Autrefois la France était essentiellement rurale et le village où j’habite actuellement ne fait pas exception.
Le Gué d’Alleré est un petit village de 985 habitants en 2018, peu de personnes sont originaires du village car ce dernier a plutôt la vocation d’être un village dortoir . En effet la montée des prix de l’immobilier proche des grandes villes condamne un grand nombre de personnes à un exil dans les villages périphériques.
L’arrivée massive des rurbains a fait grincer bon nombre de paysans qui ont vu débarquer avec inquiétude ces familles chargées d’enfants.
Ce village était donc autrefois peuplé de cultivateurs ou de personnes qui en dépendaient. Les choses ont bien changé car il ne reste plus que 12 ménages sur plus de 250.
La vie agricole persiste néanmoins avec un nombre moindre d’exploitations pour une surface cultivée qui doit être sensiblement la même.
Pour nous résidents actuels du village la vie agricole se limite aux engins que l’on ne peut doubler sur la route, et aux champs de colza qui nous donne des allergies. Mais quand était il autrefois ?
Plongeons dans le temps et arrêtons nous en 1851.
Le village a déjà 870 habitants soit seulement une centaine de moins que maintenant.
Comment était composée la population de ce petit bourg ?
Étiré en longueur le long de la route qui vient de Surgères il est coupé en sa moitié par le ruisseau de La Roulière . Plusieurs chemins amènent à Benon, Rioux, Mille écus, Anais, Ferrières, Bouhet et à l’Abbaye de la Grâce Dieu.
Un bourg principal, le hameau de Rioux et celui de Mille écus, peu d’habitats dispersés exceptés la Moussaudrie, le Treuil et les deux Moulins.
Rien de bien notable dans l’architecture, une petite église, peu de belles maisons, l’ensemble est tourné vers la culture et l’élevage.
Le paysage est peu boisé, excepté le manteau couvrant le ruisseau et le » bois des lignes. »
Les parcelles cultivées sont en lanières et de peu de superficie. La majeur partie est couverte de vignes.
Les vignes en Charente inférieure ( Charente Maritime depuis le 4 septembre 1941 et une loi signée par le Maréchal Pétain ) couvrent les 2/3 de la superficie productive, le morcellement est extrême et très peu d’exploitations atteignent les 10 hectares.
Au recensement de 1851 il y a 265 maisons pour 265 ménages. Beaucoup plus d’hommes que de femmes, il ne devait pas être facile de trouver une épouse.
178 filles pour 214 garçons.
210 femmes mariées pour 209 hommes
36 veuves pour 23 veufs.
Examinons maintenant en détail la population de notre village Aunisien.
Extrême morcellement des exploitations et ce n’est pas un vain mot que de le dire, car ils existent 168 propriétaires cultivateurs, 49 fermiers ( faisant un autre travail en complément ) et 3 métayers.
Ces micros exploitations viables qu’avec de la vigne étaient cultivées en famille, le père et fils suaient souvent cote à cote pour faire donner le raisin providentiel.
Seules quelques exploitations plus grandes embauchaient des domestiques de ferme et quelques journaliers en complément pour faire tourner leurs affaires.
Bien sur tous ont quelques bêtes, vaches, bœufs, ânes , mules, cochons et bien entendu un poulailler, qui apportent par la consommation personnelle ou par la vente un complément de revenu.
Entrons dans le détail, car les paysans sont nommés de différentes façons sur le recensement.
Cultivateur vigneron : 70
vigneron : 150
propriétaire cultivateur : 6
cultivateur : 3
propriétaire vigneron: 2
cultivateur fermier : 1
Comme on peut le voir l’immense majorité cultive la vigne, soit comme cultivateur vigneron qui semble être leur propre patron, soit comme vigneron en tant qu’employé ou comme enfant de cultivateur vigneron.
Très peu ne cultivait pas la vigne, par contre ceux qui possédaient des vignes devaient également cultiver d’autres parcelles, soit pour nourrir leurs cheptels soit pour commercer.
A tous ces petits patrons ou apparentés il faut rajouter 28 journaliers ou journalières qui possèdent un peu de terre et 22 domestiques hommes et 11 domestiques femmes ( domestiques ou valets de ferme ).
Paysans eux même, les Coudrin, Hubert et André sont marchands de vaches ainsi que Pierre Drapeau
C’est donc un total de 452 personnes qui travaillent pour l’agriculture.
Il y a 250 enfants et 79 femmes qui vivent du travail de leur mari.
En conclusion le village est majoritairement tourné vers l’agriculture et particulièrement la vigne.
LES AUTRES PROFESSIONS
Meunier
A cette époque existaient sur notre commune deux Moulins, celui de Mille écus ( sur la colline près du château d’eau ) avec comme meunier Chaignaud François et celui du moulin David ( à l’entrée du village près du rond point ) tenu par Raimond François. Les fils de la maison travaillant évidemment avec leur père.
Charon
Dans cette société rurale la présence d’un spécialiste des charrettes et des roues en bois est familière, Baptiste Pizon et André Avrard ne devaient pas manquer de labeur.
Bourrelier
Un seul bourrelier en la personne de Pierre Jolivet et de son ouvrier
Maréchal
Tous les villages avaient des forges, le Gué d’alleré en comporte 2, celle de Morin André et celle de François Landret. Ces endroits sont le cœur du village où chacun se retrouve pour causer,, boire la goutte et attendre son ferrage.
Sabotier et cordonnier
Personne n’allait se chausser à la ville, Justin Beaujean faisait des magnifiques sabots et Henry Gaquignolle de beaux souliers. 2 autres cordonniers officiaient également sur la commune.
Tisserand
En cette époque on entendait les navettes des 4 familles de tisserand du village dont celle de Jean Chabiron
Bien entendu 2 tailleurs d’habits faisaient les vêtements des villageois et 3 couturières de métier suppléaient aux doigts des paysannes.
Charpentiers, menuisiers, scieurs de long et maçons.
Les maisons étaient faites localement et le travail ne manquait guère, 4 maçons, 2 charpentiers, 2 scieurs de long et 1 menuisier se partageaient le marché.
LES MÉTIERS DE SERVICES
Monsieur Jacques Bonnet tenait avec sa femme une épicerie où chacun trouvait ce qu’il ne produisait pas lui même.
Monsieur Pierre Rouhault faisait école aux garçons et Marie Texier aux filles
Pierre Daunis tenait l’auberge et son fils Pierre faisait fonction de buraliste.
Beaucoup de paysans faisaient leur pain, alors il n’y avait qu’un boulanger qui boulangeait avec son fils, Jouinot Jean et Alexis fils.
Il y avait un garde champêtre se nommant Joseph Boisson, représentant aussi important que le maire il veillait au respect des lois et des réglementations.
L’entretien du village incombait aux 2 cantonniers dont l’un se nommait Etien Pierre.
En l’absence de médecin sur la commune, les femmes accouchaient avec l’aide de 2 sages femmes et principalement de Madame Coudrin Julienne veuve Rousseau.
Au spirituel, Joseph Mestre était curé de la paroisse et sa bonne, Taudière Marie tenait son intérieur.
Outre l’âme de ses paroissiens notre curé devait également s’occuper des indigents de la commune qui étaient assez nombreux.
17 personnes sont indiquées comme telles, beaucoup de femmes en l’occurrence 12, en famille ou bien seules.
La famille de Joseph Barreau, père, mère et les 2 enfants sont signalés comme indigents ainsi qu’une famille de vignerons dont la parcelle devait être bien petite pour ne point nourrir son monde.
Après les pauvres, le village comportait quelques famille aisées avec domestiques
Robin Jean 47 ans, négociant propriétaire et maire du village ainsi que Pierre Petit 48 ans également dans le négoce.
INSOLITE
Le plus incongru dans ce décor champêtre est la présence de deux horlogers, le père et le fils, Pierre et Jacques Beaujean.
La présence d’un chaisier est aussi insolite car le débouché ne devait guère être important ( la capitale régionale de la chaise est plutôt la ville de Marans )
Notons la présence d’un seul étranger le polonais Jacob Jancewiz, ouvrier tisserand . Par quel hasard de la vie ce juif polonais a t’ il posé ses valises en Aunis ?
Voila le tour d’horizon est terminé, gageons que ce schéma devait se reproduire dans bien des communes, un village tourné vers la vigne, de type monoculture. Des parcelles très petites, des gens pauvres vivants encore plus ou moins en autarcie. La présence traditionnelle des artisans de campagne. Une petite aristocratie de négociants en eau de vie occupant la tête de la commune.
Le schéma ne changera guère jusqu’à l’arrivée du phylloxera qui ruina la quasi totalité des vignerons de Charente Maritime, les vignes au Gué d’Alleré furent arrachées et jamais replantées. L’age d’or des eaux de vie était passée et la population du village périclita
Un temps révolu mais qui avait un certain charme, le calme d’une campagne et d’un village devenu dortoir d’une ville…dommage !
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oui, très grand dommage. Ce récit me fait remonter en mémoire, une période que j’ai bien connue en Charente, chez des cousins de ma mère, à côté de Mansle. Je crois que se sont mes meilleurs souvenirs d’enfance.
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