CHRONIQUE 6 – François et la migration Seine et Marnaise

PARVIS DUN

PARVIS SAINTE AMELIE
DUN LES PLACES

DUN LES PLACES

François fit une dernière fois le tour de sa chaumière,il avait le cœur gros de la quitter.
La demeure familiale faisait partie du hameau du Parc sur la route de Montsauche, le plus reculé de la paroisse de Dun les Places, cinq bâtisses assez semblables se nichaient frileusement dans le pli d’un terrain.
Les demeures Morvandiote étaient construites en granite, de rares ouvertures à travers des mur épais assuraient une lumière pâlotte.
Les toits étaient faits de chaume, François avait refait le sien avec l’aide de quelques paysans de son hameau.
La maison d’une seule pièce comportait peu de meuble, le lit des parents, celui des enfants, une table avec un banc et un coffre où tenait l’ensemble des biens de la famille.
Dans l’âtre un fourneau, dans la bassie une écuelle en bois.
Nul confort, la terre battue au sol laissait passer l’humidité, la présence constante des animaux dans la pièce n’assurait pas une hygiène irréprochable. Les poules, les chèvres et les moutons circulaient sans gène dans la pièce.
Accolé à la maison un appentis où s’entassaient les cochons et les volailles. Devant la porte un tas de fumier se transformait en mare dès les premières pluies et s’écoulait souvent à l’intérieur de la maison.
François Trameau était manouvrier ou journalier, il louait ses bras pour les travaux agricoles, il possédait en propre sa maison, quelques ares de terrain, un potager, cinq cochons, deux chèvres et des volailles.
La petitesse de son terroir ne lui permettait pas de faire vivre sa famille.
Malheureusement ,l’augmentation de la population et la pauvreté du sol faisaient que le travail manquait en Bourgogne, et une grande partie de la population masculine devait migrer vers des contrées plus fertiles.
L’heure de départ approchait, notre homme rassemblait ses hardes nouées sur un bâton.
Quelques provisions étaient rassemblées, du cochon salé, des oignons, et du pain noir. Les repas seraient frugaux, mais François ancien soldat de l’an deux savait ce qu’étaient les marches forcées le ventre vide.
Un œuf prélevé dans le poulailler et qu’il goberait tout à l’heure après quelques heures de marche, serait son seul luxe.
Mais il fallait partir les hommes du hameau se regroupaient, François attrapa sa fille Marie la souleva et l’embrassa sur le front, la petite avait neuf ans et ressemblait à sa mère, des larmes coulèrent sur ses joues, elle n’aimait pas voir partir au loin son père et pressentait chaque fois quelques malheurs.
Dans un coin de l’âtre, l’unique fils survivant du couple regardait avec colère son père, il avait douze ans, il voulait partir avec les hommes, trop jeune décréta son père, il restera avec sa mère et sa sœur.
Jean Louis était la fierté de son père? il était vigoureux, intelligent et très travailleur, le laisser avec sa mère pour travailler les quelques terres de la famille le rassurait un peu.
François en bon époux s’inquiétait pour sa femme, âgée de quarante cinq ans, elle commençait à vieillir.
Françoise Loriot solide paysanne aux cheveux autrefois d’un noir de jais avait maintenant sa belle crinière constellée d’argent, son visage s’était creusé de sillons et son corps se tassait.
Les rudes travaux, les grossesses difficiles, la mort de 6 de ses enfants l’avait vieillie prématurément.
Cette hiver elle avait été malade, une toux rauque dont elle n’était pas remise la tenaillait en permanence.
François l’embrassa dans le cou, il passa sa main rugueuse dans la tignasse blonde de son fils et il s’éloigna.
Le regroupement des hommes du canton se faisait au pied de l’église Saint Marc de Dun les Places
C’est dans cet édifice qu’il avait été baptisé il y quarante cinq ans de cela, ses parents étaient morts depuis longtemps et les trois laissés en haut hormis un vieille oncle étaient sa seule famille .
Depuis des temps reculés les Trameau avaient pris l’habitude de se louer dans la Brie ,cette province à la terre grasse offrait à la belle saison du travail à nos Morvandiaux.
Depuis 1789, la Brie se trouvait être le département de la Seine et Marne, nos anciennes Provinces ayant été découpées en quatre vingt trois départements par décision de l ‘assemblée constituante.
Dun se trouvait ainsi dans le département nouvellement créé de la Nièvre
Mais nos paysans étaient des Bourguignons cherchant du travail dans la Brie et peu leur importait ce nouveau découpage.
François avait deux cent trente kilomètres à parcourir pour arriver dans le petit village de Montereau sur Jard à proximité de Melun siège de préfecture de Seine et Marne.
Six jours de marche par des chemins défoncés, six nuits à la belle étoile en espérant la clémence des cieux. Voyager par ces temps là n’était pas une sinécure
La situation politique était trouble en cette année 1814, un roi de la famille des Bourbon s’était assis sur le trône de France, beaucoup ne savaient d’où il venait tant le souvenir des derniers Bourbons s’était envolé.
Le roi podagre arrivé en même temps que les troupes Autrichiennes, Russes et Prussienne se nommait Louis le dix huitième, frère du gros Capet raccourci par les maîtres de la France en 1793.
Entre les 2 il y avait eu divers gouvernements, la Convention Nationale et ses comités, le Directoire et ses 5 presque rois et puis l’empire avec l’ogre corse.
Bien sur, la nouvelle royauté n’était plus absolue et le pouvoir royal était tempéré par 2 chambres de députés, mais les paysans étaient inquiets pour les quelques miettes de terre qu’ils avaient achetées lors de la vente des biens du clergé.
Les soldats de la grande Armée mis en demi solde propageaient les germes du mécontentement et la peur d’une radicalisation des ultras qui préconisaient un retour à l’ordre ancien, renforçait encore l’inquiétude.
Les routes n’étaient donc pas très sures, nos paysans n’avaient que leurs bâtons pour se défendre contre les bandes de soldats licenciés qui maraudaient pour se nourrir , contre les troupes étrangères qui envahissaient le pays et les Royalistes qui pourchassaient les Bonapartistes.
François n’était ni royaliste ni bonapartiste et encore moins républicain.
Les régimes successifs n’avaient apporté à son niveau de vie aucun changement. Tous les ans il était obligé de quitter sa terre et sa famille et ça aucun gouvernement ni avait apporté changement. Alors peu lui apportait, Bourbon, Bonaparte, Orléans ou Robespierre il marchait, la faim au ventre ( et qu’ils se débrouillassent entre eux.)

MONTEREAU SUR LE JARD.

La route s’était très bien passée, aucune mauvaise rencontre et le temps avait été clément, arrivé à Montereau il se dirigea à la ferme du père Blé  au hameau de Courceau.

C’était une belle ferme, avec une maison de maitre encadrée par des communs, la cour pavée était fermée par l’ensemble des bâtiments.
L’aspect compact faisait penser à un château fort.
Marie Blé fils du maitre des lieux se trouvait sur le perron de la demeure, il vit le groupe de Morvandiaux et reconnu François.
Il ne connaissait pas les journaliers qui accompagnaient le père Trameau mais sa présence était un gage de sérieux et il embaucha le groupe
Nos travailleur n’auraient pas à se vendre à la foire comme beaucoup étaient obligés de la faire.
Le père Blé n’était pas là, mais son fils fit servir au groupe une assiette de soupe et un canon de vin.
Il y aurait du travail pour tous, la récolte serait bonne.
Rien que pour l’exploitation de la famille Blé, ils étaient une dizaine de migrants saisonniers, outre les 3  Morvandiaux, 7 travailleurs du département de l’Yonne avaient réussi à se faire embaucher.
Comme la plupart des paysans, François employait la faucille, 20 ares à la journée était le rendement moyen.
La faux était déjà connue depuis longtemps, mais la multitude de bras et la faiblesse des salaires n’encourageaient pas son emploi.
Sous l’ancien régime l’emploi de cette dernière était même interdit, cette disposition ayant été abolie en 1791.
Bien sur les rendement étaient supérieurs avec la faux, 50 ares à la journée mais les bleds étaient coupés plus court et les pauvres ne pouvaient utiliser la chaume.
La faucille avait aussi comme avantage de ne pas demander une force considérable, les femmes et les enfants pouvaient aussi être employés, diminuant ainsi les coûts de la main-d’œuvre.
Le fils du maitre était partisan de l’emploi de la faux et François savait que quand il prendrait la succession, les moissonneurs devraient se louer ailleurs.
Quelques heures après, l’embauche était confirmée par une poignée de mains entre les contractants, rien d’écrit ni de signé.
François ne savait d’ailleurs ni lire ni écrire.
Les blés étaient murs, le travail commença le lendemain.
Il faisait une chaleur torride, le travail était très dur et François peinait à se relever, ses 45 ans lui pesaient ,il était déjà un ancien et il savait qu’on le prenait parce qu’il était un habitué et qu’il ne rechignait à aucun labeur.
Les moissons se terminèrent, muni de son maigre pécule, François reparti en Bourgogne, il prit le même itinéraire, Melun, Montereau, Saint aubin sur Yonne, Migenne, Auxerre, Avallon , puis sa maison.
Avant d’arriver il fut assailli par un mauvais pressentiment , rapidement confirmé, car en chemin il croisa le curé de la paroisse qui revenait de chez lui.
Il l’avisa que la Françoise était couchée depuis dix jours et que ses prières ne la remettaient pas sur pieds.
François en agnostique qu’il était , se doutait bien que les incantations de son curé ne guériraient pas une femme usée par une vie de labeur.
François courut au chevet de sa femme, ce qu’il vit le consterna, Françoise avait maigri de façon spectaculaire, ses cheveux étaient tous blancs et une toux persistante secouait son pauvre corps décharné.
A coté d’elle un mouchoir teinté de sang ne pouvait que faire craindre une issue défavorable.
Elle était seule, la petite était partie faire paître les bêtes et Jean Louis aidé des hommes du hameau faisait ce qu’il pouvait pour travailler la terre familiale.
François prit la main de sa femme et resta un long moment avec elle.
Ils avaient compris tous deux que la mort était dans la maison, pas besoin de paroles superflues , François et Françoise étaient des taiseux.
Il restait environ 15  jours de vie à Françoise, son homme ne les passa pas à son chevet, les travaux de la terre n’attendaient pas. Il l’ a retrouva morte un soir du mercredi 21 décembre 1814.
Il envoya son fils faire prévenir le maire et le curé et la petite Marie fut chargée d’aller quérir 2 voisines pour la toilette des morts.
L’enterrement se fit le lendemain, une messe et Françoise fut déposée au petit cimetière jouxtant l’église Saint Marc. François offrit un repas aux quelques membres de la famille et aux paysans qui avaient aidé et  veillé avec lui. Il dût également donner quelques pièces pour le curé et pour le fossoyeur.
François se retrouva donc seul avec 2 enfants.
Les mois passèrent, François ne savait que faire il ne pouvait laisser ses 2 enfants pendant qu’il partirait moissonner en Seine et Marne.
La plus simple résolution était d’immigrer dans la Brie. Ses enfants trouveraient plus facilement du travail, la petite se ferait placer comme domestique et Jean Marie se ferait embaucher comme garçon de ferme.
Sa décision était prise, il vendit les quelques biens qu’il possédait , fit ses adieux à Dun, en sachant qu’il n’y reviendrait jamais, les préoccupations qui l’assaillaient , l’empêchaient de penser aux bons moments qu’il avait passé avec sa femme. Ils se mirent en route en juin 1815 à destination de Montereau sur le Jard seul endroit en dehors de Dun qu’il connaissait réellement. François avait entreposé l’ensemble de ses biens sur une carriole trainée par un bœuf. Au rythme de l’animal, le voyage fut long.
Avec l’aide des fermiers de Courceaux la famille s’installa, une petite maison d’une seule pièce, avec un petite dépendance pour le bœuf et la voiture. François travailla aussitôt chez les Le Blé où Jean Louis se fit rapidement apprécié comme garçon de cour. Marie souvent seule tenait le ménage de la petite maison et gagnait quelques pièces en aidant par ici ou par là.

La politique de la France avait été un tantinet agitée en cette année de 1815, Bony s’était échappé de son île et avait mis le désordre dans cette France qui commençait à peine à se remettre des années agitées de la révolution de l’empire. Notre gros roi s’était enfui en abandonnant ses tabatières et avait pris le chemin de Gand, ce qui le ferait appeler plus tard par les libellistes notre père de Gand. Mais nos amis les monarques européens avaient remis de l’ordre chez ces incorrigibles français en battant notre cher Empereur. Ce dernier signa tout ce que l’on voulut, fut envoyé dans une ile lointaine et le dix-huitième revint à Paris. Seulement les choses ne se passèrent pas comme à la première restauration.

En 1814 les étrangers libérateurs s’étaient faits acclamer par les populations et étaient repartis chez eux.
En 1815 ils se firent beaucoup moins applaudir et restèrent jusqu’en 1819.
C ‘est pour cela que des Autrichiens étaient cantonnés à Montereau.
François qui autrefois s’était battu contre les culs blancs en Italie avec le succès que l’on connait sous le commandement de l’enfant chéri de la victoire le Niçois MASSENA , passait au large de l’occupant exécré.

Les années passèrent et la santé de François commençait à décliner, son fils travaillait avec lui, c’était un solide gaillard, dur au travail et dur à la bagarre. Marie était maintenant domestique dans la ferme ou travaillait son père.
François s’éteignit le 19 juillet 1820, Marie Germain Blé cultivateur et François Lelievre charron déclarèrent le décès à la mairie devant le maire Monsieur Garnot. L’enterrement eut lieu le lendemain.

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