A une époque ou il suffit de tourner un robinet pour avoir de l’eau, il nous est difficile d’imaginer les innombrables difficultés qui se présentaient à nos ancêtres pour se procurer le précieux liquide.
Qu’il ne faille pas s’imaginer une consommation aussi importante que la notre, les gens utilisaient l’eau pour s’hydrater, faire cuire les aliments, nourrir les bêtes et pour quelques usages professionnels qui en requéraient . Bien sur nos ancêtres se lavaient parfois, mais point tous les jours et loin s’en faut, lorsque l’eau est difficile à faire venir on y fait attention.
Dans les villes où sont présents des fleuves ou des rivières, le problème était résolu, mais quand était il dans les agglomérations non baignées par ces sources inépuisables ?
Intéressons nous un instant à la petite ville de La Rochelle, nous sommes en 1839, la glorieuse localité en ce milieu de 19ème siècle ronronne à l’ombre de ses murailles obsolètes, la population est d’environ 20000 habitants, c’est peu mais pour les ressources en eau disponible cela est déjà beaucoup.
Aucune source ne venait sourdre et les quelques puits creusés dans les caves des maisons souvent envahis par de l’eau saumâtre ne pouvaient suffire aux besoins de la population Rochelaise et aux nombreux bateaux qui faisant escales, remplissaient leurs tonneaux. La ville ceinte de murailles était en outre cernée par de nombreux marais qui à ne point douter ne fournissaient guère d’eau de bonne qualité.
Mais alors comment nos édiles de l’époque avaient ils résolu le problème et l’était il totalement ?
rue de la grille avant son agrandissement, à droite l’hôtel de ville de la Rochelle.
A proximité de la ville se trouvait le petit village de Lafond où de nombreuses sources d’eau douce faisaient jaillir de la nappe souterraine une eau abondante et de bonne qualité.
L’évacuation des eaux se faisait par des petits rus qui formaient le ruisseau le Lafond qui lui même se jetait par une petite vallée à l’ouest de la ville dans l’océan.
( le ruisseau existe toujours et traverse maintenant les parcs de la ville, nous les locaux nous l’appelons peu glorieusement le rio merda ).
On décida donc de capter cette eau et de l’amener en La Rochelle, les travaux s’échelonnèrent sur de nombreuses années. La Rochelle eut enfin ses fontaines. La première fut nommée la vieille fontaine, puis en descendant nous eûmes, la fontaine royale, la fontaine du pilori, la fontaine des petits bancs, la fontaine de la caille et la fontaine de Navarre. Un aqueduc en poterie qui courait dans un souterrain amenait donc enfin de l’eau et remplaçait avantageusement les divers puits préexistants.
Au cours des siècles de nombreux détournements eurent lieu au bénéfice des quelques hôpitaux mais aussi de particuliers, ces branchements sauvages ou larrons étaient évidemment interdits. Ils étaient régulièrement détruits et les récalcitrants étaient amendables. Bien sur de nombreuses dérogations furent octroyées, sources infinies de contestations et de pinaillages .
Ces fontaines de ville tout comme les points d’eau dans les villages étaient un lieu de rencontre, les femmes y faisaient causette, et les hommes y parlaient politique et faits divers.
Remontons le temps et portons nous au niveau de la fontaine de Navarre en 1851.
Le jour commençait à peine à poindre que la température se faisait déjà lourde, la fraîcheur de la nuit n’avait qu’à peine entamé la chaleur caniculaire de la veille. La vieille fontaine de Navarre était encore dans l’ombre. Adossée à une maison face au temple protestant de La Rochelle, petit quadrilatère surmonté d’un toit. La fontaine était alimentée par un petit bassin creusé à environ 3 mètres de profondeur, qui était lui même alimenté par l’aqueduc souterrain qui serpentait dans les entrailles de la ville. Le trop plein partait par un dégorgeoir dans le canal de Rompsay tout proche.
Deux pompes manuelles assuraient la montée de l’eau à la surface dans un bassin en plomb.
Chaque fontaine alimentait un quartier bien défini et gare aux commères et aux garçons d’écurie qui venaient impunément voler le fameux breuvage.
Celle de »Navarre » ou »des récollets » ou bien même de » la philosophie »desservait le vaste secteur qui entourait le temple protestant.
La fontaine se trouvait face à ce temple et ancienne église des récollets
Malgré l’heure matinale les premiers bruits de la rue commençaient à se faire entendre, les roues d’une charrette au loin crissaient sur les pavés, les chevaux des écuries de la rue Saint Michel s’énervaient d’avoir soif et hennissaient de conséquence.
Des sabots claquaient maintenant et les carrioles des sans sels poussées par des femmes se dirigeaient presque en convois vers le port. Des ombres courraient sous les porches, la nuit laissait sa place au jour.
La première arrivée sur les lieux avec ses seaux fut Jeanne Busson, la cabaretière de la rue de La Rochelle, Elisabeth et Adélaide les filles du sabotier Falaise la précédaient de peu.
Jeanne portait bien ses 43 ans, elle s’entretenait et se vêtait avec goût pour attirer la clientèle qui au demeurant était fort nombreuse, car des notaires s’installaient dans l’hôtel d’à coté pour y enregistrer des actes commerciaux . Bien sur son mari était jaloux et en prenait ombrage.
Habillée d’une robe légère sa poitrine opulente s’offrait au regard. Elle actionna la première pompe, l’eau tarda à monter et seul un filet d’eau marron apparut.
- cette flotte est dégueulasse.
- Oui et je crois qu’elle pue la merde, renchérit la jeune Élisabeth
- Des latrines se sont encore infiltrées dans le bassin il va falloir prévenir le fontainier.
Ses infiltrations étaient fort fréquentes car les maisons s’avançaient de façon souvent anarchique au dessus des souterrains.
Élisabeth actionna à son tour la seconde pompe un maigre filet s’écoula, la couleur de l’eau s’améliora un peu mais l’odeur persistait.
- Il faut qu’on fasse couler plus longtemps, fit Adélaïde la petite lingère.
Ce maigre débit risquait de provoquer une file d’attente importante.
Baptiste Coudrin le garçon boucher et Marie Bideau la domestique de la boucherie attendaient maintenant leur tour.
Baptiste grand dégingandé de 23 ans était fort satisfait d’attendre derrière la belle Adélaïde, il la désirait en secret et sa paillasse pouvait en témoigner. A la fontaine il pouvait l’admirer et même l’aider à faire venir l’eau. Il faudrait bien qu’il lui témoigne sa flamme avant de se la faire chiper.
Le beau Gustave Rivail étudiant en pharmacie les avait rejoints, fin élégant et contrastant avec les ouvriers de la rue il venait chaque jour tirer le nécessaire à sa toilette. Sa logeuse s’inquiétait fort d’une telle propreté et lui demandait à tous propos s’il n’était point malade.
La petite Marie à sa vue s’arrêta de respirer, ils échangèrent un regard, elle devint toute rouge et fort confuse.
L’eau nauséabonde s’écoulait hors du bassin et se dirigeait en pente douce vers l’entrée du temple, le pasteur allait encore rouspéter de cette gadoue infâme.
Au rythme ou s’écoulait l’eau chacun risquait d’y passer la journée.
Un ouvrier maçon nommé Rainaud Étienne et qui participait à la construction d’une maison rue de La Rochelle avisa l’assemblée que la fontaine qui se trouvait rue des petits bancs ne donnait plus grand chose non plus et que la mairie avait autorisé l’utilisation du puits qui se trouvait à coté malgré son eau saumâtre.
Celle de Navarre la plus éloignée du réseau ne pouvait donc donner beaucoup d’eau. Si il ne pleuvait pas la tension s’exacerberait.
Gustave et Baptiste pompaient à la place des deux femmes, ils avaient goûté l’eau, elle avait un goût de boue salée.
Marie pourtant pas bégueule jurait que jamais elle ne tremperait ses lèvres dedans.
Michel Babiau le fabriquant d’allumettes, jamais en retard d’un bon mot lui lança qu’elle pourrait au moins se laver le cul avec. La cantonade rigola fort, excepté Gustave qui pinça des lèvres mais qui se retint de s’entreprendre avec le grossier personnage.
Émile l’apprenti Ferblantier fit remarquer.
- c’est normal qu’il ait plus d’eau, hier soir les gens de l’hôpital sont venus remplir des barriques pour arroser le jardin de l’établissement.
- Non de dieu les salopards fit Babiau
- ç’a va pas se passer comme cela…..
Au même moment une charrette menée par un charretier de l’hôpital des protestants et portant trois tonneaux faisait son apparition en remontant la rue de la Ferté. Deux domestiques à l’arrière devisaient des affaires du jour.
- Les voilà qui reviennent
- Je vous garantis qu’ils n’auront pas une goutte de flotte cria Babiau.
Étienne le maçon était parti chercher du renfort sur le chantier et trois malabars couverts de chaux et de poussière et au corps musculeux firent leur apparition.
Le groupe avait maintenant forcit et quelques mégères échevelées hurlaient de concert que le peu d’eau merdeuse qui restait n’irait pas arroser le jardin des parpaillots.
Les trois compères de l’hôpital des protestants qui évidemment ne faisaient qu’exécuter les ordres furent surpris par le déferlement de haine qui les soufflait en plein visage.
Le conducteur fit front , mais tous hurlaient.
- Pas d’eau pour les légumes, on en a besoin pour nos petits
- vous n’êtes pas du quartier, foutez le camps.
- Foutus hérétiques vous prendrez pas notre eau.
- On va vous foutre au canal
- A la flotte
- Au canal au canal
L’affaire était vraiment mal engagée les deux domestiques étaient entrain de se faire arracher les vêtements et les cheveux par les ménagères, le boucher voulait couper les jarrets des chevaux et Jeanne éventrer les tonneaux.
Heureusement pour les trois hommes, Gustave plus raisonné était parti chercher les agents de police municipaux qui se trouvaient au poste de garde de la maison commune toute proche.
L’arrivée des gardes calma tout le monde et ceux ci par précaution donnèrent raison à la foule au détriment des gens de l’hôpital, cela allait encore faire toute une histoire.
Qui pour sa soupe, qui pour ses ablutions, qui pour sa chaux, qui pour ses préparations d’onguents repartis avec ses seaux.
Heureusement il tomba averse dès le lendemain et le bassin fut de nouveau rempli d’une eau presque propre. Une énième visite du souterrain permis de déterminer où se trouvait la fosse d’aisance coupable de la pollution et le changement du siphon du dégorgeoir empêcha pour quelques temps l’eau de mer de pénétrer dans le bassin lors des fortes marées.
Les maçons finirent leur ouvrage, Gustave courtisa la petite Marie et lui demanda sa main, Baptiste séduisit Adélaide qui fort d’un polichinelle dans le tiroir fut virée de chez elle par son père. La belle Jeanne continua de faire fonctionner son commerce en jouant de son opulente devanture.
Ainsi va la vie
Dans les années 1860 un système d’adduction d’eau fut créé amenant le précieux liquide à des bornes fontaines puis chez les particuliers qui pouvaient se le payer.
Fini les rencontres aux pieds des fontaines, fini aussi les disputes, disparue l’eau saumâtre, disparue l’eau merdeuse et contaminée, terminés aussi les lavages de linge dans les bassins des fontaines, aux oubliettes les poissonniers indélicats qui nettoyaient leurs poissons et les bouchers qui rinçaient les boyaux et qui par leurs gestes inconsidérés contribuaient à l’insalubrité publique.
La fontaine de Navarre fut rasée, la maison qui se trouvait à proximité fut écrasée lors de l’agrandissement de la rue de la Grille, il ne reste que le bassin recouvert et invisible et qui sert encore de déversoir et qui se trouve sous la place face au temple protestant .
Pour ceux qui seraient intéressés par le sujet, lire l’excellente étude de monsieur Henri Dannepond » les souterrains et adduction d’eau de La Rochelle »