Lorsqu’il embarque sur le navire le Roland ce 19 octobre 1848, Pierre Besselievre est un matelot confirmé, il navigue de part le monde depuis 1839. D’abord comme novice, puis à partir du 5 août 1844 comme matelot. Fils d’un scieur de long et d’une marchande de fruits, Pierre a grandi rue des remparts au Havre, toujours sur les quais à humer l’air du large et à faire les quatre cents coups au milieu des cordages et des filets, sa destinée était toute tracée.
Son père, solide paysan du bocage n’avait jamais quitté la province Normande et ne comprenait guère les envies vagabondes de son fils. Il ne lutta guère, les seuls embauches vacantes étaient les embarquements.
Les premiers embarquements se firent sur des baleinières, la chasse aux cétacés très prospère en ce milieu de siècle employait beaucoup de navires, rentabilité assurée, mais gros risque.
L’initiation fut rude, mais Pierres s’accrocha, il devint rapidement un vrai loup de mer, les baleinières l’Indien et L’Erigone furent le théâtre de son apprentissage.
De novice il passa matelot sur la baleinière l’Adèle, pendant 3 ans il sillonna les mers du globe en quête du nourricier cétacé.
Le hasard l’emporta, il quitta en 1847 la chasse à la baleine et s’embarqua pour du long cours avec un voyage à la Nouvelle Orléans et à la Martinique. Du navire L’Anna à la Vesta en passant par la belle Créole, Pierre était unanimement apprécié et son professionnalisme fort recherché sur les quais d’embarquement.
Le 19 octobre 1848, il prit place sur le trois mats le Roland, à destination de Valparaiso au Chili.
Le navire juchant 335 tonneaux avait été construit en 1828 sur les chantiers de Bordeaux il appartenait à Monsieur Lamoisse et était commandé par le capitaine Bajoux.
Pierre quitta avec regret les bras de sa jeune femme épousée le 5 octobre précédent. N’ayant que très peu goûté au fruit voluptueux du corps sensuel de la belle Anasthasie, il partit pour la première fois le cœur lourd.
Cette dernière comme de nombreuses autres femmes vint saluer son homme sur le quai. La séparation durera plusieurs mois, la vie d’une femme de marin dans toute sa banalité.
Au physique, Pierre avec ses 1,65 m ses yeux bleus et ses beaux cheveux bruns l’avait envoûté et savait dès le début que les séparations seraient longues et difficiles
Le voyage se déroula sans heurt jusqu’au Chili, l’escale à Valparaiso fut belle et les chiliennes pas farouches. Pierre notre matelot embarqué de 3ème classe goûta comme les autres aux grâces des fleurs portuaires. De la divine Valparaiso, ils firent voiles sur San Francisco en Californie puis sur le port de Mazatlan au Mexique où ils embarquèrent 300 passagers. Le capitaine Bajoux fit mouillé son navire sous le rocher de »Creston ». La tempête menaçant, cette position lui fut déconseillée par le capitaine du port et par le vice consul de France, il s’entêta, confia le commandement à son second et alla couché à terre où l’attendait une jeune mexicaine affriolante .
Rocher de Creston, Mazatlan, Mexique
Puis ce fut le drame, la tempête se souleva très forte en cette nuit du 19 août 1849, le Roland chassa de son ancre *.
Le bateau se rapprochant dangereusement des récifs, le capitaine adjoint et l’équipage se jetèrent dans une baleinière en abandonnant le navire et surtout ses passagers. Conduite criminelle que désapprouva Pierre Besselievre, il resta à bord et tenta avec des passagers de retirer les chaînes des puits afin de les filer jusqu’au bout. La manœuvre tentée resta veine, le Roland chassait toujours, le gouvernail se brisa et le grand mat s’effondra, entraînant dans la mort de nombreux passagers, Pierre gardait un calme étonnant et se multipliait devant les nombreuses tâches à accomplir, mais la tempête eut le dessus et le trois mats s’éventra sur le rocher. Seul l’avant resta à découvert, les passagers qui se jetèrent à l’eau périrent noyés. Pierre Besselievre se réfugia avec 14 passagers sur une vergue, notre héroïque marin tenta à l’aide d’une corde de relier le rocher afin de sauver les ultimes passagers, la corde s’avéra trop courte il dût renoncer. La nuit passa et la tempête cessa, au petit jour ils furent secourus. Pierre était gravement blessé.
Il fut le seul membre de l’équipage à tenter quelques choses, les fuyards malheur à eux périrent,car la baleinière ballottée par les flots fit à son tour naufrage.
Pierre fut congratulé et honoré pour sa conduite, le reste du malheureux équipage fut stigmatisé pour sa lâcheté, mais comme on ne punit pas des morts seul leur souvenir resta entaché d’une vilénie.
Le capitaine Bajoux et son entêtement à mouiller au mauvais endroit fut à l’origine de tout. Il en fut blâmé par ses pères.
Le ministre de la marine et des colonies l’Amiral Romain Desfossé demanda et obtint la médaille de la légion d’honneur pour Pierre Besselievre.
Par décret du 5 août 1850 le Havrais fut donc fait Chevalier de la légion d’honneur.
Pierre eut une fille en 1852 et il mourut le 25 06 1861 à l’hospice du Havre.
* ( Entraîner l’ancre par suite d’une tenue insuffisante de fond. )
Arbre simplifié de la famille Besselievre
Pierre Besselievre le héros de l’article est le fils de Louis Christophe et donc le frère de Dominique , lui aussi marin.
Voir mon arbre sur Généanet (Tramchat )
|Pierre BESSELIEVRE1666-1705
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Louis BESSELIEVRE 1697-1765
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François BESSELIEVRE 1724
Christophe BESSELIEVRE 1752-1830
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Louis Christophe BESSELIEVRE 1783-1844
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Dominique BESSELIEVRE 1823-1870
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Jules Achille BESSELIEVRE 1852-
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Auguste BESSELIEVRE 1894-1982
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Marius BESSELIEVRE 1920-2016
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Nicole BESSELIEVRE 1950-1992
Les sources sont : Journal des débats du 07 août 1850,
Matricules des gens de mer sur le Havre 7ème série 1825 1850.
Rôle des bâtiments de commerce. Bâtiments de commerce, long cours, cabotage
Base Éléonore pour la légion d’honneur
Registres état civil ville du havre
Je ne sais si il y a eut une suite judiciaire à cette affaire et si le capitaine Bajoux a poursuivi sa carrière ?
Je n’ai également pas trouvé la listes des hommes d’équipage pour le voyage ultime du Roland.
Bravo pour ces recherches, Joli travail
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