RAYMOND ET FRANÇOISE, UNE HISTOIRE D’AMOUR, épisode 3, le début de la guerre

 

Paris se vide peu à peu, de nombreux habitants quittent la capitale, on ne trouve plus un taxi de disponible.

Françoise est réquisitionnée par les éclaireurs de France pour accompagner des trains de réfugiés qui transitant par Paris sont envoyés vers des centres d’accueil près de Gien. Les conditions sont déplorables via la ville de Bourges le trajet dure 16 heures. Le train suite aux encombrements ne roule parfois qu’à dix à l’heure.

Françoise et les éclaireuses distribuent des vivres et des biberons. Toujours la chaleur, la promiscuité, les hurlements des enfants énervés. Puis l’odeur des corps entassés, des langes merdeuses, des toilettes qui se bouchent. C’est la consternation sur tous les visages, mais l’espoir est encore là , la guerre finira bien , nous les arrêterons comme en 18 et enfin cela sera la der des der ;

Françoise rentre exténuée, se reposer, dormir, se laver et ne penser qu’à Raymond qui lui aussi chemine en train.

6 septembre 1939

Mais maintenant l’heure n’est plus au repos, la nuit des parisiens est troublée par de stridentes sirènes, avisant d’une alerte aérienne.

Françoise en cette nuit passera de 1 h 45 à 4 h 30 dans un abri de la rue Gervex. C’est long, pas question de dormir, alors les conversations se nouent entre des gens qui ne sont que de parfaits étrangers.

Normalement le signal d’alerte est donné quand les avions ennemis passent la frontière, cela laisse un peu de temps pour se réfugier dans les nombreux abris de la capitale.

Mais ici personne ne croit que les avions allemands arriveront jusqu’ici, c’est aussi la première fois que Françoise entend tonner le canon, du moins le pense t-elle et des souvenirs qu’elle croyait enfouis et datant de sa prime enfance ressurgissent avec force.

Elle n’a pas peur mais s’inquiète du peu d’information que les journaux et la TSF fournissent. Évidemment elle ne demande pas qu’on dévoile des secrets militaires, mais tout de même.

On nous dit que la Pologne se défend admirablement bien, mais que la lutte est sans espoir tant les disproportions de force entre les belligérants sont énormes.

Comme Françoise n’a pas de travail elle compte à l’invitation de sa tante De M ,se rendre à Hendaye, là bas dans la belle villa Etché Verdia elle fera le point et réfléchira à son avenir.

Maintenant sur Paris on a la psychose des gaz, le port du maque est rendu obligatoire et Françoise va cherche le sien, la distribution est gratuite.

Françoise s’amuse et se moque de voir certaines personnes porter cette longue boite kaki en bandoulière. Lorsqu’elle croise un employé des pompes funèbres en bicorne ou bien une bonne sœur avec sa boite qui lui bat les flancs elle ne peut s’empêcher de rigoler.

Mais elle s’inquiète aussi de son utilisation

 » J’ai lu la notice et j’ai essayé l’engin une minute, aussitôt après j’avais l’impression de respirer à travers un édredon et je veux espérer que nous n’aurons jamais besoin de nous servir de ce machin là  »

12 septembre 1939

Raymond a réussi à joindre Françoise par téléphone, il est toujours à Saint Péray au centre mobilisateur. Visiblement les polonais ne vont pas avoir de l’aide immédiatement. Après cela il va monter au front. La France va-t-elle attaquer l’Allemagne ?

En attendant Raymond invite Françoise à venir le rejoindre.

Il n’y a bien sûr rien de réglementaire dans tout cela

L’on voit que pendant que nos alliés luttent pour leur survie et que Varsovie est presque totalement encerclée, les officiers de l’armée française qui viennent d’être mobilisés, reçoivent leur compagne.

Françoise fait sa valise, quelques vêtements, un livre et la voila dans le train en direction de l’Ardèche. Aucun contrôle des populations, libre circulation, il est à se demander si la guerre est vraiment commencée.

15 septembre 1939

Françoise ne voit Raymond que quelques minutes le soir lorsqu’il termine son service. C’est dur , c’est frustrant. Elle ne peut que se blottir entre ses bras, son corps réclame plus mais il ne peut partager sa couche.

Il lui annonce enfin que le 17 il part, Françoise lui fait la comédie du courage , mais les larmes coulent, Raymond va se rapprocher du danger, peut-être de la mort.

Françoise qui n’a rien à faire à Paris car Flammarion a fermé ses bureaux, décide de partir directement chez sa tante à Hendaye.

Cette dernière est la sœur de sa mère , elle lui ressemble et Françoise lui reporte toute l’affection filiale qu’elle ne peut plus donner à sa mère défunte.

18 septembre 1939

Françoise est à Hendaye et avec sa cousine Suzanne D elle va remonter sur la propriété du Rayat à Muret que son oncle et sa tante De M possèdent.

Là bas chacun attendra des nouvelles des mobilisés.

Suzanne et Françoise sont cousines germaines, la première est plus âgée que la seconde mais leur complicité remonte à l’enfance. Suzanne faisait faire des bêtises à sa petite cousine mais la protégeait et lui apprenait des choses féminines que sa tante et sa mère ne lui auraient jamais transmises.

Au Rayat tout le monde s’installe, Françoise est invitée pour la durée de la guerre , elle est chez elle . Outre sa tante et son oncle il y a 3 jeunes mamans et 9 petits enfants. La maison bruissent d’une joyeuse activité et les 7 domestiques ont fort à faire.

L’oncle est un ancien inspecteur des finances, héritier d’une ancienne et noble famille, il gère des biens et ses affaires sont prospères.

Françoise est bien au Rayat bien qu’elle souffre de l’humeur sombre de l’oncle et que le bruit des enfants la dérange un peu.

Puis le Rayat vénérable bâtisse accolée à la métairie abrite une colonie d’indésirables qui dansent une sarabande nocturne

On lui propose de devenir la perceptrice de trois des enfants qui suivent les cours par correspondance de l’institut catholique , elle hésite car elle préférerait son indépendance.

Elle écrit tous les jours à Raymond sans savoir si les lettres lui parviennent elle se languit de lui,

 »tout me paraît imaginaire, sans importance, vide de valeur, à coté du fait que nous sommes séparés l’un de l’autre et qu’il faut tirer parti quand même des journées que l’on vit »

Elle guette le facteur avec obsession mais rien de vient, si encore elle avait des nouvelles de lui.

Les occupants du Rayat sont couverts de puces, et la pompe qui amène l’eau du puits est en panne.

Françoise peine à imaginer ce que doivent subir les assiégés de Varsovie. Mais loin de l’ être aimé tout prend un aspect sinistre, le vent que pourtant elle aime n’est qu’inconvénient et déplaisir.

Les moustiques et les poux qui attaquent prennent une importance démesurée.

Le polonais se meure, le français se gratte.

Mais il faut faire semblant et paraître , rester digne malgré le tourment, ne pas montrer aux enfants l’inquiétude qui tenaille le ventre des femmes et des mères. Puis se pomponner aide à passer le temps

RAYMOND ET FRANÇOISE, UNE HISTOIRE D’AMOUR, épisode 2

 

Enfin il est l’heure, dans sa chambrette, elle fait toilette au lavabo. Quelle chance, beaucoup d’appartements en cette année 1939 n’ont que de l’eau sur le palier et des waters closet en commun. C’est un luxe, mine de rien ce mince filet d’eau, d’une main puissante , elle humidifie son savon et avec la force d’une blanchisseuse se frotte tout le corps. Elle retrouve un peu de fraîcheur, se pare d’une robe légère et se précipite en bas de l’immeuble. La chaleur la frappe au visage, l’étreint, lui vole son oxygène, mais rien ne peut l’arrêter, direction l’hôpital avenue de la porte d’Aubervilliers.

Elle aime l’attendre, mais son médecin a des horaires flexibles tirant vers une prolongation des journées, alors elle s’est munie d’un livre de Jean Giono pour le cas ou son attente se prolongerait.

Mais chance, à peine est-elle arrivée que le voila qui paraît, costumé, cravaté en homme de responsabilité,en notable qu’il va devenir.

Il se jette dans ses bras, l’embrasse,la soulève de terre et la fait virevolter, la chaleur est rude il ne convient pas de s’enfermer dans l’appartement de Françoise, du moins pas encore. Ils vont allés dîner, mais avant, se rafraîchir, puis parler et parler encore.

Un café et une petite table ronde en fonte , Raymond prend une bière, Françoise une menthe à l’eau.

Immanquablement la situation internationale se dresse devant eux, leurs propres problèmes passent pour des peccadilles.

Raymond est inquiet, la situation se tend entre les états, Hitler qui avec ses affidés a mis sous sa botte l’Allemagne s’apprête à vouloir avaler le corridor qui divise ses états. On a beau deviser et ne pas vouloir prendre parti, mais quelle idée saugrenue ont et les vainqueurs de la grande guerre en donnant Dantzig à la Pologne et en divisant l’Allemagne séparant la Prusse berceau de leur pays du reste de l’Allemagne.

Il a beau jeu de réclamer ce qu’il pense lui être dû, c’est sûr il va manger la Pologne comme il s’est repu de l’Autriche et de la Tchécoslovaquie.

Mais cette fois nos gouvernants n’accepteront pas de compromis, la Pologne sera défendue quoi qu’il en coûte.

Daladier notre président du conseil, qui à conclu avec l’homme au parapluie l’anglais Chamberlain le plus honteux des accords à Munich, acceptant pour sauvegarder la paix le démantèlement du territoire de nos alliés les tchèques, est cette fois bien ferme dans son attitude.

Comment ce fou d’Hitler peut-il croire que cette fois ci encore personne ne bougera.

Raymond n’est pas un va-t-en guerre comme la plus part des hommes de notre pays il ne veux pas mourir pour Dantzig.

Il s’enflamme, s’énerve, fume, les conversations sont les mêmes de table en table.

Il mange en vitupérant, Françoise n’ose l’interrompre et s’inquiète plutôt de son divorce. Qu’importe les polonais , elle est toute à son bonheur et ne compte pas qu’on lui enlève l’homme qu’elle vient de conquérir de haute lutte. L’homme qu’elle vient de ravir à cette Jacqueline honnie. Elle qui a bravé ses convictions chrétiennes,qui considère qu’une union bénie par Dieu ne peut-être dissoute. Comment pourrait-elle déjà le perdre.

Non, elle a peur et les larmes lui viennent, les deux amants rentrent et malgré la chaleur qui persiste se lieNT l’un à l’autre en une joute amoureuse que seule peuvent connaître des jeunes amoureux.

Le 23 octobre 1939, Hitler et Staline s’entendent en une danse des monstres, la Pologne sera conquise, démantelée et chacun mangera sa part du gâteau.

Les Allemands sont sûr d’avoir les coudées franches. Partout c’est la consternation, Raymond se doute qu’il va partir, il le pressent, comment pourrait-il en être autrement.

Puis le 1er septembre l’ogre se jette sur sa proie, , les forces en présence ne penchent pas du bon coté, l’agressé est faible, mal équipé, il n’a que son courage, mais dans une guerre aux formes nouvelles ce n’est plus suffisant.

L’Angleterre le 3 septembre réagit, Chamberlain qui enfin ouvre les yeux, déclare la guerre à l’Allemagne. La France en la personne de son ambassadeur fait de même.

La grande confrontation commence.

Des millions de Français répondent à la mobilisation générale, l’organisation est parfaite, chacun sait ce qu’il doit faire, munis de leur carte de mobilisation les mobilisés rejoignent leur lieu de rassemblement. Les trains sont mis à la disposition des mobilisés

Raymond doit rejoindre Valence dans la Drome ensuite il est dirigé vers Saint Péray en Ardèche, lieu où son régiment se concentre. Pour lui ce sera le 184ème régiment d’artillerie lourde tractée, commandé par le colonel Gislard. De part son métier Raymond n’est pas simple artilleur, il devient médecin du 1er groupe sous le commandement direct du chef d’escadron Delmas.

Les conséquences sont immédiates, les hommes partent par millions et les premières mesures pour évacuer et accueillir les réfugiés des départements du nord, de l’est, de l’Alsace et de la Lorraine sont prises.

Françoise se retrouve sans emploi car les éditions Flammarion ont décidé de fermer et de licencier tout le personnel.

Elle est inquiète devant un avenir absolument inconnu et se doit aussitôt de chercher du travail.

Elle projette de demander une lettre de recommandation au général Weygand, mais madame la générale lui fait répondre qu’il ne peut rien faire. En cette semaine de désordre on ne peut plus compter sur ses relations.

 

RAYMOND ET FRANÇOISE, UNE HISTOIRE D’AMOUR, épisode 1

RAYMOND ET FRANÇOISE, UNE HISTOIRE D’AMOUR, épisode 1

 

Dans son petit appartement de la rue Gervex Françoise est assise sur son lit, la chaleur de ce mois d’août 1939 l’incommode et c’est en chemise qu’elle a décidé de braver la chaleur.

Le soleil par la grande fenêtre pénètre dans la chambre et vient chauffer ses jambes nues, la brûlure de l’astre lui procure un sentiment de bien être, comme une caresse, comme une main d’amoureux qui doucement grignoterait des parcelles de chair pour remonter vers le lieu saint , vers l’origine du monde.

Aujourd’hui elle ne travaille pas et le temps lui paraît long jusqu’au soir où elle le retrouvera.

Elle a bien pensé un moment à se rendre dans le parc le plus proche pour y jouir d’un brin de fraîcheur, mais une sorte de langueur l’a clouée entre ces quatre murs. Une goutte de sueur lentement cherche son chemin entre sa poitrine, une autre, plus folle tombe en cascade sur une feuille du cahier qu’elle rédige. Un A se transforme en une tache d’encre, Françoise peste et d’un revers de main elle tente d’essuyer ce flot salé.

Cette page maculée n’est pas une lettre à son être aimé mais la continuation de son journal, de son autre moi la continuation de sa pensée.

Depuis qu’elle est étudiante , elle se confie d’une écriture serrée à ses pages . Elle s’y fait câline, mutine, poétesse, juge et critique des choses. Elle déclame son amour à celui que le destin a mis sous son chemin voici quelques mois.

Il s’appelle Raymond mais pour elle, il est Brud, un petit nom qu’elle est seule à lui donner, rien que pour eux. Ce diminutif raisonne comme un titre d’ode à l’amour.

Le journal de Françoise depuis leur rencontre s’est couvert de lignes à la gloire de leur félicité.

Ce soir elle va le voir, enfin il est libre, enfin il est à elle.

Malgré la chaleur, elle en frissonne et des pensées polissonnes traversent son cerveau, est-elle folle de se nourrir de telles insanités.

Non pas, ce n’en est point, ce n’est juste que du désir, envers celui qu’elle s’est choisi.

Mais elle est prude et chasse bientôt toutes les impuretés de son imagination, elle n’est que pour lui, ne vit que pour lui.

Lui est médecin, elle en est fière d’ autant qu’il n’est pas qu’un simple praticien d’arrondissement, non il se destine à devenir neurochirurgien, une sommité en devenir. Il est déjà bien installé dans la société, interne des hôpitaux de Paris dans le service de monsieur Lemière professeur en bactériologie à l’hôpital Claude Bernard, il a trente ans.

Françoise est plus jeune, elle n’est encore rien, se cherche, et espère devenir écrivaine . Elle est persuadée de réussir, mais malgré tout n’est point encore sûre de sa plume.

Pour l’instant elle travaille chez Flammarion l’éditeur de la rue.Racine Elle n’est encore qu’au service juridique mais elle s’entend bien avec Henri Flammarion, alors elle a toutes les raisons d’espérer.

Tout pourrait tirer sur le merveilleux, communauté d’idée, symbiose des corps si Raymond n’était point relié à une entité d’une vie antérieure.

Cela empoisonne, mine, creuse, elle est là comme un fantôme du passé. Françoise se réveille la nuit comme en transe , elle la voit, la sent, c’est un ennemi, une maladie incurable.

Lorsque Brud se tient serré le long de son corps elle s’imagine que tel un ectoplasme elle immisce en leur chair.

Raymond est marié à Jacqueline, ce n’est qu’une erreur de jeunesse, une folie car Françoise est la seule à l’aimer maintenant. Elle n’est qu’une intruse, une incongruité dans la vie de Raymond.

Certes il y a Charlette sa fille, mais elle n’est sans doute que le fruit d’une liaison charnelle et non pas une liaison amoureuse.

Françoise tente de se persuader de la véracité de ce qu’elle ressent sur le sujet. Raymond ne dit rien, peut-être l’a t’ il aimée après tout.

Non décidément il ne peut en être ainsi, elle seule le possède, elle seule sait l’aimer, elle seule sait l’amener à une ultime jouissance.

Elle se lève, boit un verre d’eau, la chaleur l’étouffe, bientôt ses bras, son odeur, sa mâle virilité.

Il n’est encore pas le temps de le rejoindre mais elle n’y tient plus et veut se préparer.

Encore un peu d’écriture, sa chemise humide de sueur est ôtée en un mouvement d’humeur. Elle est en sous vêtements, ce n’est pas dans ses habitudes. Si elle osait, si elle se décidait à braver un interdit qu’elle s’impose, elle serait bientôt nue, libérée des carcans sociétaires.

Mais non, elle n’est pas de celles qui au milieu des masses se dénudent en un naturisme venu de l’Allemagne.

Pourtant se retour à la nature est aussi prôner par les scouts dont elle fait activement partie.

Non rien à voir sans doute, elle demandera son avis à Raymond, c’est un spécialiste de la question.

Elle se dit sans doute que son milieu ne l’autorise pas à ce genre d’inconséquence. Elle, fille de financier, petite fille d’homme de loi, rejetonne de gouverneur des îles ne peut comme une ouvrière se transformer en Ève. Même seule, comme en ce moment elle se sentirait observée.

Pour sûr, sa pudicité n’est pas réservée à Brud, lorsqu’il est là, tel un tableau de maître elle n’hésite pas à se livrer à sa vue. Mais ce n’est qu’exception.

Elle est orpheline maintenant, ses parents non pas euent le bonheur de vieillir. Orpheline mais pas seule, son frère Jacques et elle ont pu bénéficier de l’amour du frère de papa André mais surtout de son épouse Gabrielle.

C’est tante Gaby presque mère, plus que tante, qui malgré son divorce la protège et la choie comme une maman choierait ses petits.

Du coté maternel Il y a aussi les de Monès, une sœur de sa maman mariée avec un fils de famille noble. Eux aussi sont comme des parents, elle les fréquente, leurs demande conseil et en cas de crise se réfugie chez eux.

Françoise est une femme libre, indépendante économiquement, elle travaille alors que d’autres à son age sont sous le joug d’un mari et de grossesses à répétition. Elle n’est point riche mais quelques actions placées par son père lui servent de réserve et de doux matelas. Elle se refuse à les vendre et parfois se serre un peu la ceinture mais c’est une poire pour la soif, son bas de laine , son assurance.

LE GREC DU CHATEAU DU GUÉ D’ALLERÉ, Épisode 2

 

La France lui paraît un paradis et il y débarque en 1923, c’est un peu la galère. On le retrouve commissionnaire en marchandises.

Il s’essaye au labeur de garagiste car il aime les belles voitures, mais ce n’est que gagne petit. Mac bourse le tente, mais les cours sont fluctuants et son train de vie n’est pas mince.

Devenant tour à tour Maillard négociant et Perret soyeux à Nantes. Représentant de la compagnie de bijouterie Brunner et Héry, puis officier en retraite.

La belle Angèle Belnard n’avait que l’embarras du choix. Nantes devenant trop petite pour les deux amants, ils s’offrirent un nid douillet dans un immeuble Haussmannien au 17 rue de Turin à Paris.

Ils s’y marièrent le 4 juin 1929 à la mairie de Paris 8ème. Grande et belle vie, champagne et bijoux, manteaux de fourrure et restaurants de luxe. Angel et Angèle s’étaient bien trouvés, un superbe duo,

Lui rassurant dans son strict costume, une petite moustache, une légère et rassurante calvitie, parlant beau et bien, elle superbe créature aux parfums lourds. La fille du Gué faisait se retourner les hommes aussi bien que les femmes, objet de convoitise et de désir.

Stavinski aux petits pieds, Angel Angelakis, dut-il mettre un peu d’espace entre lui et quelques créanciers, pour accepter de venir s’enterrer au Gué D’Alleré ou convaincu par sa jeune femme qui voulait de façon flamboyante donner leçons aux culs terreux de son village natal.

En tout cas pas question de s’installer dans une de ces sales maisons à la terre battue, non il lui fallait une demeure à leur démesure.

Ils firent donc bâtir la maison que vite les habitants du Gué baptisèrent le  » château  », peut-être pour se moquer des allures de châtelaine que prenait Angel Angélakis née Belnard.

Ses jambes gainées de soie contrastaient avec celles nues des paysannes allant au champ. Ses robes à la dernière mode parisienne juraient devant les stricts patrons des robes villageoises.

Les femmes chaussaient sabots alors qu’elle peinait à ne point salir ses jolis souliers de cuir, le contraste était flagrant.

Lui le grec n’avait que peu de points communs avec les frustes terriens de ce village agricole, mais sa voiture flambant neuve et quelques tournées au bistrot faisaient illusion d’une camaraderie.

Mais comme à chaque fois le couple devenait la proie d’ennuis financiers inextricables, ils durent vendre.

Ce fut un nommé Frank Alfred qui emporta le morceau. Cette famille juive qui villégiaturait à Fouras acheta la maison comme un refuge devant la montée inexorable des tensions entre l’Allemagne Nazie et la France.

Les époux Angelakis profitèrent de la confusion des temps pour disparaître.

Maitre escroc ils firent de fructueuses affaires, pendant tout le conflit. Bien qu’ironiquement Angel déclara devant ses futurs juges qu’il passa la guerre à coudre des chaussons et elle à tricoter.

Accordons leurs l’hypothèse du doute, ne pouvant juger que sur des preuves tangibles.

En tous cas ils ne furent nullement inquiétés par la justice de l’époque et continuèrent à vivre à leur manière.

Mais pourquoi faire les choses en petit quand on peut les faire en grand. Le couple rodé se spécialisa dans les diamants.

Angel qui avait gardé des contacts utiles en Turquie se faisait faire des chéquiers par un faussaire de sa connaissance expérimenté.

L’escroc avait en poche tous les sésames des banques internationales ainsi que les cartes d’identité correspondantes.

Il leur suffisait de choisir un joaillier assez crédule pour accepter un chèque d’un inconnu.

Mais l’allure rassurant d’officier en retraite d’Angel et le beau cul de sa femme en trompèrent plus d’un.

La bijouterie Pallagi à Paris, la bijouterie Saint Aubin à Dijon, la bijouterie Bernard à Saint Etienne et la bijouterie Orfanick et Ragenof à Paris en firent la cruelle expérience.

Le scénario était bien rodé, le couple choisissait des diamants, les payait avec des faux chèques puis les revendait contre paiement en liquide auprès de joaillers véreux. Monsieur Bellac à Toulouse et la famille Arnauton à Pau ne jouaient pas les difficiles.

Une arnaque n’en attendant pas une autre ils escroquèrent également la BNCI de Tours pour la somme de 120000 francs en détournant un acompte sur un faux chèque.

Mais la folie s’arrêta un jour et une enquête menée par le parquet de Dijon aidé par toutes les polices de France mena à l’interpellation du couple à Perpignan.

Le fils du vent Grec redevint un vieillard et la fille du tisserand du Gué une simple quinquagénaire.

Pourtant les deux se défendirent comme des beaux diables à l’audience du 31 janvier 1951, il allégua avoir été trompé. Elle apparaissait encore en maitresse femme, sûre d’elle, belle et répondant à la place de son mari, subitement vieilli et feignant d’être sourd.

L’affaire était entendue et portait sur la somme faramineuse de 7 470 000 francs, les époux Angélakis furent condamnés, lui à 4 ans de prison ferme et elle à 2 ans. Ils auraient dû payer en outre la vertigineuse amende de 2 500 000 francs. C’était peu au regard de l’escroquerie et beaucoup pour eux.

Mais le parquet jugeant la peine trop clémente les rejugea en avril de la même année. La peine fut doublée.

Ils purgèrent chacun leur peine.

La belle maison du Gué d’Alleré a changé depuis plusieurs fois de propriétaires mais gageons que la faconde du grec y résonne encore et que la gracile silhouette de la belle Angele s’y promène encore dans son parfum évanescent.

Nota : je n’ai pas trouvé quant à présent, trace du décès d’Angel Angélakis, mais il est probablement mort en prison. Mais notre héroïne du Gué d’alleré est morte à Nantes le 03 septembre 1994 au bel âge de 98 ans

Sources : Journaux de l’époque

                  registres d’état civil

LE GREC DU CHÂTEAU DU GUÉ D’ALLERÉ, Épisode 1

 

Elle se dresse là à la sortie du Gué d’Alleré, hautaine, dominatrice, surplombant de sa hauteur les misérables toits campagnards couverts de la vénérable tige de botte.

On ne voit quelle et son toit pentu, elle est la seule à être vue, nonobstant le clocheton de la maison de Dieu.

Elle en impose, comme en imposerait un excentrique dans un mariage bourgeois. Tout diffère en elle de ses congénères, les autres sont construites en un schéma utilitaire, elle surprend par une originalité toute balnéaire.

Elle s’offre à notre regard, le capte. Notre esprit se focalise sur cette demeure jetée là entre le chemin de l’abbaye et le chemin de grande communication qui mène à Saint Sauveur.

Cette folie qui n’aurait pas dénoté sur le Mail de La Rochelle ou sur le front de mer de Chatelaillon , n’avait que peu sa place sur ce méchant village de paysans qui à l’époque doucement s’étiolait.

Qui avait commis cette impudence de choisir de placer une bâtisse art déco au milieu des vétustes paysannes.

Qui avait osé immiscer des terrasses et des balustres dans un paysage fait de meules de paille et de fumier?

Qui avait bravé l’ordonnancement paysan en faisant construire cette improbable et incongruité?

La mémoire des vieux se fait filante et avant que l’écheveau de la vie se termine, tentons de relier cette splendeur à des êtres qui furent de chair et qui sans doute ne sont plus mêmes des souvenirs.

Un vieux fou penché en des grimoires poussiéreux va tenter de vous éclairer.

Nous sommes dans les années trente, celles insouciantes qui précèdent la grande catastrophe, l’économie tremble des crashs bancaires multiples, la politique est un rien pourrie et le truculent Stavinski va de sa superbe et de sa faconde faire vaciller l’ignoble troisième république.

Mais revenons à notre propos, comme beaucoup de choses la digne maison fut le fruit d’une rencontre.

Celle d’un affairiste international et d’une petite paysanne du Gué d’Alleré. Rencontre d’une improbabilité marquante mais qui pourtant eut lieu.

Madame est née Belnard en 1896 dans le village du Gué d’Alleré, son père Moise est tisserand et sa mère la Joséphine Batmalle est couturière. La petite prénommée Angèle grandit sur les bords de la Roulière à l’ombre de la petite église saint André.

Elle devint couturière mais bientôt quitta le village pour vivre le long d’une rive plus importante que notre ruisseau hivernal, car elle élut domicile à Nantes où coule la belle Loire.

Devenue brodeuse et demeurant rue Chateaubriand elle fut séduite par un charcutier du nom de Jean Haméon, ils se marièrent le 26 décembre 1923. De par son métier elle aimait être belle et bien mise, déjà elle portait beau et la petite paysanne se transformait en coquette des villes.

Le charcutier eut la malencontreuse idée de mourir en 1925 à l’âge précoce de 31 ans, miséricorde comme le nom du cimetière qui l’accueillit.

La veuve fut-elle éplorée, peut-être mais pas longtemps, car son destin bascula en rencontrant un intéressant négociant nommé Maillard.

Ce presque quinquagénaire envouta littéralement la veuve Gué d’Allérienne, était-ce cet accent oriental ou bien cette mine soignée, élégante qui sut plaire à la couturière de quartier.

Sûrement les deux ensemble mais l’objet du désir possédait aussi l’art de la conversation. Il la charma, l’enjôla, la cajola, lui donna bientôt son cœur, puis son corps à moins que cela ne fusse le contraire.

Le beau séducteur, portant veston de prix et costume de marque parisien, conduisant une imposante voiture retourna notre fille des champs, élevée au cul des vaches.

Visiblement ce négociant avait réussi, le train de vie était d’importance, elle ne s’usait plus les doigts à coudre pour les autres, elle n’était plus tenue de laver les tabliers plein de gras et de sang de son défunt charcutier de mari, elle était maintenant la belle, la garce du riche négociant.

Mais il fallut déménager, assez rapidement les affaires étaient fluctuantes, le couple rejoignit l’anonymat de la capitale et s’installa rue de Turin.

Elle était maintenant devenue son alter ego, sa femme de confiance.

Lui avait repris son nom de baptême et nous pouvons maintenant le présenter.

Le beau Maillard à l’accent trainant oriental est né grec en 1879, fils d’une ile des Cyclades nommée Syra ,il est né en la capitale de ce petit îlot rocheux. Mac petite ville nommée Ermoupolis devint son premier terrain de jeux.

Par un hasard providentiel la belle Angèle rencontra l’élégant grec qui lui aussi se prénommait Angel. Son nom était Angélakis époux divorcé de Catherine Anastassiadès

Bientôt cet univers enserré par la mer Egée ne fut plus suffisant à son ambition.

Il trempa dans le négoce de grains en la mirifique Istanbul capitale de l’empire encore Ottoman, sans se vanter il fit la même chose à Bucarest.

Éternel baroudeur, vivant de combine, faisant faillite comme faisant fortune. Doué pour les langues, il maitrisait déjà le roumain et le turc, savait l’anglais mais aussi le français.

Affublé d’un tel bagage il se rajouta le russe et devint professeur de comptabilité à Moscou et Petrograd.

Angel Angelakis était un bon comptable virtuose des chiffres, avouons que cela a du bon pour un escroc.

Mais un jour, comme à chaque fois , il dut prendre le large, le communisme naissant ne lui seyait peut-être pas assez pour faire fortune.

Sa vie maintenant oscille, son pays natal le tente, il y monte un trafic de tabac que le gouvernement Hellène n’apprécie guère. Il doit fuir et changer de nom.

 

LES MORTS DE LA VIEILLE FORME, épisode 3

Entrée arsenal de Rochefort

 

Mais les jours passant je m’aperçois ou plutôt nous nous apercevons que quelque chose ne va pas, beaucoup d’entre nous tombent malades. Ce n’est pas un phénomène rare mais pourtant l’inquiétude règne. Il y en a des dizaines de couchés à même le pont, le froid et la pluie font des ravages sur les corps fiévreux que les chirurgien du bord ne tentent même plus de secourir. Le navire se transforme peu à peu en un vaste hôpital. Tous les jours nous jetons des corps à la mer, l’aumônier ne chôme pas.

Il y a aussi des officiers touchés par la fièvre épidémique, mais mieux nourris et mieux logés ils résistent un peu mieux ou du moins plus longtemps.

Mon camarade de hamac, un vieux scorbutique qui a parcouru toutes les mers du monde s’en va aussi doucement. De sa bouche édentée et pourrissante, jaillissent encore quelques mots, j’essuie son front lui donne à boire mais c’est sans espoir, lui aussi part. Je récupère ses quelques hardes, et nous l’envoyons par dessus bord, les prières sont maintenant bâclées tant le pauvre représentant de Dieu est surchargé de moribonds.

L’un de mes compagnons entend une indiscrétion d’un officier, tous les bâtiments de l’escadre sont touchés. De mémoire de marin personne n’a jamais vu une épidémie d’une telle ampleur.

Moi je vais bien, ma bitte ne me lance plus quand je pisse, le cadeau de la belle espagnole semble être un vieux souvenir. Le remplacement des morts et des malades pour la manœuvre nous exténuent, nous tavaillons sans cesse, les voilures demandent des bras d’autant que le temps est très mauvais. A ce rythme nous allons crever de fatigue, on nous accorde un peu plus de nourriture et d’alcool, mais pensez vous la charge de travail est dure. Un marin imprudent est tombé des hautes vergues s’écrasant sur le pont, sûrement l’épuisement.

Nous remontons vers le nord, certains habitués reconnaissent les côtes bretonnes. Les creux sont énormes, les vagues pénètrent dans les entrailles du vaisseau, pas un homme n’est au sec.

La croisière est maudite pas un de nous va survivre, je me suis endurci mais l’autre soir en pensant à mon village des larmes me sont montées, jamais je ne le reverrai.

Les chefs au moyen de chaloupes se réunissent pour un conseil, c’est périlleux mais apparemment cela devient urgent, la catastrophe guette l’ensemble de l’escadre. Si on se fait surprendre par les Anglais dans cet état sanitaire, nous allons tous finir au fond de l’eau sur des pontons britanniques.

Ceux qui savent, devinent les côtes de Belle Ile. Vraiment ses falaise découpées, ses rochers magnifiques font que l’endroit porte bien son nom. L’escadre va tenter d’y mouiller mais le mauvais temps qui n’a pas cessé depuis des semaines se gâte encore, c’est la tempête.

Les instants sont critiques, entre les malades du typhus, les scorbutiques, les chtouilleux et ceux qui souffrent encore et toujours du mal de mer les matelots disponibles fondent comme neige au soleil.

Même les coups de fouets ne font pas relever les mourants. Les officiers aboient, gueulent, mais savent pertinemment que l’on va droit à notre perte.

Il faut descendre plus bas, on aperçoit les côtes vendéennes et nous savons maintenant que la destination est la rade d’Aix.

Voila l’Île de Ré, je vois au loin les rochers, nous passons un peu au large l’endroit est dangereux et le vent pousse à la côte.

Moi j’ai des frissons et malgré le froid vif en tirant sur un bout je suis trempé de sueur. Je vomis et bientôt je dois rejoindre les camarades alités. De loin l’île apparaît très plate, sans relief.

Pointe de Chanchardon les terres semblent coupées en deux par l’océan, nous pénétrons dans le pertuis d’Antioche à tribord une grande île que l’on nomme Oléron. Je vais mal, la gorge me brûle, j’ai soif, on relève mon voisin de couche il est mort. Je soulève la tête péniblement et je vois la petite Aix avec ses fortifications.

La mer est houleuse mais ce n’est rien, nous sommes protégés par les deux grandes bandes de terre Ré et Oléron.

L’escadre va désarmer, il est inutile de continuer car tout le monde va mourir, la chaîne épidémique doit être coupée.

Le Tigre remonte le chenal de l’embouchure de la Charente, là bas à une douzaine de kilomètres dans les terres le roi soleil l’arrière grand père de celui qui règne maintenant a fait surgir dans les marécages un grand port et son arsenal. De village Rochefort est devenue une ville où il y a un hôpital .

Notre navire mouille face au village de Port des Barques, les autres s’espacent dans la rade, nous sommes à l’abri des éléments et des insultes anglaises.

Les plus grands vaisseaux ne peuvent remonter le cours du fleuve lorsqu’ils sont à plein, il faut une myriade de chaloupes et des journées d’effort pour descendre les canons et tout ce qui pèse lourd.

Ensuite les bateaux sont halés par une cordelle d’une centaine de villageois réquisitionnés qu’ils le veuillent ou non. C’est un travail de titans mais c’est à ce prix que ce port éloigné des côtes reste opérationnel.

Je ne tiens plus sur mes jambes. Dès le 1er juin des hommes sont débarqués moi je me traîne et je dois attendre le 20 juin pour être hospitalisé. On me descend dans une barcasse et la remontée de la Charente commence, fontaine de Lupin, fort de Lupin, pointe de la Parpagnole. On semble repartir dans l’autre sens mais non c’est une sinuosité, le fort du Vergeroux, le village de Soubise et son église, le Martrou avec son passeur qui nous regarde passer stoïquement, enfin nous arrivons, de nombreux bateaux sont en chantier d’autres en réparation;les berges sont couvertes de roseaux mais l’activité sur les quais est intense. L’arrivée de l’escadre non prévue désorganise l’arsenal en entier.

Normalement l’activité du port devait se concentrer sur l’armement des escortes qui devaient protéger les convois vers les Antilles.

J’admire à peine la Corderie royale, l’un des plus longs bâtiments du monde dit-on. Voila j’arrive bientôt, un lit cela fait des mois que j’en rêve. Mais stupeur pour nous tous, l’hôpital est plein à craquer. Pas assez de guérisons pour libérer des places ou bien pas assez de morts.

C’est comme cela que je me retrouve à fond de cale dans la vieille forme décidément je n’ai guère de chance nous sommes le 20 juin le jour de mon arrivée je le sais car le commis qui m’a inscrit me l’a dit.

Mais malheureusement je sens que je décline doucement, mes forces m’abandonnent, je divague quelque peu, je me vois courir sur les rochers de Sanary, me baigner nu dans les calanques, je vois ma mère mais aussi curieusement mon père, c’est bizarre il est mort. Oui je le distingue bien, il se rapproche, je n’ai plus chaud, je n’ai plus soif je suis bien, papa me tend la main, j’arrive.

Honoré Touron marin du Tigre né à Sanary est mort le 26 juin 1745 six jours après son entrée sous les tentes de la vieille forme, l’épidémie qui a surgi sur l’escale à fait un carnage.

 

Nonobstant les morts qu’il y a eu en mer, les chiffres de ceux qui sont morts à l’hôpital royale de Rochefort sont effarant pour un laps de temps très cours qui s’échelonne de juin à septembre  1745

Tonnant 80 canon, 170 morts

Terrible, 74 canon 57 morts

Borée, 64 canon 55 morts

l’Éole, 64 canons, 95 morts

Léopard, 51 morts

L’Alcyon, 56 canons 6 morts

Tigre, 50 canons, 33 morts

Atalante, 21 morts

Bien évidemment l’épidémie ne s’arrêta pas aux marins de l’escadre et le personnel de santé paya aussi un lourd tribut.

Ces enfants de Provence qui avaient quitté leur soleil avec espoir de le revoir terminèrent leur vie en souffrance dans un hôpital saturé où une  vieille forme transformée en mouroir à moins qu’ils aient succombé au gré des mouvements océaniques avant le désarmement en rade d’Aix.

La guerre de succession d’Autriche qui avait amené nos provençaux sur les terres atlantique s’est terminé en 1748 par le traité d’Aix la Chapelle.

Il y aura d’autres guerres, d’autres épidémies et d’autres morts, c’est ainsi.

LES MORTS DE LA VIEILLE FORME, épisode 2

Honoré devint bientôt un marin accomplit et son rêve était maintenant de posséder sa propre barque.

Il s’était aussi pris d’amour pour une jeune bergère âgée d’à peine seize ans, il en rêvait la nuit et multipliait les stratagèmes pour se trouver sur son chemin. La belle sauvageonne aux pieds nus faisait semblant de l’ignorer mais ce beau marin au teint mate ne la laissait pas indifférent.

Leur folle aventure aurait pu continuer la vie durant, l’Honoré l’aurait marié et à flanc de la colline qui surplombait la mer se serait construit une simple cabane qui devenue château aurait-été le siège de leur bonheur.

Hélas comme tous les marins de France, Honoré était recensé pour alimenter les équipages des navires de la royale. Il n’y coupa pas et se retrouva enrôlé contre son gré.

Bien que Sanary fut proche de la grande métropole il n’avait jamais été à Toulon, son départ fut triste, sa mère pleura des jours durant. Quand à la petite bergère confiante en l’avenir se promit d’attendre Honoré. Lui, supplia qu’elle n’en fit rien, car son absence durerait des années. Le futur matelot du roi aurait bien voulu prendre ce qui lui était dû, comme un gage de retour, un gage d’amour, un morceau de dot mais une instinctive prémonition lui fit renoncer à prendre la citadelle de la petite bergère.

Toulon, son arsenal, ses maisons aux murs sales, son port de guerre où à quai se dressaient les belles unités de la flotte. Il fut affecté au navire nommé le  Tigre.

Lorsqu’il passa la passerelle il ne put qu’être subjuguer par la majestueuse beauté de cet énorme voilier. A bord une myriade de marins s’activait à armer le bateau pour un départ éminent.

Honoré fut assigné au transport des vivres.

Le tigre est un vaisseau de 50 canons, il est déjà vieux car lancé il y a plus de 20 ans.

Ce n’est pas le plus gros de l’escadre mais il est déjà considérable en comparaison des barcasses du port de Sanary . Honoré est intimidé et complètement perdu, noyé parmi les 500 membres de l’équipage. Tout le monde se marche dessus, les nouveaux sont bousculés par les anciens.

Justement l’un de ces derniers, enfant comme Honoré de Sanary décide de le prendre sous son aile et de partager son hamac.

Les ponts sont encombrés de matériels, voiles, cordages, canons, tonneaux d’eau et de viande salée, barriques de vin et d’eau de vie, réserve de haricots et de fèves.

On a fait monter à bord des volailles, des moutons et des cochons pour servirent de victuaille, cela caquettent, bêlent et grouinent. Les bêtes de peur chient partout répandant une odeur nauséabonde.

Entre les animaux sur pieds et nous les humains la promiscuité est totale nous sommes entassés comme des poules en cage.

Avec le travail qu’il y a à bord nous en oublions la beauté de la rade de Toulon, au loin la montagne du Faron, le soleil est magnifique et une légère brise nous permet de quitter la darse. Je suis inséré dans une équipe, mon nouveau métier reste à apprendre. Bientôt les voiles se gonflent, le spectacle est époustouflant, d’autres navires ont pris le départ, le Tonnant avec le chef d’escadre à bord , le Saint Esprit de 74 canons, l’Éole de 64 et le petit Zéphir de 28, l’ escadre est commandée par le chevalier de Piosin, c’est un vieux bonhomme qu’on nomme le bailli . Pour sûr nous ne sommes pas logés à la même enseigne et il ne nous donne pas d’ordres directement.

On ne sait pas trop ce qu’on va faire ni où on va mais les gradés nous apprennent qu’on est en guerre contre l’Autriche, l’Angleterre, le Royaume unis. Nous on a dans notre camps l’Espagne et la Prusse. Moi fils de Sanary, ces pays je ne les connais pas et je me demande bien pourquoi on se mêle de la succession d’Autriche, bon c’est sûr c’est vraiment bizarre qu’une femme monte sur un trône.

En tous cas cette guerre de la succession d’Autriche me mène loin de chez moi et loin de mes côtes de Sanary.

Les conditions de vie sont épouvantables, j’ai même le mal de mer, c’est bizarre pour quelqu’un qui a passé sa jeunesse à être chamboulé sur une coque de noix.

On se dirige maintenant vers l’Espagne et le port de Carthagène, on y fait escale et enfin on peut toucher la terre ferme. Je n’ai qu’une maigre solde mais je peux comme les autres aller faire mes premières armes dans les bouges du port.

 Le vin lourd de Murcie me soûle irrémédiablement. Je fais également mes premiers pas dans un bordel, je me déniaise avec une vieille, grosse laide et puante. Les plus belles sont plus chères, mais je m’en fous il fallait que je le fasse. Maintenant que j’ai franchi toutes ces étapes initiatiques je suis un vrai marin de la royale.

Le 12 novembre 1744 on repart avec comme destination l’Atlantique, on franchit le détroit de Gibraltar, j’aperçois les rochers, cela bouge beaucoup sur le navire le temps est gros, le bruit est infernal, le bois se plaint, craque, gémit. Il y a de l’eau dans les cales, avec des pompes toute la journée on évacue de l’eau.

Le 20 novembre on est à Cadix, le tableau est le même qu’à Carthagène, les filles pullulent et cette fois j’ai la chance de pouvoir prendre une jeunette aux jolies traits et au corps encore parfait. Puis l’on repart mais le Tonnant à une avarie et l’on fait escale pour le  réparer, cela m’arrange car la vilaine m’ a refilé une saloperie, je pisse du sang et du pus et j’ai l’impression qu’une lame de couteau me transperce.

Nous sommes nombreux à avoir la chtouille.

Le 3 janvier 1745 nous remontons vers les Acores, cela secoue, les premiers malades arrivent rapidement, les chirurgiens ne peuvent rien pour eux, et nous les basculons dans l’océan. Cela libère de la place mais c’est inquiétant. Nous devons protéger l’arrivée des navires Espagnol de l’amiral Torres, c’est un convoi qui vient des Amériques et que convoitent nos ennemis de toujours, les Anglais.

Le 8 février 1745 nous rentrons à Cadix et sommes remplacés par la division Jonquière qui vient de Toulon. Ensuite les deux divisions se renforcent et patrouillent jusqu’au 29 mars le long des côtes espagnoles. Puis toute la flottille appareille pour croiser le long des côtes espagnoles et françaises, du cap Saint Vincent au cap Finistère.

LES MORTS DE LA VIEILLE FORME , épisode 1

La chaleur de ce mois de juillet était épouvantable, le soleil à la verticale au dessus de la forme brûlait inexorablement les corps. En début de matinée des sœurs avaient distribué de l’eau, mais cela faisait déjà un moment et le temps paraissait une éternité. Honoré avait la bouche pâteuse, sa langue était gonflée, plus une goutte de sueur ne sortait des pores de sa peau. Son visage semblait se tendre, s’assécher, se craqueler. Instinctivement il lécha sa main comme pour y puiser quelques ultimes perles d’humidité, mais le goût du sel le répugna.

A coté de lui d’autres hommes, certains geignaient, d’autres irrémédiablement perdus étaient déjà partis vers de meilleurs cieux. Si il ne fallait garder qu’un point commun entre eux, la misère serait évidemment choisie.

Les hardes qu’on lui avait fournies, il y a d’ici quelques mois, n’étaient plus que lambeaux que même un vagabond ne porterait pas. Oripeaux indécents ne couvrant même plus le strict nécessaire, aucune femme exceptées les saintes qui s’occupaient d’eux ne pourraient supporter une telle impudeur.

Son voisin de misère tenta de se lever mais manquant désespérément de force s’affala en gueulant.

Honoré maintenant immobile fixait de ses yeux exorbités la toile blanche qui leur servait de toit. En guise de couverture les autorités débordées avaient installé une vingtaine de tentes ces grosses toiles depuis longtemps jaunies et durcies résidus de fières voilures n’offraient qu’une pâle résistance aux rayons de l’astre solaire. Aucune brise ne venait atténuer la chaleur moite qui curieusement ne semblait pas venir du ciel mais plutôt des entrailles de la fosse où les autorités les avaient déposés par manque de place.

Avec Honoré ils étaient peut être une centaine à crever doucement. Perdus de fièvre, grelottant malgré la température presque tropicale, manquant de soins, d’eau, de nourriture, sales, couverts d’excréments ils attendaient en bon marin de la royale, une mort presque certaine.

La plupart couverts de poux et de puces ne luttaient même plus contre ces nuisibles, les laissant par manque de force croître et multiplier. Des rats, terribles, gras, téméraires avaient fait leur apparition se préparant comme une armée à fondre sur un ennemi amoindri

Dans le tombeau où il se trouvait maintenant, les hordes grouillantes n’attendaient plus qu’un ordre mystérieux pour attaquer et vaincre.

Honoré dans son délire venait d’apercevoir en haut de la vieille forme présentement transformé en mouroir, des beaux messieurs de la maison du roi mouchoir blanc sur le nez évaluant les pertes éventuelles et supputant le nombre effarant de remplaçants qu’il faudrait trouver.

L’immense trou où on les avait relégués n’était point en s’en doute destiné aux soins périlleux d’une armée de scorbutiques mais plutôt à ceux des navires de sa majesté.

Les locaux appelait cet antre la vieille forme non pas qu’elle fut si âgée mais depuis sa construction en 1669 d’autres avaient été creusées et par commodité la dénomination de vieille lui avait été donnée. Sublime et magnifique architecture que cette première forme maçonnée du monde, permettant de construire et d’entretenir un bateau en étant à sec. Merveille de techniques où par le moyen d’une porte écluse, on isolait la forme de son fleuve, de sa rivière où de son océan.

Faite pour radouber et non pas pour accueillir des malades, cette grande arène au fond humide et instable s’avérait le mouroir parfait. L’ingénieur François le Vau ne l’avait point conçu comme salle de soins mais comme un lieu de haute de praticité dans l’entretien des navires. Creusée sur un sol instable il fallut la paver d’un assemblage de pierres de Saint Savinien qui en fit la première du genre.

Mais pour Honoré que cette forme de radoub fut une merveille du genre cela ne lui importait guère. Pour lui et les centaines de malheureux qui y croupissaient cela tenait plus de l’abandon que de la charité.

Normalement Honoré aurait dû comme les autres bénéficier des salles de l’hôpital maritime, mais devant le sinistre afflux de malades venant de l’escadre les autorités avaient du se résoudre à aménager la forme de radoub en salle d’hôpital. Pas entièrement couverte, les infirmiers avaient tendu des vieilles toiles de tentes pour protéger les malades des éléments. C’était illusoire, de penser que la pluie ne viendrait pas mouiller les mourants et que le soleil de l’été ne ferait pas de ravages sur les organismes usés des matelots de la flotte. De plus les miasmes des terrains marécageux rajoutaient à nos malheurs et introduisaient de nouvelles infections.

Qu’on ne s’y trompe pas les malades entassés dans les salles de l’hôpital y mouraient aussi en grand nombre, mais mourir pour mourir autant le faire au sec et à l’abri des éléments.

Pourtant mais cela Honoré en avait cure, l’hôpital maritime de Rochefort offrait ce qui ce faisait de mieux en la matière, une école d’anatomie et de chirurgie, un jardin botanique pour fournir la pharmacopée et une kyrielle de religieuses de l’ordre de Saint Vincent de Paul. Le tout dirigé par le vénérable Cochon Dupuy médecin de sa majesté, tous furent dévoués il est vrai .Les chirurgiens mouraient par dizaines, les bonnes sœurs aussi, le contrôleur Begon illustre rejeton s’occupait particulièrement de la vieille forme.

Rien n’y faisait, autour d’Honoré les marins moribonds s’en allaient à tour de rôle vers un monde meilleur, on eut dit que chacun consciencieux ,montait prendre leur quart sur un navire dirigé par la faucheuse.

Honoré ne se sentait ni mieux ni plus mal en ce jour, les releveurs de morts avaient prélevé leur tribut et reviendraient sans doute en cours de journée. On lui avait fait boire une soupe et le ventre plein son esprit se remit à vagabonder.

Il était comme la plupart de ceux couchés originaire de la Provence et quand il avait du vague à l’âme il pensait à son petit village de Sanary. Tout était différent la bas, le vent n’était pas le même qu’ici, la mer ne se sauvait pas et ne laissait pas un paysage désolé fait de vase et de flaques.

Même le soleil ne chauffait pas de la même façon dans cette triste contrée, là bas il réchauffait, à Rochefort il vous cuisait.

La Charente qu’il avait remonté après son débarquement dans la rade d’Aix lui paraissait laide, triste, trop calme en ses berges boueuses, aucun relief, pouvant lui faire penser aux contreforts montagneux de son arrière pays.

Il n’aimait pas l’endroit sentant pertinemment qu’il pouvait y mourir. D’ailleurs que faisait-il là à somnoler dans cette sombre forme de radoub alors qu’il pourrait au grand vent du mistral ravauder ses filets sur le port de pêche de son village natal.

LA BAILLETTE DU GUÉ D’ALLERÉ, Épisode 2

 

Sur le premier banc se tenait stoïque le maire du village monsieur Boutet François, habillé avec élégance, tranchant par ses habits avec les majorités des habitants du village pourtant revêtus de leurs plus beaux atours.

Cet édile en place depuis le mois de septembre 1800 faisait assez vieille France et on aurait pu l’imaginer en bas de soie comme sous l’ancien régime.

Les maires des villes de moins de 5000 habitants étaient nommés par le préfet, celle au dessus par l’empereur lui même.

Maintenant propriétaire, il avait été magistrat et plus précisément président du siège des traites de La Rochelle. Son père mort à Saint Sauveur du Nuaillé avait été en son temps conseiller du roi et receveur de la chancellerie de la Rochelle.

Famille puissante liée à la famille de l’ancien député et procureur impérial Charles Agier et aux anciennes familles qui possédaient les terres du Gué et ses environs, les De la Porte, les Gasq et les Poirel

Nommé par le préfet, François Boutet administrait avec bonheur la commune et exerçait sur cette dernière un pouvoir absolu comme l’y autorisait la loi.

L’écart de sa fortune et de sa condition avec les paysans de sa commune ont fait qu’il était craint et respecté. Mais en bon propriétaire terrien, il connaissait toutes les familles par le menu et chacun par son nom. Toujours présent en cas de difficultés, le maire était aimé de ses administrés.

La messe terminée, la vente du sixième banc en entrant à gauche peut commencer, c’est une formalité seuls Jean Gaquignolle et Jean Petit sont sur les rangs, les fabriciens le décident, ce banc de piété leur est attribué pendant toute leur vie durant. La somme est de quarante deux francs et les deux hommes verseront en plus un loyer de deux francs tous les ans, payable aux fêtes de Pâques. Le marguiller et le receveur perçoivent la somme au nom de la fabrique.

La fabrique est un instrument d’administration au service du culte, elle est responsable de la gestion des biens matériels et des revenus de la paroisse. Elle sert aussi de liaison avec les autorités civiles locales, le maire, le conseil municipal, les œuvres de bienfaisances. Il est aussi en rapport avec les autorités du culte et les autorités préfectorales.

Le conseil de fabrique est composé du curé , du maire ainsi que de cinq membres cooptés. En général le conseil se réunit quatre fois par an.

Trois laïc ( non religieux ) sont élus au bureau des marguilliers, un président , un secrétaire et un trésorier. Ce bureau se réunit tous les mois et gère le budget.

Les membre de la fabrique sont recrutés parmi les plus imposés de la paroisse, se sont donc en général des notables où pour le moins des paysans ou artisans aisés.

La fabrique se doit d’ être en bon terme avec la commune car cette dernière doit suppléer aux dépenses que la fabrique ne peut assumer seule.

Les fabriques tirent leur revenu des quêtes, de la location des bancs et chaises et des pompes funèbres et éventuellement des terres que la paroisse possède.

On nomme marguillier un membre du conseil de fabrique.

En cette année 1804 c’est André Roch Petit qui reçoit dans ses mains l’argent de Jean Gaquignolle.

C’est un tonnelier opulent qui possède de nombreuses vignes et qui est entré dans le monde du négoce d’eau de vie. Il est âgé de quarante ans, sûr de sa force et de son importance il en impose et parle fort. Marié à une fille du pays, il se désespère de n’avoir à ce jour que des filles.

En ce moment le président de la fabrique est Jean Raimond, lui aussi est un enfant du pays âgé de quarante deux ans il est cultivateur , propriétaire et négociant. En ce pays couvert de vignes, les négociants en eau de vie sont les nouveaux rois, ils construisent en pierre de vastes demeures, aérées, ouvertes, couvertes de tuiles.  Elles contrastent avec les méchantes maisons aux rares fenêtres et aux toits encore largement en chaume des paysans.

La petitesse des parcelles de vigne ne permet que rarement l’enrichissement.

Jeanne Néraudeau sa femme?en l’attendant pérore comme une dame sur le seuil de l’église, elle répond au salut comme si elle était propriétaire du château. Chacun la déteste de la voir péter plus haut que son cul, mais elle est la femme de celui qui rachète les récoltes, alors, chapeaux bas et mines respectueuses.

Les membres du conseil sortent enfin, Jean Gaquignolle et Jean Petit sont fiers, le bail qu’ils viennent de signer est un contrat qui marque leur entrée dans la communauté des gens qui ont des biens. Ils ne sont plus des traines misères aux joues creuses, ce banc assoit leur notoriété. Bien sûr ils ne ne sont pas riches et ne seront pas reçus chez monsieur le Maire ni chez les négociants. Ils devront continuer à se tuer au labeur pour chaque jour arracher le sang de la vigne.

Les deux familles sont fières d’accéder à cet attribut de richesse . Ils ont leur place juste derrière les nantis. Si les hommes sont ainsi plein d’orgueil, les femmes tout en appréciant la matérialité du fait ne s’en rapproche pas moins du seigneur en avançant vers l’autel.

La vanité humaine se conjuguant ainsi avec la piété, alliant le matériel à l’immatériel .

Quarante deux francs représente quand même quelques journées de travail, la vieille Marie Favreau peut-être fier de son fils.

D’ailleurs la longévité de l’existence de Jean Gaquignolle fit que l’affaire fut excellente pour la famille et un peu moins pour la fabrique, car ce dernier s’éteignit au Gué d’Alleré le onze juin 1870 .

Jean Raimond lui mourut en 1852 , âgé de 80 ans et le maire François Boutet resta en charge de la commune jusqu’à son décès à 80 ans en 1827.

André Roch Petit décéda un peu plus tôt en son domicile du Gué d’Alleré le 29 juillet 1816, il avait 53 ans.

La jolie baillette du gué d’Alleré possède un joli cachet de cire rouge aux marques de la commune et un tampon république française qui couta à Jean Gaquignolle la somme de 25 centimes de franc.

Nota : Si je parle peu de Jean Petit c’est qu’il existe un doute sur son identité réelle, car en effet à cette époque trois Jean Petit ayant le même âge ,vivaient sur la commune, en l’absence de signature je n’ai pu départager.

La commune du Gué d’Alleré à la chance de posséder deux baillettes dans ses archives, petit trésor communal dont je me devais de conter la brève histoire.

UNE SIMPLE HISTOIRE DE FOU, ÉPISODE 3, le service militaire

 

Alors un jour on m’emmena chez mon grand-père à Surtauville, on m’expliqua que j’allais apprendre le métier de scieur de bois. C’était le papa de maman, il tenait une scierie dans le village et une autre à la Haye Malherbe. J’étais un peu heureux, m’en aller de la boucherie, des jeunes qui m’ennuyaient, des filles qui me chassaient et de maman qui ne m’aimait guère.

Le grand père s’appelait Zéphir Levigneron, un vrai personnage qui me faisait un peu peur il est vrai, mais moins que ma grand-mère Victoire, et ma tante Céline. Mes parents me lâchèrent là-bas avec une réelle satisfaction. J’étais perdu, dépaysé et j’avais un peu de mal à discerner le rôle de chacun, car voyez-vous il y avait plusieurs ouvriers qui demeuraient sur place.

Zéphir avait bien réussi, fils de journalier, devenu marchand de bois, il était maintenant un personnage reconnu dans le village et les alentours.

On tenta de m’apprendre le métier, mais ce fut comme à l’école, pas assez rapide, trop lent. Je faisais des erreurs et les employés me hurlaient dessus. Heureusement grand-père intervenait, il était gentil avec moi, lui.

Moi j’aimais bien faire toujours la même chose, je trouvais mon plaisir à faire et à refaire le même geste.

Bon je m’énervais souvent et parfois je devenais violent. Si on m’avait laissé tranquille aussi.

Le grand père disait que j’étais un peu couillon, alors les ouvriers quand je passais me chantaient : couillon, couillon, couillon. Je m’enfuyais dans la campagne, et Zéphir disait laissez-le donc, quand il aura faim, il rentrera.

Seulement, voilà j’étais devenu au physique presque un homme et personne n’acceptait que je suive les filles ou les femmes. Un jour le père de l’une d’elles m’a mis une gifle et un autre a failli m’embrocher avec sa fourche. Le grand-père arrangeait toujours tout.

Il y eut un drame à cette époque, la grand-mère Victorine cassa sa pipe, j’ai pas pleuré et même qu’au cimetière ma mère m’a mis un coup de pied dans les chevilles car je souriais.

A l’enterrement ce fut peut-être la première fois que nous étions tous réunis , Marcel, Alice et moi.

Je ne retournerai jamais à Louviers, j’étais bien ici, je coupais mes planches et nettoyais la scierie.

Le grand père me donnait quelques sous et avec je pouvais m’acheter des friandises et aussi du tabac car les ouvriers m’avaient appris à fumer.

Ma tante me surveillait mais moi j’étais plus malin qu’elle et je fumais en cachette. Bon un jour le vieux il m’a collé un fameux coup pied au cul, car je m’étais caché dans la réserve de planches. Alors vous pensez bien qu’avec le feu c’était défendu.

Un autre fois les copains ils m’ont fait boire, j’ai été malade, puis j’ai fait une crise. Ma tante, je l’entendais la méchante disait qu’on ferait mieux de m’enfermer.

J’étais bien quand j’étais tout seul, je pensais, je regardais le ciel et écoutais les oiseaux, autour de moi.

Maintenant cela s’agite autour de moi, c’est mon voisin de lit, il n’a pas l’air très bien. C’est drôle l’une des sœurs lui recouvre la tête d’un drap.

Puis des messieurs en blouse grise l’emmènent, je pense qu’on le ramène à sa chambre.

On m’essuie le front, on prend mon pouls, le docteur sentencieux dit, il va bientôt rejoindre celui qui vient de partir. Je le sentais bien que j’allais guérir.

Chez grand-père la vie suivait son cours, mais les ouvriers commençaient à se plaindre de mon attitude, je les retardais. Zéphir me protégeait mais quand il n’était pas là on me chahutait.

Mais le pire c’était quand je me promenais et que les gens se détournaient ou riaient à mon passage. J’essayais de ne pas y faire attention mais les mots sont parfois cruels et malgré ma bizarrerie apparente je les comprenais très bien.

Tous s’effaçaient devant moi et particulièrement les femmes, j’étais un homme, je travaillais et j’aurais bien aimé me marier pour posséder l’une d’elles.

Mais elles avaient peur de moi et chaque fois cela tournait mal.

Grand-père bien ennuyé m’expliqua qu’en attendant mon conseil de révision je pourrais aller travailler chez l’un de ses copains à Romilly sur Andelle. Moi je ne voulais pas, j’aimais pas qu’on change mes habitudes. Je fis une crise de nerf, me roulait par terre, le docteur eut beaucoup de mal à me calmer.

Finalement je partis là-bas vers mon destin.

C’est mon père qui me conduisit au conseil de révision. On passa une visite médicale, tous à poil à la queue leu leu, moi j’ai pas trop aimé, c’était la première fois que je me mettais tout nu devant quelqu’un, instinctivement je me cachais le sexe.

On prit mes mensurations, 1 m 68, j’étais grand, yeux gris, cheveux châtains, visage ovale.

Je savais lire et écrire, on nota, degré d’instruction 3, on me posa également des questions, cela dura plus longtemps que pour les autres. Le militaire qui était là semblait se moquer et le médecin me fit défiler plusieurs fois devant lui.

Finalement on m’incorpora, mon père ne voulut pas que j’aille avec les autres conscrits faire la fête.

Il avait raison de toutes façons ils n’auraient pas voulu de moi.

Je reçus quelques temps plus tard mon affectation, 5ème régiment d’infanterie à Falaise dans le département du Calvados.

J’y arrivais le 4 octobre 1910, vaste bâtiment rectangulaire à plusieurs étages, une immense cour et des bâtiments de service sur les côtés.

On nous aboya dessus immédiatement, nous n’étions plus des civiles mais des militaires. On allait nous transformer en homme.

J’eus immédiatement peur, je ne comprenais pas ce que l’on me voulait et je me fis repérer tout de suite.

On nous donna notre paquetage puis on nous fit monter dans les chambrées.

Nous étions dans de vastes dortoirs et moi je me retrouvais à l’une des plus mauvaises places c’est à dire près de l’entrée.

Je n’avais jamais connu une telle promiscuité, cela me déconcerta. Un bourdonnement grave et incessant de conversations, des grandes gueules, un mélange aussi de patois, bas normand, haut normand, breton. Puis des odeurs de corps entremêlés, sueur, crasse, saucisson, jambon que certains avaient amenés de leur ferme.

Puis il faut bien le dire, une odeur de pisse et de merde qui passait par la porte et venait des latrines placées sur le palier.

Le soir couché, ce fut un concert de pets, tous rigolaient, moi cela me dégoutait.

Le lendemain le calvaire commença, l’ordre serré qu’on appelle cela, faire marcher au pas une bande de paysans qui ne marchaient au quotidien qu’avec des sabots n’était pas une chose aisée.

 

UNE SIMPLE HISTOIRE DE FOU, ÉPISODE 1

UNE SIMPLE HISTOIRE DE FOU, ÉPISODE 2