LA VIE TUMULTUEUSE DE VICTORINE TONDU, épisode 32, la mort de Maman

En juillet la vieille tomba malade, apparemment et selon les dires du docteur de Coulommiers la gravité de la pathologie ne laissait rien présager de bon. En bref elle allait passer et il fallait que je prévienne mon frère. Je me fis un peu aider par l’institutrice de ma fille Marie Albisse, car si j’avais une belle écriture les subtilités de l’orthographe m’échappaient au fur et à mesure des années qui passaient. Il ne traîna pas mon tonnelier de frère, je le vis arriver un jour en carriole. Magnifique attelage, visiblement ses affaires étaient bonnes, vêtu comme les messieurs de la ville il ne ressemblait plus à ce sauvageon qui mendiait dans les rues de Provins. A ses cotés se tenait roide comme un croque mort un grand dadais, pantalon fuseau, redingote jaune, chapeau, gants et canne, nous nous serions crus au théâtre. C’était mon neveu Victor, il faisait des études d’architecte. Visiblement il eut comme une réticence à me biser, peut être l’odeur ou mon style vestimentaire.

Pour un peu ce couillon aurait serré la main de sa tante. En tous cas cela m’amusa de le voir patauger dans la gadoue avec ses souliers vernis.

Pour tout dire la Mère ne les reconnut même pas, le futur bourgeois crut défaillir tant l’odeur de l’antre de la mourante était prégnante. Si il est vrai, que la mort et la vieillesse ont une fragrance nauséabonde la démonstration en était faite dans la petite chambre qu’occupait ma mère.

Pourtant nous n’avions cesse ma fille et moi de la rendre digne à la vue, mais l’odeur des renvois et des défécations jointes à celles des esquarres, rendait la situation en ce mois de juillet torride presque intenable. L’artisan potelé serré dans sa belle tenue et le bourgeois infatué eurent beaucoup de mal à se soutenir devant la moribonde. Heureusement celle ci compatissante leurs fit grâce d’une trop longue attente et décéda dans la nuit. On expédia au plus vite les formalités car voyez vous pauvre ou bien riche , le corps d’un être aimé devient charogne et la chaleur moite de cet été torride aurait vite raison de l’enveloppe corporelle de ma digne Maman.

Le 24 juillet elle était en terre, un peu isolée en vrai car la première de la famille à mourir ici.

Il n’y eut pas grand monde à l’enterrement, elle n’était pas d’ici et n’avait comme seule connaissance mon mari et mes enfants et bien sur les fats de Villeneuve Saint Georges.

Je ne revis jamais mon frère ni bien sur mon neveu, un monde désormais nous séparait, il avait réussi en son métier et son fils portait de beaux habits avant de se faire un nom à Paris, moi je n’étais qu’une femme de paysan, mal attifée, pas très propre et déjà un peu vieillissante, mes enfants étaient tous botteleurs, portaient sabots et ceintures de flanelle. Un monde je vous dis.

La vie , ma vie s’accélérait, mes parents étaient morts, une barrière était franchie et il me semblait que maintenant mon tour pouvait venir à tout moment. J’exprimais mes craintes à Hermance et cette dernière me dit  »mais fonce ne laisse pas passer ta chance d’être aimé pour ce que tu es  ». Oui elle en avait de bonne, j’avais déjà fait des conneries, mes amants, la prison, mais prendre le risque d’être mise au banc de la société et de ma famille pour une légère inclination envers une femme il y avait un pas que j’avais quand même du mal à franchir.

J’étais au crépuscule de ma vie de femme, mon Charles n’avait plus la même régularité, le soir la fatigue accumulée dans la journée avait raison de ses forces. Il faut également dire qu’il aimait toujours autant, sinon plus, la rude ambiance masculine des cabarets , il était un habitué de tous.

Son amour de la dive bouteille commençait à marquer ses traits et il arborait un beau visage couperosé. Bref mon corps était prêt à de nouvelles aventures.

Ce ne fut pas aussi simple qu’on aurait pu le penser, l’objet de ma convoitise habitait au hameau de Champbretot. Je n’avais pas grand chose à faire par là, mais le hasard joua en ma faveur.

J’avais repris mon métier de blanchisseuse et la veuve Lantenois m’avait confié son linge. Après la buée je devais aller au lavoir pour le rinçage. Depuis quelques années la commune avait installé le lavoir communal à la Bretonnière sur le Morin. Faste et spacieux certes mais fort éloigné du bourg et des autres hameaux. A dire vrai c’était bien une décision prise par des bonhommes qui n’avaient jamais porté une brouette de linge. Avant cette décision funeste pour mes reins je rinçais mes hardes dans le ru du Coutant celui qui sortait de l’étang du vieux château. Maintenant sous peine d’amende vous n’aviez plus droit et croyez moi le père Bordereau il était bien zélé le salopard pour vous rédiger un procès. Plusieurs femmes avaient menacé de le foutre à l’eau et certains chasseurs lui auraient bien foutu un coup de plomb dans le cul.

Donc un jour je convergeais de Chailly et Marie venait de Champbretot. On engagea la conversation et fort tard dans la journée nous causions toujours. Bien sur nous fumes au dessus de tous soupçons, deux mères de famille avec leur battoir, les mains dans l’eau glacée. Au retour ma brouette versa et nous nous retrouvâmes à quatre pattes en train de ramasser mon linge. Attirance irrémédiable on se vola un tendre baiser. Ma vie bascula je n’avais de cesse d’en goûter plus.

Marie était coquette je le devins aussi, Charles qui me connaissait par cœur remarqua un changement en moi et me posa abruptement comme il en avait l’habitude une rude question. Pour quoi donc que tu te laves le cul comme une catin et que tu t’arroses d’eau de Cologne, tu as un galant?

J’étais vexée qu’il ose me faire cette remarque qui sous entendait que je ne me lavais guère. C’était absolument faux je faisais régulièrement ma grande toilette une fois par semaine. Hermance à ce sujet m’expliquait que maintenant dans les grandes villes l’eau arrivait dans les immeubles et pour les plus riches, arrivait directement dans les appartements. A Chailly en Brie c’était l’eau du puits et quelques fois elle n’était pas bien bonne. Pour dire que certaines bourgeoises se lavaient plus souvent qu’avant grâce à cette amélioration technique.

LA VIE TUMULTUEUSE DE VICTORINE TONDU, épisode 31, fâcherie et réconciliation

En un an j’avais perdu mon beau frère et surtout ma belle sœur qui dans mon cœur laissait un grand vide. J’avais un neveu en prison, j’avais marié mon deuxième fils et je n’avais aucune nouvelle du premier. Nous préparions les noces du troisième et enfin j’avais retrouvé ma mère ou plus précisément mon frère me l’avait jetée dans les jambes.

L’année 1889 en fait commença sous les plus mauvais auspices, un matin ou je me levais encore plus tôt que d’habitude et que je sortais dans le jardin pour ma foi me satisfaire d’une obligation naturelle je vis sortir de chez Hermance mon grand dadais de Charles. Mon dieu mon sang ne fit qu’un tour et je me précipitais chez la traîtresse. Son amant je l’avais sous les yeux tous les jours, comment avais je pu être aussi aveugle, elle avait dévoyé un gamin pour satisfaire ses sens, elle me devait explication.

Le lit était en désordre et y flottait l’odeur acre du mâle, Hermance semi nue, les cheveux en désordre semblait encore errer dans les nimbes de l’amour. Elle fit face, ne se couvrant pas mais au contraire faisant jaillir son abondante poitrine comme une provocation supplémentaire.

Elle m’avait trahie, non pas que je jugeais le fait qu’une veuve veuille faire l’amour à un jeune homme mais plus certainement qu’elle me l’ai caché, alors que nous partagions tout. Avant qu’elle n’ai pu prononcer un seul mot je lui tournais le dos et sortais en claquant la porte. Je ne l’avais pas laissé s’exprimer sur le sujet  elle m’avait trahie un point c’est tout. En rentrant chez moi je considérais que j’avais  perdu une amie.

Le soir mon fils se prit une engueulade faramineuse, mon mari et Victor prirent sa défense en termes non équivoques. La veuve était bien agréable et il aurait été fou de ne pas en profiter, mon mari rajouta maladroitement que d’autres en avaient profité et qu’il les comprenait très bien.

Le message était clair, si il avait pu en profiter il l’aurait fait et la Hermance levait la jambe à tout va.

Autant vous dire que ce soir là le Charles ne m’approcha pas et que je me jurais de lui faire payer l’aveu de l’envie de lutiner sa voisine et l’amie de son épouse.

En février, on retourna à Beautheil pour les noces entre Victor et la Marguerite Macé, ce fut une réplique du mariage précédent,même invités, même musiciens et je crois le même repas. Mon fils aîné nous avait fait l’honneur de venir et de servir de témoin à son frère.

Sa mijaurée de femme n’était point là et c’était tant mieux, mais j’aurai aimé toutefois voir mes petits enfants avant qu’ils aillent à Beauvais. Je savais par expérience qu’on ne revenait pas après de tels déplacements et que si je ne les voyais pas maintenant je ne les verrais jamais.

Victor avec son épouse s’installa à Chailly en Brie non loin de chez nous, encore un qui partait, mais j’aurais tout le loisir de les voir.

La vie reprit son cours, un jour que je faisais la tournée des commerces pour m’acquitter de nos dettes, je rencontrais Hermance qui faisait la même chose que moi. Il faut que je vous explique, en général on ne payait pas dans les commerces, la patronne notait et lorsque les hommes étaient payés de leurs gages, nous réglions se que nous devions. Tout le monde pratiquait ainsi, les artisans se faisaient régler leurs travaux souvent à l’année. Il y avait des mauvais payeurs mais en général le système fonctionnait sans peine.

J’étais donc chez Palmyre Leclerc l’épicière ,que la grande était derrière mon cul. Je l’ignorais ostensiblement mais je voyais qu’elle voulait renouer. Je continuais ma tournée en me rendant chez Felix Alaix le sabotier. Lorsque je sortais elle m’attendait, elle ne me dit qu’une phrase,  » viens boire un café chez moi  ». On remonta la rue principale sans causer puis nous pénétrâmes dans son antre fait de chiffons et de tissus et où trônait sur la table un buste de couturière. On tomba dans les bras l’une de l’autre, je m’excusais pour la brouille et elle se confondit en m’expliquant qu’elle n’avait pas osé me dire que mon fils était son amant.

J’étais soulagée et l’on se raconta toutes nos misères. Papotages de femmes, mon mari, ses amants, nos règles, nos envies, nos misères de femmes, la cuisine, le froid, les tissus, l’odeur de merde de la fosse d’aisance jamais vidée, de nos filles qui ne se quittaient guère.

Je me décidais aussi à lui parler des troubles que j’avais ressentis au contact de cette femme, je me le devais car figurez vous la tentatrice venait sans le faire exprès de s’installer avec son mari à Chailly.

Hermance m’écouta avec attention, fut subjuguée par le sentiment que j’éprouvais car jamais elle n’en avait éprouvé de semblables. N’anticipons pas mais elle devint ma complice dans la relation que j’entretiendrai avec ma belle Marie.

LA VIE TUMULTUEUSE DE VICTORINE TONDU, épisode 30, le retour de ma mère

Comme le balancier de la vie oscille toujours entre les mauvaises et les bonnes choses, nous eûmes quand même un événement heureux. Émile quelques mois plus tôt avait rencontré une fille de Beautheil, le village d’à coté. Pour être précis et à tout bien considérer elle n’était pas vraiment fille mais en l’état plutôt veuve. Elle avait perdu son premier mari il y avait un an, elle n’avait donc pas perdu de temps pour séduire mon fils. Je comprenais bien qu’elle se dépêche de trouver un autre compagnon car elle avait une petite de deux ans à nourrir et seule ce n’était pas facile. D’autre part et je peux comprendre une veuve, elle se doit de trouver un compagnon avant que de faner .

Comme de juste ce n’était qu’une fille de ferme née de parents aussi peu aisés que nous, pas d’élévation sociale. Pourtant il y avait plein d’ouvrières en papeterie dans le village, il y avait même quelques filles d’imprimeurs, des couturières et aussi une corsetière et bien non Émile c’est aux culs des vaches qu’il trouva l’amour.

La noce se fit à Beautheil, et c’est monsieur Marchand un cousin de Mathilde qui fut témoin, Émile prit son frère Victor et son frère Charles. Il était cinq heures du soir quand ils sont passés à la mairie, ensuite repas . L’ambiance fut gaie et on oublia nos décès, jusqu’à tard dans la nuit nous dansâmes, Charles et son compère Louis étaient saouls comme des polonais. On s’aperçut que les mariés s’était éclipsés mais aussi qu’il manquait à l’appel le Victor et la petite sœur de la mariée. Tout le monde en rigola sauf sa mère.

Moi je savais mon fils pas trop sérieux et qui depuis qu’il était revenu de Cochinchine s’enorgueillissait d’avoir couché avec bon nombre d’annamite. Le lendemain il se vanta d’avoir effeuillé sa cavalière, il avait de l’humour elle s’appelait Marguerite. Il fit donc en cette nuit connaissance en terme biblique avec sa future. Au moins il ne serait pas surpris le jour de sa future nuit de noces.

Émile trouva à se loger au bourg et nous libéra une place à la maison. Quand à Victor il passait le plus clair de son temps chez son frère qui abritait ses amour avec Marguerite

Nous n’allions pas nous en tirer à si bon compte pour cette année merdique. Un matin alors que je taillais un bout de conversation dans la rue avec une connaissance le facteur m’apporta une lettre. Cela me mit un drôle de coup, je n’en n’avais jamais reçu, une petite enveloppe avec un petit portrait sur le coté droit. J’étais bien bête, avec mon enveloppe timbrée par un  » paix et commerce  » je vis au dos le nom de mon frère, que me voulait il.

Je n’avais plus de nouvelles depuis son mariage en 1865, je crus qu’il était arrivé malheur à ma mère. Elle avait tout de même soixante dix ans. La nouvelle touchait effectivement ma mère mais pas comme je l’entendais, mon frère m’expliquait que sa situation personnelle ne lui permettait plus de s’occuper d’elle et qu’il me l’envoyait. Vous parlez d’un cadeau, comment j’allais annoncer cela à Charles.

De fait j’avais même la date et l’heure de son arrivée à la gare de Chailly, mon frère avait bien organisé le transfert de la vieille. Mon mari entra dans une fureur innommable, je ne l’avais jamais vu comme cela même lorsque j’étais sortie de prison, j’ai cru qu’il allait me mettre une gifle, comme si j’y pouvais quelque chose.

Quelques jours plus tard nous allions la chercher à la gare située à la Bretonnière. Quand elle descendit j’eus grand peine à reconnaître en ce spectre ma mère que j’avais quittée si fraîche et si coquette. Il est vrai qu’elle avait quarante cinq quand pour la dernière fois je l’ai quittée et que maintenant elle atteignait les soixante dix. Elle n’avait jamais été très maternelle et nos effusions furent brèves. Je me demandais bien ce qu’elle venait faire ici, ce n’était pas son pays , ce n’était pas son village. Elle était sortie de ma vie pour suivre un homme marié, où était il maintenant?

Elle ne savait rien de ma vie, ne savait même pas combien j’avais d’enfant, elle nous était une parfaite étrangère. Le chemin fut long vers la maison, elle se traînait, soufflait, haletait. Nous l’installâmes dans la chambre où dormait Émile, ce fut Marie qui eut le triste privilège de partager ce sinistre espace avec sa grand mère , qu’elle n’avait jamais vue.

A table nous ne savions quoi dire, elle était très diminuée et il était clair que j’aurais le triste avantage de la voir mourir. Mon frère avait profité de sa liaison avec son tonnelier et maintenant la rejetait comme on rejette une lépreuse à qui on ne veut pas accorder l’aumône. Elle finit par nous dire qu’elle désirait trouver un endroit à louer, qu’elle avait un petit pécule et qu’elle ne serait pas à notre charge. Elle regrettait vivement de ne pas connaître ses petits enfants et que les quelques mois qui la séparaient de son ultime départ pourrait permettre de les gâter un peu. J’éclatais aussitôt en lui jetant à la figure que les quelques semaines d’une moribonde ne pourrait compenser l’absence de toute une vie.

Charles lui trouva une petite maison et nous la vîmes de temps en temps. Ma fille se rapprocha d’elle et le Victor qui subodorait un magot n’avait que prévenance pour la vieille.

J’avais hâte que l’année finisse comme si cette unité de temps modifiait en quoi que ce soit le cours de nos vies.

LA VIE TUMULTUEUSE DE VICTORINE TONDU, épisode 29, la mort de Prosper et d’Élisabeth

C’est aussi en ces années que je me rapprochais de ma voisine Hermance, je ne voyais plus en elle une ennemie, car visiblement les roucoulades de mon mari l’avait laissée de marbre. Nous nous rendions des coups de mains mutuels, couturière elle me reprenais les vêtements des enfants pour qu’ils passent de l’un à l’autre, elle s’occupait aussi de mes robes car voyez vous j’avais une tendance à m’évaser. Moi je lui apportais un peu de  légumes du jardin, des œufs, parfois une volaille et je lui lavais aussi son linge.

Elle me parlait de choses de femmes et ce qui se faisait, à Paris, les corsets, l’invention d’une sorte de brassière pour tenir les seins, des culottes pour mettre en dessous des robes. Elle me subjuguait mais pour ma part ce genre de frivolité me serait toujours inaccessible. Moi je trouvais cela commode de ne rien mettre sous la robe, je pouvais pisser debout par contre pour tenir les seins qui évidemment nous tombaient sur le ventre je ne dis pas.

Elle me racontait aussi ses histoires d’amour et pour l’heure elle avait un amant de presque vingt ans son age. Il était fougueux ne lui  demandait rien, ce n’est que du bonheur me dit elle. Jamais elle ne voulut me dire qui il était, j’avais beau fouiller dans ma mémoire, la surveiller de loin et parfois de près car rappelez vous nous avions des cabinets communs, rien mais alors rien.

Pour ma part je ne lui révélais pas toute mes aventures et certainement pas mes émois avec une autre femme.

Mon fils Charles était maintenant en age de faire le service, il fut sauvé car son frère Victor était toujours en Cochinchine. Exempté, mais il devrait faire quelques périodes au 5ème commis comme son frère aîné.

Puisqu’il faut parler un peu de la famille l’année 1888 fut riche en événements tragiques.

Le vendredi 20 janvier j’étais à la maison à faire mon rangement quand apparut sur le seuil le grand couillon d’Alfred mon neveu, je ne l’avais plus vu depuis un moment et je le trouvais bien changé. Il me dit   »ma tante le père il vient de passer ». Je fus stupéfaite et je l’interrogeais pour savoir ce qui c’était passé car après tout Prosper n’avait que soixante deux ans. Il m’expliqua que selon le médecin son cœur avait cessé brutalement de battre, vous parlez d’une explication évidemment que le cœur s’est arrêté. Bon il n’empêche que le Prosper je l’aimais bien et qu’il fallait que je prévienne son frère. Heureusement il n’était pas loin car il faisait une coupe de bois sur un terrain de la ferme des Vignier. Cela lui mit un coup et pour la première fois je vis des larmes dans les yeux de mon bonhomme. On se rendit à Vaux et on assista Élisabeth, toilette mortuaire, veillée funèbre.

Louis le fils de Prosper fut très efficace et prévint les autres membres de la fratrie.

Pour l’enterrement je revis Jean Louis, Ferdinand, Germain et Almédorine, le Prosper fut enterré dignement entouré de ses enfants et de ses frères et sœurs, tous se firent le serment de se revoir comme à chaque fois pour les enterrements. Mais chacun avait sa vie et on retourna à notre labeur.

Charles avait le cœur gros d’une telle perte c’était le frère qui était le plus proche de lui. Puis il faut bien se l’avouer la perte d’un proche vous rapproche de votre propre mort.

En mai, Élisabeth arriva en pleurant chez nous, toute de noir vêtue, vieillie, elle si belle faisait peine à voir. Son Alfred venait d’être emprisonné après avoir montré son sexe à une jeune fille. Ce gamin il faut en convenir n’était pas très futé, âgé de vingt ans à l’état civil il agissait comme un écolier de douze ans. Faire montre d’impudicité n’était pas bien vu et cet égarement le marqua du sceau de l’infamie. Il était prévu qu’il passe en jugement en septembre en attendant il était libre.

Élisabeth était désespérée, elle ne vivait plus, la mort de son mari l’avait déjà amoindrie et maintenant la honte accablait ses épaules. Elle vivait recluse pensant que tous allaient la juger. Elle avait engendré un idiot et un pervers, pour une mère cela faisait beaucoup. Mais que faire justement du fautif, il fut éloigné chez l’un de ses oncles en attente de sa comparution.

La pauvre qui ne luttait plus, pour rien, tomba malade, au début simple faiblesse, elle se coucha rapidement, fièvre, toux, délire. Je la veillais jour et nuit, relayée par ses filles, Juliette, Louise, Eugénie et par Zélina sa belle fille. Elle ne fut jamais seule, ce fut long et pénible, le temps à l’extérieur était exécrable et la faible luminosité de la chambre ajoutait à la morbidité de l’attente. Maigre, parcheminée, blanche comme un linceul, seuls ses yeux maintenant bougeaient. Lorsqu’ils parvenaient à fixer votre regard vous aviez l’impression que son âme pénétrait en vous. Vous en étiez mis à nu et ne faisiez plus qu’un avec elle. Jamais je n’oublierais ces tristes instants. Elle mourut ma bonne Élisabeth en me tenant la main, avait elle encore la perception que c’était moi , sa Victorine, celle qui n’avait pas de secret pour elle, celle qui partageait les siens.

J’avais perdu une amie, une sœur, heureusement ma voisine Hermance prenait sur moi un ascendant constant, et deviendrait je pense ,ce que Élisabeth avait été pour moi.

L’enterrement fut lugubre, la pluie nous accompagna, les sols étaient détrempés et il me sembla lorsque que les employés du cimetière descendirent le cercueil que nous le plongions dans  une eau fangeuse. Quelques pelletées de terre, adieu ma Belle. Son fantôme longtemps me hanta et je me jurais de ne plus m’aventurer au hameau de Vaux.

En septembre Alfred écopa d’un mois, il les fit mais ne ressortit pas car une autre affaire lui fut imputée. Il n’avait rien eu de mieux à faire qu’a brûler une meule de foin, cet incendie lui valut la cour d’assise et surtout de prendre trois ans. Son idiotie lui permit d’échapper à une peine plus importante, heureusement que sa mère était morte.

En rêve je voyais son corps décharné, gratter désespérément le couvercle de son ultime résidence pour aller frapper ce méchant rejeton qui jetait une ombre sur la réputation sans tache de la lignée de Prosper. Une nuit dans mon sommeil ses griffures me réveillèrent et j’ hurlais ma peur, Charles gueula que ce n’était que des souris.

LA VIE TUMULTUEUSE DE VICTORINE TONDU, épisode 28, une vie enfin paisible.

Le village de Chailly était un bourg très calme mais parfois quelques faits divers venaient égayer notre quotidien , en mai le Kléber Boyer un copain à Charles se rendit compte que son cellier avait été fracturé et que son vin avait disparu, vous parlez d’une affaire, il s’est répandu en invective dans tout le village. Au bout du compte c’était son beau frère le triste sire de Casimir Legal, récidiviste , mauvais bougre, buveur, bagarreur, voleur, qui avait fait le coup. Cette fois la justice eut ma main lourde, trois ans de prison, on serait un peu tranquille moi ce gars il me faisait peur.

En juin c’était la fête patronale, avant les moissons et aussi avant la saint Jean. Tout le village y participait, du plus petit jusqu’au plus grand. Il y avait des chevaux de bois pour les petits, il fallait modérer les enfants car nous avions des moyens limités mais bon de temps en temps un petit plaisir. Le soir il y avait bal avec orchestre, on appelait cela les bals Dumoulin. Toute la jeunesse du village et des environs s’y retrouvait, Émile et Victor jouaient les gros bras et cherchaient promise ou aventure galante, mon petit Charles avec son duvet au menton faisait un peu nigaud. Nous les mères de famille on faisaient vieilles potiches avec nos maris invariablement à la buvette.

Moi j’eus de la chance, mon fils me fit virevolter le temps d’une valse et il fallut vraiment que mon bonhomme eut atteint un degré d’alcoolémie avancé pour qu’il consente à me servir de cavalier pour le reste de la soirée.

Sous cette tente illuminée nous tendions à oublier nos peines, chacun s’était fait beau et avait revêtu ce qu’il avait de mieux. Ce fut pour moi un moment merveilleux et il me sembla que mon homme redevint un moment amoureux, il me serrait de très près.

En fin de soirée il y eut une bagarre au sujet d’une fille, Dieu merci les garçons surent garder leurs poings dans leurs poches.

Sur Coulommiers je croisais maintenant les enfants de Prosper, Louis et Eugénie ils s’étaient mariés et une nouvelle génération arrivait, pour ce qui est des miens mon aîné ne donnait plus guère de nouvelles, il était parti dans le sud du département à Avon près de la ville de Fontainebleau. Apparemment il se débrouillait plutôt bien et voulait se lancer dans le commerce de fourrage. C’est peut être lui qui ferait sortir cette famille d’une torpeur ancestrale.

En début d’année 1886, mon fils Victor fit ses bagages, faisant son service au 2ème régiment d’infanterie de marine depuis deux ans, il avait le malheur de partir en Cochinchine. J’étais inquiète et je me permis d’interroger le maître d’école de Gustave sur la situation là bas, visiblement nous avions conquis le pays mais des zones étaient encore instables et des combats y faisaient toujours rage.

De toutes façons nous serions sans nouvelle de long mois, mon autre fils Émile avait eut plus de chance car son frère aîné étant au service il en fut dispensé.

La maison était fort animée, Charles et Émile se disputaient fréquemment et mon mari devait taper souvent du poing sur la table. Moi j’aimais bien ses vives discutions sur tout et rien, bien que la politique et les travaux agricoles soient souvent les sujets centraux des engueulades.

Ma fille Marie allait sur ses douze ans, presque une femme maintenant, elle avait ces règles et une poitrine naissante. Je devais la surveiller et la protéger des convoitises, d’autant que bien jeune elle ne comprenait pas encore le mécanisme animal qui se déclenchait chez les hommes à la vue d’une telle fraîcheur. Il fallut d’ailleurs que je lui explique fermement qu’à la maison elle montre maintenant un peu plus de pudeur et qu’il était indécent de se balader le cul à l’air ou de pisser au pot devant ses grands frères.

Par contre dans les travaux quotidiens elle me fut d’un grand secours, elle me gardait les plus jeunes ce qui me permettait de m’octroyer des petits moments de liberté.

Elle était très douée à l’école et sœur Célestine me fit remarquer qu’il serait dommage de la mettre aux champs. Moi cela ne me posait pas de problème mais le père l’entendrait il de cette oreille.

Car voyez vous en théorie l’autorité émanait des hommes, nous étions des inférieures et bien que quelques femmes essayaient de s’émanciper du joug masculin nous n’avions guère voix au chapitre.

Mais nous avions quand même quelques atouts en notre faveur, je ne vous fais pas un dessin et nous influions sur la vie de façon indirecte. Moi à la maison mon mari était le seul à ne pas savoir lire et écrire, tant que j’avais été la seule cela ne l’avait pas dérangé mais maintenant que ses enfants maîtrisaient les pleins et les déliés il éprouvait comme une sorte d’humiliation. Il n’y avait pas de livre à la maison bien sur mais nous avions les journaux, nous lisions l’éclaireur de l’arrondissement de Coulommiers, nous avions ainsi les nouvelles nationales et celles du coin. Moi ce que j’aimais par dessus tout c’était l’histoire qui paraissait sous forme de feuilleton, encore une fois je m’évadais de mes tracas quotidiens.

LA VIE TUMULTUEUSE DE VICTORINE TONDU, épisode 27, grand mère et mère à la fois

Parlons maintenant de mes voisins puisque nous allions faire puits et cabinets communs

Etienne Labarre un charretier de quarante neuf ans et sa femme Joséphine quarante sept ans et qui professait comme manouvrière. Ils vivaient avec leurs deux filles Joséphine vingt ans et Victorine treize ans. Autant vous dire que mes grands dadais de fils étaient aux arrêts devant les atouts de la Joséphine, la garce savait jouer de la croupe et je peux vous dire qu’elle trouvait toujours un nigaud pour lui remonter son seau d’eau. Mon fils Charles fit ami ami avec la petite, ils devinrent inséparables. Moi je devins copine avec la mère qui souvent travaillait avec moi. Puis il y avait le vieux Alaix le sabotier il avait un petit atelier mais travaillait souvent dans la rue. Il vivait avec sa femme la Célestine, une vacherie toujours à gueuler après tout le monde et qui visiblement ne savait guère chier dans le trou, nous laissant les lieux dans un état.

Mais celle que je vais vous décrire le plus précisément est celle que nous nommions la veuve, ou la grande Hermance. Cette couturière de trente sept ans, élégante, bien mise, les cheveux noirs coiffés en chignon, un petit nez retroussé, une bouche pulpeuse aux dents blanches. Toujours guindée dans un corsage saillant portant la poitrine haute, une fine silhouette et un joli cul. Pas de galants mais de nombreux admirateurs. Mon Charles la regardait comme un curé regarde une statue de la vierge, ou comme un carabin son premier cadavre, il en bavait d’admiration et semblait la guetter lorsqu’elle sortait faire ses affaires. Je fus profondément humiliée qu’il la regarde ainsi alors que moi il m’ignorait totalement. Pour sur la comparaison ne jouait pas en ma faveur mais rappelons le quand même, chaque soir tel un métronome il se satisfaisait de moi. Si elle s’avisait, je vous dis qu’elle serait moins belle avec les yeux en moins.

Ce n’est pas tout il faut que je vous dise, je viens d’être grand mère, à quarante et un ans c’est jeune, la Zaepffel lui a fait un marmot, lui est encore au service et c’est pendant une permission que la pisseuse a été conçue. Bon je n’étais pas persona grata et ma belle fille s’est débrouillée avec sa mère. Vous auriez vu leur tête quand avec Charles on est allés voir la huitième merveille du monde.

Bon en gros j’avais perdu mon fils aîné, mais il faut que je vous dise maintenant que j’étais de nouveau enceinte. Car voyez vous le Charles si ses yeux en avaient que pour la veuve bah pour son machin je faisais encore l’affaire.

Cette grossesse n’allait certes pas m’embellir, ce fut un long chemin de croix, un ventre comme jamais j’en avais eu un, des jambes enflées comme des brioches , j’étais essoufflée, poussive et pour sur incapable de travailler dans une ferme, d’autant que le Gustave à quatre ans était une vraie terreur. Rien n’y faisait, mes taloches il en rigolait, de toutes façons je n’arrivais guère à l’attraper, la ceinture du père il la bravait. Une fois seulement ce sale garnement a eu ce qu’il méritait, je l’ai coincé lui ai baissé la culotte et avec une brassée d’ortie je lui ai fait sentir qu’il ne commandait pas encore la maison. Cela ne l’a pas ralenti longtemps.

Le 27 mars 1882 j’arrivais à terme, on nomma l’enfant Daniel, j’espérais simplement ne plus à revivre cela.

Avec ce nouveau fil à la patte mon univers se réduisait encore, c’est à croire que jamais je ne pourrais penser qu’à moi.

Je n’étais qu’un ventre, un réceptacle, une machine à enfanter, moi qui autrefois ne rêvais que de voyages et d’aventures je me retrouvais le cul en l’air au lavoir à laver les langes pleines de merde de mes enfants successifs. Les rives du grand Morin n’étaient point un rivage enchanteur et aucune sirène ne m’y attirait. Mon Charles lui non plus ne correspondait pas à mes critères d’adolescente, ce n’était pas un prince charmant mais un simple paysan, buveur, malodorant, un peu brusque, plus pressé à sa satisfaction qu’à me prodiguer des caresses. Mais n’allez pas croire que je n’aimais pas ce bonhomme renfrogné, il avait aussi du bon et m’aimait à sa façon.

J’étais donc partagée entre le rêve de grands voyages et la quiétude de mon âtre, entre les conversations intéressantes et protestataires des ouvriers papetiers et le rire de mes enfants. Je me voyais faire l’amour dans des draps blancs avec un amant passionné mais j’aimais aussi être brusquée, troussée par mon rude botteleur. N’allez pas croire que nous les paysannes ignorantes et sabotées nous n’étions pas traversées de troubles sentiments.

En parlant de cela un jour à Coulommiers je croisais ma camarade de cellule celle qui par quelques gestes m’avait fait connaître le parfum de la transgression. Nous nous mimes à bavasser de tout et de rien, elle s’était aussi mariée et espérait dans un avenir proche avoir un petit. Nous n’étions évidement pas faite pour nous côtoyer et encore moins pour étaler à la vue de tous une nature profonde assez troublante à la majorité. D’ailleurs je ne connaissais guère cette ambivalence, en prison j’étais malheureuse, et ce moment de chaleur m’avait réconfortée au delà du possible. Il ne me serait pas venue à l’esprit que je puisse être touchée par cette déviance médicale digne de Sainte Anne . Pourtant il a suffit d’un regard , d’un effleurement de main pour que je ressente à nouveau de pointilleuses vibrations. Nous sommes restées comme deux godiches, j’avais la même impression que lorsque j’ai été touchée la première fois par un homme. Mais bon laissons ces sales choses, nous nous sommes séparées et je suis retournée à mes champs, à mon homme et à ma troupe.

LA VIE TUMULTUEUSE DE VICTORINE TONDU, épisode 26, fille de lesbos

Charles allait il me jeter dehors, mes enfants me tourner le dos et puis mon aîné qui se mariait avec une fille de gendarme non vraiment j’avais honte de moi. Un soir que je pleurais, la petite Louise celle qui avait volé un pain s’approcha et me prit dans ses bras, cela me fit une sensation bizarre, pas désagréable, comme une caresse de plume, comme un chuchotement.

Le lendemain j’étais comme attirée par elle et instinctivement je recherchais le contact, aussi perdue que moi elle l’accepta, nos mains se rencontrèrent et mues par une attirance animale elles partirent en exploration. C’était la première fois qu’une femme me touchait, bien plus sensuelle que les grosses pattes de Charles la main de Louise douce, chaude, irrespectueuse des convenances, sauvage tint à se frayer un passage dans ma forêt humide. Ce fut une explosion encore inconnue, un spasme de plaisir, l’interdit, la promiscuité, la peur, la honte firent que je commettais péché . Mon âme de voleuse était maintenant fille de Lesbos.

Honteuse mais repue de plaisir, je me promettais de me confesser, et de me repentir. Il me fallut bien sortir, je n’en menais pas large en arrivant à Vaux, Charles était là entouré des garçons et de la petite , l’animosité était palpable, aucun ne m’adressa la parole hormis Marie qui n’avait pas compris la situation. J’aurai largement préféré que Charles se mette à hurler, à me battre, tout plutôt que cette humiliation silencieuse. On me fit la tête des semaines et j’eus le plus grand mal à trouver du travail .

Le plus dur fut les noces à Auguste, ma commère ne m’adressa pas la parole et le gendarme fit comme si je n’étais pas là.

Mon fils à l’issu de cette triste cérémonie alla habiter chez ses beaux parents avant de partir au service.

Je ne savais pas que je ne le reverrais plus guère.

Se voir rejetée et traitée de voleuse est d’une dureté sans nom dans notre société ou justement tout le monde vit en communauté, j’en souffrais énormément et me refermais sur moi même.

Ce fut donc avec plaisir que je pris la nouvelle que m’annonça Charles. Nous allions déménager à Chailly en Brie.

Bon ce n’était pas le bout du monde non plus, le village n’était qu’à une portée de sabots de Coulommiers. Il était situé un peu au sud est, dans la grande plaine céréalière.

Il y avait quand même huit cent soixante quinze habitants ce n’était pas tout petit, Charles avait loué une maison dans la rue principale du bourg, mais la commune s’étendait sur de nombreux hameaux que nous visiterions tout à tour en travaillant. Il y avait la Couture, Champbretot, les Sables, Salerne, Montigny, la Bretonnière, Buisson, le petit Aulnoy, le Matroy.

Mais ce qui nous fit bouger c’était la présence de très grosses fermes, celle du vieux château, la Sauvagère et Florianne. Mon mari et les garçons trouvèrent à s’y embaucher aussitôt.

Le blé et l’avoine couvraient une grande partie des sols ainsi qu’un peu de betteraves qui alimentaient la sucrerie de Coulommiers.

Moi ce que j’aimais c’était les nombreux moutons. Il y avait aussi beaucoup de vaches, fromage de Brie oblige et de nombreux paysans faisaient la noria sur Coulommiers pour écouler le nectar blanc.

De nombreux propriétaires avaient aussi planté des pommiers et des poiriers, on faisait du bon cidre et la cueillette offrait un peu d’emplois saisonniers.

Notre maison n’était guère luxuriante, en bordure de la grande route, ce qui nous apportait le désagrément d’avoir soit de la poussière soit une boue fangeuse qui pénétraient par la porte basse, disjointe et brinquebalante. Une grande pièce en bas, sombre et noire, une petite chambre à coté et un étage mansardé desservi par un rude escalier de bois noir, vermoulu et pentu. Nous y serions tout aussi entassés qu’à Vaux , d’autant que les garçons presque adultes avaient besoin maintenant, de plus de place. Nous avions aussi un jardin avec un puits commun à plusieurs maisons ainsi que des cabinets d’aisance également partagés.

Charles mon homme et ses fils , Émile 20 ans, Victor 18 ans, Charles 14 ans, et Joseph 11 ans travaillaient comme botteleurs, c’étaient leur spécialité mais évidemment ils faisaient aussi tous les autres travaux exigés dans une ferme.

Ma Marie allait à l’école de madame Prevost, c’était une bonne sœur, moi je m’en foutais et de plus je crois qu’elle était plus ou moins de la même congrégation que les sœurs qui m’avaient appris à écrire et à lire à Provins.

Gustave à trois ans était dans mes jupons et je l’emmenais partout.

Avec cet exil on ne m’appelait plus la voleuse et ma réputation se rétablit pour l’instant. Mais ce qui m’embêtait c’était l’absence d’Élisabeth que je ne voyais plus qu’occasionnellement.

LA VIE TUMULTUEUSE DE VICTORINE TONDU, épisode 25, prise la main dans le sac

Un peu après je me rendis compte avec surprise que Charles buvait beaucoup moins, était il devenu raisonnable?  Par contre il était toujours aussi peu présent, je ne m’inquiétais pas outre mesure car il travaillait comme un forçat à sa chaîne pour que les enfants puissent avoir le nécessaire.

Mais un jour à l’embauche je perçus sur le visage d’une jeune vachère l’esquisse d’un sourire moqueur. Mes sens de femme en éveil je me promis de faire attention. Je découvris le pot aux roses ou plutôt on me le fit découvrir. C’est ma petite nièce Eugénie qui me révéla que le Charles folâtrait avec une servante de ferme. Les bras m’en tombèrent , que faire m’en prendre à ma rivale ou à mon traître de mari? Pour sur je n’allais pas passer sous silence cette trahison, en faisant abstraction que j’avais déjà fauté moi même.

Le soir ce fut une belle fête, je gueulais, tempêtais, trépignais, menaçais, pleurais, me jurais d’aller trucider cette jeune salope et à lui de lui couper les c…

Le Charles tête basse repenti, n’en menait pas large et pliait comme un roseau du Morin. Il finit par partir mais je savais qu’il reviendrait .

Le matin sa place était vide, j’envoyais les garçons pour le chercher, ils le trouvèrent à l’ouvrage comme chaque jour, il revint le soir on n’en parla plus mais je me jurais que je lui rendrais la pareille avec bon qui me semblerait, quand à sa pouffiasse je me fis serment de lui faire bouffer son jupon qu’elle levait trop facilement devant les pères de famille.

Évidemment je ne tenais plus la comparaison avec cette jeune fringante mais est ce une raison?

Finalement les choses rentrèrent dans l’ordre, Charles ne revit plus la jeunette du moins je crois et moi je fis montre de clémence.

En 1880 mon premier né Auguste dut tirer au sort, oh ce n’était plus comme au temps de nos grands parents où la chance vous permettait d’être exempté, depuis 1872 chacun partait mais le tirage décidait de la durée, de cinq ans à six mois. Pour sur ce n’était pas la même chose.

Tirage au sort, conseil de révision et une beuverie, mon fils est rentré à l’aube en faisant un bruit pas possible.

Il reçut sa feuille de route quelques semaines plus tard, affectation cinquième section des commis et ouvriers, casernement Orléans. Pas vraiment une affectation guerrière mais bon pour qu’une armée marche il fallait bien une intendance.

Mon Auguste cela ne l’arrangeait pas car il avait rencontré une jeune fille du hameau, complètement fou amoureux de cette fille aux mains blanches. Cette gamine n’était pas une paysanne et jouait les élégantes, couturière de métier, il est vrai qu’elle portait des jolis habits. Elle était en outre jolie et tous les gars lui tournaient autour. Allez savoir pourquoi la beauté choisit notre Auguste.

Le père était gendarme à cheval à Coulommiers, d’origine Alsacienne il avait un drôle d’accent. Mon mari disait qu’il ne voulait pas de boche dans la famille, alors il fit un peu la tête. Mais bon, même si Auguste devait avoir l’assentiment de son père pour se marier, il pouvait aussi s’en passer.

Le mariage fut prévu en juin , Auguste devait partir en fin d’année.

Maintenant il est temps de vous conter ma nouvelle mésaventure.

Début mars 1880, je passais devant une boutique de vêtements rue du faubourg de Melun, moi qui n’était pas coquette je m’arrêtais pourtant devant un joli corsage plein de dentelles. Je n’avais pas le premier franc pour l’acheter alors un coup de folie je l’attrapais et le fourrais sous mon corsage.

Pour sur ce n’était pas malin et je n’étais visiblement pas très douée, l’employée du magasin me vit et hurla . Je détalais rapidement, tout le monde criait à la voleuse, je fus rapidement arrêtée, ceinturée et ramenée de force dans la boutique. On me força à rendre le corsage mais on voulut vérifier si je n’avait rien pris d’autre, le propriétaire voulait me mettre à poil et me filer une correction, sa femme opta pour la police.

Je fus conduite derechef au poste de police et je traversais tout Coulommiers les mains liées avec des menottes. Le honte s’abattit sur moi, mon dieu qu’avais je fait ?

Ce ne fut pas long le 2 mars je me prenais quinze jours de prison, mais fini la gloriole de ma première incarcération ou j’avais défié l’autorité. Maintenant je n’étais qu’un simple voleuse de rue.

Je me retrouvais de nouveau le cul à l’air pour la fouille ignominieuse et fut ensuite jetée dans une cellule. Elle était encore plus sinistre que la première, sale, puante, graffitée d’obscénité.

Cette fois pas de putain mais une pauvre femme à moitié démente qui râlait en permanence blottie dans un coin, c’était terrifiant. Je n’étais pas la seule voleuse, une mère de famille qui avait volé un pain et une autre qui avait chipé des fruits dans un verger. La justice était dure avec les femmes et le vol n’était pas très bien vu. Mieux valait être un homme, eussiez vous tripoté une gamine que vous n’auriez pas été condamné plus que nous avec nos fruits, notre pain et notre corsage.

Bon je me suis morfondue, la crasse, la soupe dégueulassasse, la folle de la cellule, mes menstrues au mauvais moment, la corvée de tinette rien  qui ne soit pire que la pensée de ma sortie.

LA VIE TUMULTUEUSE DE VICTORINE TONDU, épisode 24, entre disparition et naissance

Il me fallut bien sortir et affronter ma famille, bon il n’y avait pas mort d’homme, j’avais juste montrer mon cul à un agent.

Je traversais la ville en ayant l’impression bizarre que tout le monde me jugeait, au hameau de Vaux lorsque je pénétrais chez moi les enfants me firent fête, Charles se leva et m’embrassa. Au coin de la cheminée une jeune femme assise la poitrine à l’air offrait le sein à ma dernière. J’en ressentis une vive jalousie, le sentiment quelle me volait mon enfant. Ce n’était qu’une impression car en fait il n’y avait aucune intention malveillante et me rendait service gratuitement. Il s’avéra un peu plus tard mais nous en reparlerons qu’elle me volerait ou plutôt emprunterait mon mari.

Ce soir là ce fut la fête à la maison, les enfants furent en joie, Prosper et Élisabeth passèrent la soirée avec nous. Avoir osé défier l’autorité me gratifiait à leurs yeux, moi j’étais à la fois fière mais aussi un peu honteuse de mon comportement. Ce savoir remarquée c’est bien mais faire de la prison n’est quand même pas anodin . Peu, à part ceux qui étaient passés par là savaient l’humiliation que l’on ressentait pendant la fouille corporelle.

Ce soir là Charles et moi on fit l’amour avec vigueur comme si nous ne l’avions pas fait depuis des lustres.

La vie reprit son cours mais je vous dis que je n’en menais pas large quand je retournais à Coulommiers place du marché.

Quelques sourires encourageants, mais aussi quelques réflexions de bien pensantes et de culs coincés. Certains maquignons du marché aux veaux m’encouragèrent à renouveler mon exploit afin que je leur remontre encore une fois mes beautés cachées.

Puis tout se termina, l’attention publique se portant sur autres choses.

Charles et son frère se rendirent à une démonstration de moissonneuses mécaniques à la ferme de Pierrelez, ils y virent également une curieuse machine fonctionnant à la vapeur et que battait le grain.

Mon homme fut émerveillé mais aussi apeuré car ces foutues engins allaient remplacer les bras des hommes et alors qu’allaient devenir lui et les milliers de journaliers.

Je le rassurais en lui expliquant que nous n’en étions pas là et il me répondait invariablement mais foutue bonne femme t’y connaît rien alors tais toi.

Comme toujours chez nous les femmes nous pensions que quelques années sans naissance marquaient enfin la pleine liberté, puis stupéfaction ces saloperies de pertes mensuelles s’arrêtaient de nouveau. C’était tout bon ou tout mauvais, chez moi encore jeune ce fut mauvais j’étais encore grosse.

Charles se fit engueuler et mes aînés se demandèrent bien pourquoi, le pauvre penaud finit devant ma colère par claquer la porte pour aller boire au cabaret. Le soir venu j’envoyais Auguste pour me le ramener. Le salopiaud était ivre mort et nous l’avons couché tout habillé, moi je me suis glissée à coté de mes filles et nous avons chantonné comme des petites folles pour nous endormir. Moments de tendresse bien rares qui me faisaient oublier que pour la dixième fois j’allais souffrir et me traîner.

Mais outre le malheur de tomber enceinte, une tragédie nous avait atteint de plein fouet, en février 1878, ma petite princesse Blanche, celle que secrètement je chérissais le plus vint à se plaindre d’un mal de tête violent, je ne savais que faire. Puis survint une grosse fièvre, qui la fit s’aliter, Émile alla me chercher un médecin. La petite avait les symptômes de la fièvre typhoïde, le bon docteur craignait pour sa vie. Elle eut ensuite de violentes douleurs au ventre, elle faisait sous elle et j’étais sans cesse obligée de la laver. Complètement affaiblie, hagarde, elle nous quitta le 11 février 1878.

J’eus un moment de grande torpeur, cette disparition et ma grossesse m’avait anéantie, je n’étais plus bonne à rien.

Il faisait une chaleur épouvantable quand ce cinq août 1878 j’entrais en travail, trempée de sueur sur mon lit, j ‘hurlais de douleur, l’air ne rentrait pas et dans ce four j’ai cru périr. Mes voisines firent sortir mes deux filles encore petites pour assister à ce genre d’événement. Mon joseph huit ans fut également invité à déguerpir, les autres de mes garçons presque hommes étaient au champs avec leur père.

Un médecin vint m’assister, moi je préférais une femme mais bon ce praticien aux mains blanches, policé et bien vêtu fut efficace et Gustave Abel vit le jour sans aucun problème. Moi j’étais exsangue, fatiguée, plus bonne à rien, j’avais l’impression d’être une vache qui vêlait. Plus aucun sentiment de féminité, vidée, ruinée, anéantie je ne désirais que dormir et que plus personne ne me touche et en particulier le Charles.

Je fus longue à m’en remettre et c’est cette année là que mon corps changea inexorablement. Évidemment pas à mon avantage, j’ai pris du poids, mes hanches se sont élargies, mon cul déjà avantageux le devint encore plus. Ma poitrine de fait ne supporta guère ce nouvel affront, tombante, énorme, craquelée, douloureuse elle n’était plus un atout de charme mais une masse informe se cofondant avec mes bourrelets ventraux. J’avais lu dans un un journal qu’à la capitale certaines femmes utilisaient une sorte de brassière pour se maintenir les seins. Nous dans le trou du cul du monde la gravité faisait des ravages dans notre allure et peu de femmes mères de famille penchées sur la glèbe avaient encore une poitrine orgueilleuse.

Bref je me traînais physiquement et moralement c’était comme une sorte de rituel après chaque maternité.

J’avais refusé de me rendre à l’église pour la cérémonie des relevailles, je trouvais cela avilissant cette histoire d’impureté, il était temps que nous jetions aux orties ces inepties.

LA VIE TUMULTUEUSE DE VICTORINE TONDU, épisode 23, la prison

En juin 1876 je me suis rendue sur le marché de Coulommiers pour y vendre des œufs et quelques légumes, nous étions nombreuses à faire cela et le mercredi jour du marché les chemins qui menaient à la ville étaient fort empruntés.

Je m’installais au même endroit que d’habitude et j’attendis le client, le premier à se présenter fut le placier, car vous vous doutez bien que les emplacements n’étaient pas gratuits. Je n’avais nullement l’intention de ne pas payer mais voilà je n’avais encore rien vendu et je n’avais pas un sou vaillant. Il me demanda de partir et je lui répondis qu’il n’en était pas question, le ton monta et les femmes prirent mon parti. Il menaça de me verbaliser, alors évidemment je dus céder, mais en partant je ne sais ce qui m’a pris j’ai remonté mon jupon et je lui ai montré mon cul. Une belle tranche de rigolade pour l’assemblée, les femmes applaudissaient et les hommes sifflaient, un beau tumulte. L’homme avait la loi pour lui je me retrouvais bientôt au poste. Je faisais moins la fière et l’on m’avertit que j’allais être poursuivie pour outrage à agent administratif et que je passerais en correctionnelle le lendemain.

Je m’apprêtais à passer une première nuit en cellule, lorsque la femme du concierge du tribunal entra pour vérifier si je n’avais rien de dangereux sur moi. Elle me demanda de lever les bras et fit courir ses mains sur tout le haut de mon corps. Je sentais bien qu’elle éprouvait du plaisir à faire cela s’attardant sur ma poitrine. Je dus ensuite remonter ma robe pour lui prouver que je n’avais rien de caché sous mon jupon. Je lui dis, tu veux quand même pas que je me foute à poil, elle me répondit d’un air menaçant on verra cela plus tard ma belle, on verra cela plus tard.

Le lendemain j’avais pas très bonne mine, pas peignée, sale, la tête de quelqu’un qui n’avait pas fermé l’œil de la nuit.

Dans la salle je cherchais désespérément l’un des miens, mais personne. On m’appela à la barre, Victorine Tondu femme Trameau née le 11 mai 1840 à Lizines département de Seine et Marne, je répondis un oui mal assuré.

Les faits sont les faits, j’avais tort et cela ne fut pas long, huit jours de prison plus le paiement des frais de justice. Le coup fut très dur et je me mis à pleurer, j’avais deux filles aux seins qui allait les nourrir?

Je me retrouvais de nouveau face à la femme du gardien de prison, elle avait un grand sourire, fouille à corps qu’elle me dit, déshabillez vous entièrement. Je tentais bien de refuser mais quand elle fit mine d’en appeler à la garde j’obtempérais aux ordres. Je n’étais pas pudique mais là c’était vraiment humiliant, nue comme un vers mes habits en tas à mes pieds. Cela ne s’arrêta pas là car de ses doigts sales elle fouilla aussi mes deux intimités. Elle me fit mal et j’étais couverte de honte.

On me jeta dans une cellule infâme déjà occupée par plusieurs femmes, la pièce était étroite, assez haute éclairée seulement par une haute fenêtre grillagée. Plusieurs paillasses sur des lits à étage, formaient le seul mobilier. Dans un coin un baquet avec une planche, une grosse femme sans plus de gêne y faisait ses besoins, l’odeur épouvantable ne semblait guère l’incommoder, elle continuait de converser avec une qui semblait son amie. Ces deux n’étaient point des saintes femmes, condamnées pour racolage sur la voie publique elles parlaient un langage cru et imagé, encore vêtues des atours de leur spécialité, robe de couleur criarde, corsage qui ne retenait guère leur opulente poitrine,jupon froufrouteux et bas noirs.

L’une était grosse l’autre maigre, l’une était jeune l’autre beaucoup plus vieille, elles auraient pu être mère et fille.

Comme je m’asseyais sur une paillasse libre la grosse aboya qu’elle ne voulait pas de moi à cet endroit. Je ne bougeais pas, elle extirpa son cul du baquet et vint me souffler au visage qu’en prison une hiérarchie existait et qu’il fallait s’y contraindre. Je ne voulais surtout pas déclencher une esclandre et je pris un autre lit qui malheureusement était à proximité des lieux d’aisance.

Une vieille femme, petite , ratatiné comme une poire séchée, vêtue à l’ancienne de noir, bouche édentée, peau parcheminée, mains enfantines mais tordues et flétries par des décennies de vilains labeurs. Elle semblait terrorisée par les deux mégères tarifées. Elle avait été arrêtée pour mendicité, la pauvreté était un délit sous notre belle république naissante.

Face à mon grabat une paysanne, visage rougeaud, cheveux en bataille, poitrine nourricière tombante, mains abîmées, robe terreuse, bas crottés et malheureusement un tablier ensanglanté.

La pauvresse en attente de transfèrement avait entaillé sévèrement son mari. Ce dernier, salopard patenté la battait comme plâtre et la trompait effrontément. Ce n’était que justice mais hélas ce n’était pas la justice. Elle risquait gros, peut être la peine capitale. Nous avec nos délits mineurs nous faisions office de farceuses.

C’est dans cet univers que je dus passer mes quelques jours, je restais à rien faire sur mon lit, je rêvassais mais aussi me tracassais pour mes petites. Qui allait les nourrir, comment Charles allait il faire et puis à ma sortie comment réagirait il, autant de questions sans réponses. La pitance était horrible mais bon quand on a faim. Le plus dur pour moi fut ces fameuses tinettes, chier en société n’avait jamais été mon rêve mais la nature vous pousse à certains avilissements. Finalement les deux putes devinrent mes amies, elles me faisaient rigoler et aussi un peu fantasmer en me racontant leurs pérégrinations professionnelles. Pour un peu elles me recrutaient. La pauvre grand mère restait désespérément silencieuse et la meurtrière guère causante.