Hameau de Pilfroid presque au milieu de la carte
En cet fin d’après midi d’automne, la nuit commence à tomber sur le hameau de » Pilfroid », appartenant à la commune de Verdelot petite ville de Seine et Marne.
Situé sur une colline, la bise glaciale souffle en rafale sur les quelques maisons. Ces modestes demeures semblent ne faire qu’une tant elles sont frileusement regroupées.
Bâties de pierres et couvertes de chaume comme il en est encore l’usage, organisées autour d’une seule pièce jouxtée d’une étable, frustes et sommaires à l’image des rudes paysans qui les peuplent.
Une lueur surgit soudain de la maison de Jean François Hardy, sa femme Rosalie vient d’allumer une chandelle dans son étable.
C’est le signal que chacune attendait, des voix se font maintenant entendre et des silhouettes se dirigent vers la masure éclairée de la lueur tremblotante .
Cette lumière qui illumine la nuit profonde est le phare qui marque le début de la » veillée » où toutes les femmes du hameau vont se réunir pour passer la soirée.
La » veille » comme l’appellent les commères Briardes marque en automne et en hiver les fins de journée, rituel immuable venu du fond des temps, elle est partie intégrante de la vie villageoise et se répète à l’infini sur l’ensemble des hameaux.
Aujourd’hui la soirée se passe donc chez les Hardy, famille de manouvrier dure à la tâche. ancrée de façon immémoriale en la terre de Brie. Rosalie vient donc d’allumer la chandelle qu’elle place sur un bloc de bois arrondi et qui porte au centre une tige d’un mètre de haut sur 4 centimètres de diamètre évidée en son sommet pour y accueillir une chandelle de suif. Ce chandelier sommaire appelé » pieu » est placé par la maitresse de maison au centre de l’étable.
Madame Hardy née Dulphy, 47 ans plus tôt à Verdelot est une forte femme prématurément vieillie par les travaux des champs. Des cheveux déjà blancs, des rides profondes, les mains dures et calleuses qui commencent à se tordre. Une lourde poitrine non retenue, fanée par les tétées,tombe sur un ventre aux plis disgracieux. Elle installe sa chaise et son nécessaire à filer.
Sa fille Rose belle plante à marier de 20 ans attend avec sa mère les premières arrivantes, le fils Alexandre âgé de 17 ans est encore toléré parmi les femmes et se tient coi près des bêtes, il attend son compère Joseph Perrin et surtout la petite Eugénie qui lui plaît fortement.
La première qui arrive est aussi une femme Hardy c’est sa belle sœur Marie, née Moreau elle a 28 ans et vient de convoler avec François le charron, elle amène sa chaise et son bout de chandelle.
A peine installées Louise Angélique Cré veuve Perrin les rejoint, c’est l’ancienne du hameau, elle a 56 ans, mais encore vive et pleine d’ardeur, trop vieille pour se remarier elle veille sur sa marmaille qui essaime dans les environs. Elle aussi à sa chaise et son ouvrage de couture.
Son grand dadais de fils que l’on surnomme Napo se place à coté d’Alexandre. Ce surnom ridicule venant de son troisième prénom, Napoléon que son feu père le berger contestataire avait imposé à la communauté en plein retour du gros Bourbon.
Arrivèrent ensemble, Marie Céline Hochet femme Groizier et Françoise Couesnon femme Cré.
Françoise va saluer sa tante par alliance Louise Angélique Cré et s’installe en cercle avec les autres, suivie de près par son marmot de 3 ans qui se cale entre ses jupes.
Puis arrive enfin Marie Madeleine Remy femme Delaitre 45 ans avec ses deux filles Alexandrine et Eugénie.
Les deux adolescents postés près du cul des vaches ne se sentent plus d’importance devant les deux nymphes de 17 et 18 ans qui prennent la précaution de se mettre à l’autre bout de la pièce.
La dernière, comme de coutume est Marie Hochet la femme du tuilier du » château Launoy Renault » Isidore Groizier, elle a 47 ans et est accompagnée des enfants du premier mariage de son mari.
Toutes sont maintenant en place, ouvrages de couture, filage, cageot de haricots à écosser sur les genoux les conversations s’engagent. La veuve Perrin poursuivant une vieille occupation familiale confectionne même des cajets à fromages. Personne n’est donc inactif, papoter oui mais pas faignanter.
Le froid et les atteintes à la végétation sont pour l’instant le sujet de conversations, puis peu à peu les bavardages portent sur les ragots de Verdelot. Untel va se marier, unetelle est grosse d’un gars de Villeneuve sur Bellot, le vieux vigneron de la Couarde est mort.
La soirée se poursuit et l’on mange quelques noix, l’atmosphère est détendue et le badinage s’arrête sur Marie Moreau qui vient juste de se marier. » Le François l’est il bon au lit ou l’a t ‘il noué.
La réponse est salace, on écarte les petits. Les adolescents n’en perdent pas une miette, la veillée se veut aussi éducative.
Dans l’étable où tous se serrent la chaleur a augmenté, une douce quiétude envahie les corps. L’odeur des bêtes et celle acre des femmes mal lavées se rejoignent. Bouses, urine, sueur et crasse apportent un fort parfum mêlé à la fumée nauséeuse de la chandelle.
Rosalie Hardy la maîtresse des lieux se met maintenant à raconter une histoire merveilleuse venue du fond des temps.
Sachant les mères occupées à ouïr avec attention la belle narration maintes fois rabâchée, les adolescents mâles se sont rapprochés des adolescentes.
Eugénie la plus dégourdie des deux sœurs vole un baiser à Joseph et Alexandre caché par une vache enserre la taille d’Alexandrine, ébauches de jeux amoureux, ils n’iront pas plus loin même si l’ambiance animale qui règne dans l’étable enflamme leurs sens.
Marie Rémy toutefois veille au grain, et d’un regard ordonne à ses filles de s’écarter du fameux Napo, le petit berger dont la réputation de jeune coq trousseur de filles commence à se répandre dans les environs.
La soirée se prolonge les petits s’endorment dans les robes de laine de leur mère, il va falloir clore la soirée car les hommes doivent maintenant les attendre.
Les femmes se souhaitent la bonne nuit, remballent leurs ouvrages, reprennent leur chaise, réveillent les petits. Elles se reverront demain, au champs, au lavoir, à la traite, enfin partout car cette petite communauté fait encore corps entre elle.
Les adolescent tentent d’écarter leurs belles un instant à la surveillance des cerbères matriarches.
Joseph y parvient et par une étreinte témoigne à Eugénie sa juvénile vigoureusité. La petite ne s’offusque pas mais rejoint vite sa mère, il n’est point encore temps de lever cotillon.
Le silence se fait maintenant sur le hameau, chacun a retrouvé la chaleur de son lit.
Louise pense à son défunt Nicolas, Marie repousse les ardeurs de son homme, Adélaide s’endort auprès d’Isidore, la jeune mariée succombe aux assauts de son vaillant charron et nos adolescents rêvent aux douces friandises qu’ils n’ont encore pas le droit de toucher.
Source : La Brie d’autrefois de Jules Grenier
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