Aux pieds du palais de justice de la Rochelle piétinait depuis de longues minutes une foule impatiente. Des ouvriers en blouse, casquette visée sur le chef et des marins en uniforme bleu, bachis de travers et pompon rouge au vent devisaient .
Des bourgeois en paletot, portant chapeau melon courtisaient discrètement des jeunes femmes bien mises . Des vendeuses de sans sel avaient posé quelques instants leurs carrioles et en leur patois bretonnant du quartier grec,commentaient chaudement les événements qui leur valaient cette pause dans leur tournée. Des marmots du quartier Saint Nicolas pieds nus et dépenaillés moquaient un garçonnet huguenot en tenue de marin. Des mères de bonne famille attirées par le spectacle tentaient de soustraire leurs petites filles aux propos salaces des sardinières et des soldats.
Un groupe de gendarmes en armes commençait à s’impatienter de l’attente.
Puis soudain une porte donnant sous les arcades de la rue du Palais s’ouvrit en grand fracas, le spectacle pouvait commencer.
Prison de la ville depuis 1625, l’endroit pouvait accueillir environ 150 détenus, 6 cellules voûtées leurs assuraient une grande promiscuité et une grande précarité. Outre les petits délinquants locaux, marins bagarreurs, filles de joies racoleuses et pochetrons, le lieu était un dépôt de transit pour le pénitencier de Saint Martin de Ré.
La foule en dehors n’attendait certes pas la sortie des donneuses de joie aux gueules fardées , ni celles des marins avinés, mais plutôt les bagnards en partance pour la Guyane ou la Nouvelle Calédonie via Saint Martin de Ré.
Attraction gratuite qui avait la certitude de faire son plein de spectateurs et qui cette fois était assurée d’une grande affluence.
Cette foule des grands jours n’était due qu’à la présence de deux hommes.
A la vue de la dizaine de prisonniers qui sortait, le silence se fit, aucune animosité à leur égard, juste de la curiosité que personne ne s’avisait de trouver malsaine.
En pantalon et en veste de drap grossier, couverts d’un béret, chaussés de sabots de bois, portant un léger paquetage et les mains entravées de menottes, ils se rangèrent dociles entre une haie de gendarmes et de militaires.
Les vedettes du jour qui attiraient particulièrement les regards, se nommaient Dieudonné Eugène et Deboé Jean.
Eugène Dieudonné
C’était on peut le dire des sortes de gloire tant la couverture médiatique de ces années 1912 et 1913 avait valorisé leurs actions.
Les deux compères en effet appartenaient à la plus célèbre bande des annales judiciaires, que l’on nomma la bande tragique ou la bande à Bonnot du nom de son chef.
Ces anarchistes au grand cœur bénéficiaient de l’indulgence de l’opinion malgré le sang de leurs huit victimes, qui entachait leurs mains.
En réalité, seule la vision du nommé Dieudonné suscitait l’attention. Ce dernier venait de sauver sa tête car seul un recours lui avait permis d’échapper à la »cravate à charlot ».
Condamné à mort avec trois autres compagnons le 27 février 1913, il fut sauvé par le compère Callemin qui l’innocenta de tous crimes.
Peine de mort qui fut commuée en travaux forcés à vie. Beaucoup mieux que la mort mais lourde peine quand même pour quelqu’un qui s’avère innocent
Deboé n’était qu’un comparse qui fut condamné à 10 ans de bagne pour recel et association de malfaiteur.
La foule était évidement partagée entre tenants de l’innocence de Dieudonné et entre partisans de son entière culpabilité et de sa participation aux meurtres de la bande tragique.
Le cortège de bagnards s’ébranla bientôt en direction du vieux port de La Rochelle, marchant sur la route pavée, encadré par la foule et les soldats et suivant les rails luisants du tramway pneumatique.
Les prisonniers n’eurent guère le loisir d’observer les boutiques, une pharmacie sur leur droite, la boutique de Cremieux le tailleur, le gantier, le magasin de mode et la boutique qui faisant angle avec la place de la Caille et qui proposait armes , munitions, articles de chasses et vélocipèdes.
Ils passèrent bientôt sous la vénérable grosse Horloge, autrefois entrée de la ville et pénétrèrent sur le vieux port.
La vision aurait pu être inoubliable pour eux si ces hommes privés de liberté n’eussent pas été condamnés à la déportation.
Des dizaines de bateaux alignés comme à la parade dansaient sur la mer calme du havre de la ville blanche. Des gréements aux couleurs chatoyantes apportaient un air de fête à l’endroit.
Le soleil semblait sortir d’entre les deux tours, celle de la Chaîne courte et ramassée et celle dite Saint Nicolas haute et crénelée, penchant vers la mer telle une tour de Pise.
Sur les quais partout des filets, des caisses à sardine et des marins qui s’affairent.
A la sortie de la Grosse Horloge, Dieudonné et consort aperçoivent la statue du grand amiral Duperré, hiératique et tournant le dos à la mer. A ses pieds des fiacres sont stationnés.
A droite de la tour un mur couvert de publicité, » chocolat Meunier, Picon bière, bureau frère, cirque de passage ». Le long du mur une vespasienne d’où sort précipitamment un notable richement vêtu, il se dépêche pour ne pas louper le spectacle.
La troupe aperçoit l’embarcadère et la cheminée du navire ,chargé du transport jusqu’à Saint Martin de Ré.
Certains bagnards relèvent la tête par défi pour fendre la foule qui grossit, d’autres humbles et honteux, accablés de misère marchent la tête basse .
A gauche le café moderne avec sa terrasse, en face la pharmacie moderne, les prisonniers ne prêtent pas attention au paysage, ils pensent à leur famille qu’ils laissent au pays et qu’ils ne reverront probablement pas.
Encadrés par la foule qui cancane, ils passent maintenant devant le café Français puis devant la ferblanterie de la marine. Le trajet est court, presque en face du café restaurant la » Marine » le bateau à roues et à vapeur attend ses passagers.
Les militaires se rangent en un cordon protecteur pour contenir la foule, Dieudonné et Deboé montent sur la passerelle regardent l’objectif puis passent sur le » Coligny ».
Le petit bateau appartient à la compagnie rhétaise » île de Ré », il est correspondance spéciale des chemins de fer de l’état, chargé des liaisons entre le continent et l’île et occasionnellement transportant les futurs reclus du bagne.
Tout le monde s’entasse à bord, le bateau s’éloigne, beaucoup ne reverront jamais le continent. Pour les Rochelais le spectacle est terminé, chacun se sépare et retourne à ses activités. Les pêcheurs s’en retournent ravauder leurs filets, les » sans sel » reprennent leur tournée, les bourgeois retournent à leur cabinet ou à leur commerce, les marins remontent sur le port de La Pallice accompagnés des belles de nuit et les chenapans du port se répandent en nouvelles aventures.
Il faudra attendre une nouvelle fournée pour se délecter gratuitement de cette exposition humaine.
Les gibets, les échafauds, les exécutions, les promenades infamantes faisaient recette en ce début du siècle.
Puis viendra la grande guerre et sa seconde où le peuple pourra de nouveau se repaître.
Gageons que la mentalité n’a guère changé de nos jours et que les spectacles infamants sont toujours des mets de choix pour une humanité se piquant d’humanisme.
Eugène Dieudonné fut enfin gracié en 1927 par le président Poincaré, il s’était évadé l’année précédente, mais avait expié une faute non commise pendant 13 années. Libre et réhabilité, faisant figure d’erreur judiciaire il devint menuisier et mourut en 1944.
Jean Deboé s’évada également et revint en Belgique, il fut une figure du militantisme ouvrier et s’éteignit à l’age de 85 ans en 1974.
Nos deux de la bande à Bonnot ,virent- ils un jour les cartes postales éditées à l’occasion de leur translation ou ignorèrent -ils cette novatrice exploitation des fait divers ?
Certains des lieux décrits dans cette balade existent encore et les bagnards pourraient s’y reconnaître, la foule bien sur a changé, les touristes ayant succédés aux fourmis laborieuses du peuple ouvriers d’autrefois.
Les bagnards condamnés arrivaient par le train à la gare de La Rochelle, puis étaient acheminés en omnibus à la prison du centre de La Rochelle. Ils étaient donc ensuite convoyés à bord du Coligny au port de Saint Martin de Ré.
Du port ils se rendaient à pieds à la citadelle.
Lorsqu’ils étaient en nombre suffisant un voyage était organisé jusqu’à Cayenne.
Du port, des bateaux plats amenaient les détenus sur la »Martinière ou la Loire » bateaux prison qui faisaient la traversée.
Alors là, sont partis à Cayenne en Guyanne….
Connaissez-vous L’Histoire du Bagne en Nouvelle Calédonie avec Louise MICHEL ?
Le bouquin « de Paris à Nouméa »
Histoire des insurgés de la Commune de 1871 déportés en Nouvelle-Calédonie des Editions ORPHIE par Hélène DUPARC
http://brunodesbaumettes.overblog.com/2014/03/nouvelle-caledonie-deportes-de-la-commune-et-d-ailleurs.html
J’ai découvert cette Histoire en Calédonie en 2007 où demeure ma fille et sa petite famille depuis 2002 – le père de ses enfants est Calédonien par sa naissance et Bergeracois ; à fait l’école EIGSI de La Rochelle 7 ans et a fréquenté le Lycée Merleau Ponty de Rochefort en 1ère et Terminale là où ma fille de mêmes classes y était ainsi que son frère le plus jeune – sont ensemble depuis 1992
Bonne lecture
Bises à tout la famille
Martine (lafourasine)
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Bonjour Martine
Je connais bien sur l’histoire de Louise Michel et de la commune, mais je ne connais pas ce livre. J irais faire un tour sur le blog que vous m’indiquez.
Cordialement Pascal
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Très interressant pour moi qui ai vécu 11 ans à La Rochelle, les descriptions des lieux me parlaient beaucoup. Si je peux me permettre, la fausse note serait les dames en crinolines en 1913…. il y a bien longtemps que les crinolines avaient disparu de la garde robe des dames du début du XXième siècle…
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