Monsieur Laymond est l’archétype du notable, officier de justice à Saint Jean de Maurienne où il exerce la charge de procureur. Cet office, son père l’avait exercé avant lui, dynastie d’homme de loi , différents régimes étaient passés, eux étaient restés. Pour l’heure sujet du duc de Savoie, accessoirement roi de Sardaigne il n’est plus français depuis le retour dans le giron Sarde en 1815.
Propriétaire aisé il possède comme ses congénères bourgeois des terres qu’il fait exploiter par des métayer et justement en ce 3 mars 1830 il s’apprête à signer un nouveau bail pour sa ferme de Saint Étienne de Cuines.
Embarrassé dans ses beaux habits, Claude Genin que ses proches appelle »Bondu » attend que maître Laymond le fasse pénétrer dans son bureau. Il est très intimidé et pas dans son élément du tout, la maison est vaste, trop belle, les meubles sont massifs et encaustiqués et une sorte de laquais se tient à ses cotés dans une sorte de surveillance.
Bondu a 41 ans et est né à La Chavanne ( Savoie ) l’année de la révolution Française, c’est un rude paysan montagnard dur au travail.
Domicilié à Saint Étienne de Cuines ( Savoie ) il est recommandé par les héritiers de Jean François Bonfils qui exploitait la ferme jusqu’à ce jour.
Enfin il pénètre dans l’antre du maître où se tient un nommé Bonnivard qui va servir de témoin pour le bail qu’il va passer avec Mr Laymond.
Jusqu’à ce jour Claude n’a passé que des baux verbaux mais il semble que les choses doivent changer, de toute façon cela ne changera rien pour lui il ne sait ni lire ni écrire.
Si évidement le propriétaire est à son avantage, Claude ne s’en laissera toutefois pas conter, il connaît les us et les coutumes du métayage, ce n’est pas son premier.
La ferme qu’il se destine à prendre en charge est située au hameau de la combe sur la route qui mène au col du Glandon, à une altitude de 540 mètres, le village n’est guère éloigné et le Glandon coule en contre bas de la ferme.
Des prés, des vergers, des terres labourables, des vignes, des prairies et une écurie située un peu plus haut au Molard composent l’ensemble des terres exploitables.
Le métayage veut en réalité dire moitié, une moitié de la production au propriétaire des terres et l’autre au paysan qui l’exploite. C’est en somme un contrat de location.
Il tend à disparaître aujourd’hui mais représentait en 1830 une part non négligeable des baux ruraux.
Assis à son bureau Maître Laurent Haymond domine les débats, Claude chapeau bas acquiesce de la tête. Pour l’instant le contrat est dans les normes, le bail est de 9 ans sous repentir réciproque de 3 ans. Le paysan ni comprend rien et Laymond lui explique que le bail pourra être rompu au bout de trois ans.
Les deux hommes en viennent maintenant aux conditions générales. Claude devra fournir tous les ans à la Saint André ( 30 novembre ) :
100 quartes* de seigle
50 quartes de froment
8 quartes de châtaignes
4 quartes de Pomme de terres
3 quartes de poire d’hiver
1 quartes de poire beurré jaune
Les quantités sont importantes et de plus Claude devra les livrer à Saint Jean de Maurienne.
La négociation se fait maintenant plus âpre, au sujet du numéraire, Laymond exige 70 livres du Piémont* les 4 première années et 80 livres les cinq années suivantes.
Un quarte vaut en Savoie 13 litres 3 décilitres, 4 centilitres de matière sèche. ( Information fournie par société archéologique de Savoie )
Ces sommes en numéraire ne sont pas à l’avantage du métayer qui doit vendre une partie de sa propre part pour payer le propriétaire or les cours des céréales sont fluctuants ainsi que les récoltes.
Claude accepte les conditions mais le propriétaire exige une chèvre annuellement à charge d’élevage pour le métayer.
Puis dernière survivance de temps anciens Claude devra 2 jours de travail annuellement à son bailleur.
Mais il n’en n’ ont pas fini et Claude devra lorsqu’il quittera la ferme restituer l’entière quantité de fumier et de paille qu’il trouvera en entrant dans la ferme.
Le fumier ayant pour l’heure 18 pieds de long, 9 de largeur et 4 de hauteur.
Les deux associés, si l’on peut dire, s’entendent sur la plantation de pieds de vigne au lieu dit du » Champet », Claude entretiendra les pieds existants et plantera ceux fournis par Mr Laymond.
Comme pour le reste ils en seront de moitié sauf les quatre premières années ou l’intégralité de la récolte sera pour Claude Genin.
Monsieur Laymond charge Genin de l’achat de bétail et lui remet 300 livres à cet effet.
Les légumes qui seront cultivés dans le jardin seront entièrement au métayer.
Voila ils se sont tout dit et le tout est couché sur papier, en bon père de famille ( dans le texte ) comme il se doit, Claude Genin entretiendra la ferme de Mr le Procureur.
Monsieur Laymond signe en premier, le témoin Monsieur Bonnivard en second et Claude qui ne maîtrise point l ‘écriture appose une croix où à coté l’on mentionne que c’est la marque deClaude Genin dit Bondu.
Les hommes échangent une poignée de main et Claude à pieds regagne sa demeure. Il ne prendra possession de la demeure de la ferme de la Combes qu’en septembre, mais il doit ensemencer puis couper les bleds ,c’est dans dans le contrat et dès son retour à Saint étienne de Cuines il commence à s’échiner pour les Combes.
En février 1833, le bail sera dénoncé et Genin reprendra sa liberté. Mais les conditions de départ furent draconiennes et Claude dut rembourser 385 livres en numéraire compris les 300 livres fournit pour l’achat des bêtes.
Il dut en sus rembourser le prêt de 28 quartes de seigles et 4 quartes de froment.
Évidement cela n’exonérait en rien le paiement du cens annuel* pour l’année en cours et le travail jusque en septembre.
En droit féodal, le cens est une redevance due au propriétaire d’une terre, celà a un relent d’ancien régime , un peu comme les journées de travail dues au propriétaire .
Par son départ Claude perdra en outre la récolte des vergers et il dut engraisser la vigne de 40 charges de fumier et planter les perches qui restaient dans le cellier.
Les difficultés étaient fort nombreuses, car le métayer partagé entre les exigences du propriétaire, les aléas météorologiques de cette région montagneuse, la pauvreté des sols et les attaques des nuisibles de toutes les sortes, devait faire face à des problèmes sans nombre. Cette vie poussait bon nombre de travailleurs a quitter la région pour fuir des conditions de travail dantesques et mal rémunérées .
Claude Genin dit Bondu s’éteignit le 28 juin 1846 dans la commune de La Chambre (Savoie ) .
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