Alors que je relisais l’ excellent livre de Philippe Ariès » l’homme devant la mort » mes recherches généalogiques m’avaient porté dans une petite localité du département de la Manche nommée Teurthéville le Bocage. Le chapitre qui s’ouvrait à mes yeux traitait des inhumations et il me vint l’idée de vérifier les dires de l’auteur en étudiant le village de Teurtheville.
La question posée était simple, où étaient enterrés les habitants du village au début du 18ème siècle ?
Si à notre époque le dilemme se pose entre l’inhumation et la crémation, au 18ème siècle, le choix se portait entre un enterrement dans l’église,où sous les bâtiments appelés » charnier, » qui jouxtaient encore les murs du Saint endroit où bien évidement au cimetière.
Choix cornélien, non pas !!!! L’enterrement dans l’église était réservé à ceux qui pouvaient se le payer et les prix croissaient en fonction de la distance qui les rapprochait du chœur de l’église .
Plus on s’éloignait de ce saint endroit plus les prix diminuaient, les charniers qui étaient en quelques sortes des endroits intermédiaires entre l’église et le cimetière avaient également une cote assez élevée.
Les plus pauvres qui finalement n’avaient guère le choix finissaient dans la fosse commune, car les tombes individuelles n’étaient encore que très peu répandues.
Le plus égalitaire des endroits était encore l’ossuaire, car le sous sol de l’église était régulièrement vidé des restes solides des chers défunts afin de libérer de la place pour les nouveaux arrivants. Comme on vidait régulièrement la fosse commune pour faire place nette, les os des pauvres comme ceux des riches se trouvaient mêlés.
Voila pour les sanctuaires, mais que l’on ne s’imagine pas les lieux comme ils le sont maintenant, tristes, silencieux, chargés d’une tension émotionnelle et où chacun se recueille.
Non les lieux bien que remplis de morts étaient bien vivants, le cimetière était lieu de commerces, de rassemblements, de discussions, voir de fêtes. La fosse commune ouverte à tout va, ne semblait gêner personne.
La mort n’était point honteuse et tout le monde vivait avec.
La situation dans l’église était la même et en plus des services religieux elle avait les mêmes fonctions de rassemblement que le cimetière. Endroit privilégié aux sépultures, le sous sol des églises n’était que lieu de repos et le dallage que pierre tombale.
Dans ce chaos de dalles soulevées les émanations méphitiques empêchaient souvent les desservants de poursuivre leur messe et aux villageois groupés sur leur banc de les suivre .
ÉTUDE SUR LA PAROISSE DE TEURTHEVILLE LE BOCAGE
PROVINCE DE NORMANDIE
ANNÉE 1701 1705
Pour cette paroisse on distingue un certain nombre d’endroits bien spécifiques.
En premier lieu le cimetière.
En second l’église ou plusieurs lieux ont la faveur des paroissiens.
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La nef
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l’allée du haut de la nef
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l’allée du bas de la nef
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le chœur
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la chapelle Saint Jacques
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la chapelle de la sainte Vierge
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le portail.
Précisons que le Chœur est réservé à l’élite de la noblesse locale et que l’inhumation dans la chapelle de la sainte Vierge est soumise à l’autorisation des patrons de la paroisse.
Année 1701
28 décès
14 au cimetière
5 dans la nef
3 dans la chapelle saint Jacques
5 allée du bas
1 allée du haut
50% d’inhumation dans l’église
Année 1702
18 décès
9 au cimetière
4 dans la nef
1 allée du bas
1 chapelle saint Jacques
1 chapelle de la vierge
1 dans le chœur
1 église sans précision
50% d’inhumation dans l’église
Année 1703
25 décès
13 au cimetière
3 dans la nef
1 Allée chapelle saint Jean
5 allée du haut
2 allée du bas
1 chœur
48% d’inhumation dans l’église.
Année 1704
25 décès
15 au cimetière
3 dans la nef
2 chapelle saint Jacques
1 chapelle de la Vierge
1 allée du bas
3 allée du haut
40% dans l’église
Année 1705
47 décès
30 au cimetière
10 dans la nef
4 allée du bas
1 allée du haut
1 chapelle Saint Jacques
1 sous le portail
36% dans l’église
Comme on peut le voir dans cette énumération l’habitude d’enterrer ses morts à l’église est bien ancrer dans ce village et l’on peut en conclure que seuls les plus pauvres avaient le droit à la fosse commune du cimetière.
Les habitudes perdureront comme l’indique les chiffres suivants mais diminueront de décennie en décennie
Année 1720
52% dans l’église
Année 1730
29% dans l’église
Année 1740
28% dans l’église
Année 1750
5% dans l’église
Année 1760
15% dans l’église
Année 1770
20% dans l’église
Comme on peut le voir une nette diminution au milieu du siècle puis une remontée juste avant les ordonnances royales interdisant les enterrements dans les églises.
Les dernières inhumations dans l’église de Teurtheville auront lieu en 1777 et seront au nombre de 3.
Le Seigneur du lieu sera enterré dans le chœur , une personne remarquable nommée Suzanne Peronelle sous le portail et un personnage dont l’action nous est inconnue dans la nef.
Comme on peut s’imaginer le sol de cette église devait ressembler à un immense chantier où les odeurs nauséabondes devaient troubler les offices.
Certaines inhumations se faisaient dans des caveaux construits sous des chapelles particulières, mais la majorité n’avait le droit qu’à un espace clos de pierres plates, soit directement sur le sol recouvert par une stèle qui faisait office de dallage dans le saint Edifice.
Les emplacements ne portaient pratiquement jamais de nom et seule la mémoire familiale permettait de s’y retrouver. Les fossoyeurs sur les indications approximatives des parents tentaient des regroupements familiaux. Au vrai ils ne s’embarrassaient guère de scrupules, soulevaient la dalle avec un crochet, déterraient les ossements qui les gênaient, et les empilaient à l’ossuaire pour placer la nouvelle dépouille vêtue de son seul suaire.
On imagine à peine avec nos sensibilités modernes les dizaines de corps en décomposition à peine enfouis sous ces dallages séculaires, émanations, explosions de gaz, bruits, en bref un vrai film d’épouvante. Cela ne troublait guère tant l’enterrement ad sancto avait les faveurs.
Intéressant, merci.
J’ai quand même une perplexité. À moins qu’il s’agisse d’une spécificité normande, je ne crois pas que les « fosses communes » étaient si fréquentes. Les tombes individuelles, c’est vrai, n’existaient guère; mais les tombes familiales, si. Où les générations successives venaient les unes après les autres.
J’en veux pour preuve les très nombreux testaments où le testateur(trice) formule son vœu d’être inhumé « dans la tombe de ses ancêtres » ou « dans la tombe des ancêtres de son conjoint ».
Cordialement
Patrick Dombrowsky
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Similaire aux anciennes coutumes du temps dans les églises du Québec
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Cela parait incroyable, de nos jours, de lire ce rapport à la mort qui entrainait une hygiène déplorable et dangereuse pour la santé des vivants et l’on comprend toute cette impressionnante mortalité que l’on découvre dans les registres paroissiaux et qui était le lot quotidien de nos ancêtres. Merci pour cette étude qui transcrit bien toute cette évolution nécessaire pour endiguer ce cycle infernal de vies et de morts subit par la femme autrefois.
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