes suaient sur les sillons de leur labeur.

Il n’était pas de tâches qui ne s’effectuaient en commun, les femmes lavaient leur linge sale ensemble au lavoir, y discutaient et s’y disputaient, les hommes effectuaient également les corvées en groupe.

Les naissances et les morts avaient lieu presque en public et les affaires privées de chacun étaient connues de tous. Lorsque un convoi funèbre se rendait en triste procession au champ de repos, tous baissaient la tête et soulevaient chapeau.

Bref la vie se passait en communauté et ce qui se passa le 8 février 1747 dans le village d’Aizenay en la province du bas Poitou aurait pu se passer dans n’importe quelle province du  » bien aimé  ».

En cette matinée du mercredi 8 février, le père Belleuves et son vicaire Menanteau savaient que la journée serait rude.

Ils finirent leur repas du matin servi par leur vieille servante et se rendirent à l’église où les attendaient une bien dure besogne.

Grand, mince, le visage glabre il émanait de lui une sorte de sérénité qui en imposait à ses ouailles, ses sermons étaient écoutés et redoutés et tous se pressaient aux prônes du dimanche. Le père Belleuves était arrivé à Aizenay en 1733 et depuis il connaissait par cœur l’ensemble de ses paroissiens, rien qui ne lui soit caché, la vie en communauté nuit au secret. Aussi gros que son curé était mince le vicaire Menanteau trottinait à ses cotés, le travail ne manquait pas, la paroisse était très étendue, maudit pays avec ses chemins boueux fermés par un fouillis inextricable de haies, ses métairies lointaines dont il revenait crotté, car adjoint de sa seigneurie il se tapait les sales besognes.

Mais enfin il avait échappé à la condition de pauvres hères, guenilleux courbés sur le soc il ne devait donc pas se plaindre.

Mais pourquoi se pressaient il tous deux en ce mercredi d’hiver ?

Dans toute la paroisse l’effervescence régnait depuis plusieurs jours, dans bon nombre de maisons, de fermes, de borderies et de métairies, des femmes s’activaient à de multiples préparations culinaires, d’autres s’efforçaient de nettoyer les granges et de les décorer. Pendant ce temps les hommes achevaient en des poignées de mains viriles d’accorder leurs violons sur les contrats qui allaient unir leurs progénitures.

Les notaires du canton tenaient séance ouverte à l’auberge pour rédiger en quelques lignes les contrats qui allaient réunir pour la vie la jeunesse du village.

Jamais de mémoire de notaire ni de curé autant de mariages allaient être célébrés le même jour et en même temps dans le village.

Qu’avaient il donc tous ces jeunes à vouloir prendre femme en même temps ?

Au vrai le mois de février était sans conteste dans le monde paysan le mois des mariages, placé entre Avent et le Carême il permettait ainsi de faire bombance sans tomber dans le moindre péché et de pouvoir évidement consommer le mariage sans encourir les foudres du curé. Éloigné de tous les travaux agricoles du printemps et de l’été il permettait aux paysans de se marier sereinement. Le choix du mercredi tombait également sous le sens, pas de mariage le vendredi car jour de deuil, pas le samedi car le mariage durait deux jours minimum et on empiéterait sur le dimanche jour du seigneur, restait le lundi mais on ne pouvait commencer les préparatifs le dimanche, le mardi sans que l’on sache pourquoi était le jour des cocus, restaient donc le mercredi .

Il était maintenant l’heure de se réunir pour de multiples familles, pour certains d’entre eux le chemin serait long jusqu’au village.

Sur l’ensemble de la paroisse, les même scènes, des paysans endimanchés se formaient en une longue procession. Le musicien était  en tête de cortège avec  les mariés et la famille proche, suivaient dans l’ordre les parents éloignés et les amis.

La principale difficulté pour nos familles avait été de trouver un musicien, car il n’était tout de même pas banal de voir célébrer 21 mariages en même temps et il avait fallu prospecter assez loin pour en trouver un, et les prix étaient montés quelque peu. Ne pas avoir de musiciens pour la noce eut été un déshonneur et la quête avait été acharnée.

Heureusement il y avait quelques mariages où les familles étaient communes.

A la Paponnière, les familles Rouillé et Baranger se liaient entre elles, Mathurin Rouillé et Pierre Baranger, les pères avaient scellé d’une poignée de mains la liaison entre leurs enfants.

Mathurin Rouillé épouserait Louise Baranger et Louis Baranger se marierait avec Jeanne Rouillé, outre l’économie d’une seule noce avec partage des frais, les parents ne fournissaient pas de dot, car celles s’y s’annulaient. Pour des familles pauvres, sans terre n’y biens l’opération était bonne.

Les deux familles de toutes façons se connaissaient de temps immémoriaux et étaient originaires de la Chapelle Palluau , une commune située juste à coté. Les quatre mariés étaient domestiques de ferme, gens de rien dormant dans des mansardes, les écuries, les étables ou les granges, sensiblement du même age ils appréhendaient un peu la vie de couple mais allaient enfin vivre leur vie de femme et d’homme. Ils avaient revêtu leurs plus beaux atours, les hommes avaient offert une bague en cuivre à leur future, chacun rayonnait.

Au bourg un défilé un peu moins joyeux se préparait, Pierre Chevillon, grand, gras, avec un embonpoint de bourgeois avait conclu mariage avec la petite Catherine Blanchet. Pierre la trentaine triomphante tenait fermement par le bras celle qui bientôt aux yeux de l’église et de tous serait sa femme.

Catherine, petit bout de femme, légère comme un fétu de paille, une taille de petite fille, la poitrine à peine naissance n’en menait pas large du haut de ses treize ans. En vérité elle ne connaissait guère son futur, son père avait négocié avec cette famille de fariniers, c’était une bonne affaire.

Catherine allait passer du statut d’enfant à celui de femme, à peine réglée elle allait subir une sorte de viol légal au cours de sa nuit de noces. Sa sœur en quelques mots lui en avait conté le déroulement elle en tremblait d’avance.

Du moulin à l’église il n’y avait guère de chemin et le cortège tarda à s’ébranler.

Au Puy Poitevin à la ferme des Chaillou, le mariage de Louis Chaillou et de Louise Gauvrit se préparait activement. Au village du Vrignon les préparatifs de mariage de son cousin Pierre avec Marie Eriaud étaient maintenant terminés. Ayant de la famille en commun, il fut envisagé un temps de ripailler ensemble, mais chacun voulant montrer à l’autre le peu de richesse qu’il avait, ils firent finalement noces séparées. Jean Perochaud, beau frère de Louis et cousins des deux mariés seraient cités comme témoins pour les deux mariages.

Les troupes joyeuses au son de la viole prirent le chemin de l’église, tout le monde était heureux à l’idée de la fête.

2 réflexions au sujet de « LES 21 MARIAGES D’AIZENAY, 8 FÉVRIER 1747, ÉPISODE 1 »

  1. Ping : LES 21 MARIAGES D’AIZENAY, 8 FÉVRIER 1747, ÉPISODE 2 | Arbre de vie

  2. Bonjour.
    Vendéenne, j’ai lu avec intérêt et passion votre billet sur les 21 mariages d’Aizenay.
    J’ai vu qu’il y avait eu également 2 mariages le 9 février et 6 le 13 février. Pensez-vous que cela puisse avoir un lien avec le mariage du Dauphin, le fils aîné du Roi Louis XV, célébré le 9 février 1747 à Versailles ?
    Bien cordialement
    Véronique CHOU DEBORDE

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