Le bonhomme avait la couenne dure, penché, courbé en deux, soufflant, jurant, crachant il se leva et me terrorisa toute la journée. Cet emmerdeur finit enfin par sortir, les hommes ne le virent pas à l’abattage de l’arbre qui se poursuivait.
Le propriétaire avait décidé de vendre ce magnifique fût et un charroi fut organisé par des rouliers. Antoine pestait de ne pas pouvoir garder une telle splendeur . L’abattage d’un tel arbre nous assurait quand même de quelques semaines de chauffage et croyez moi ce n’était pas le cas dans toutes les maisons.
Un jour alors qu’il avait disparu depuis le matin sans dire où il allait, il revint. Il revint mais point seul, à ses bras une forte gosse, bien charpentée, rose comme un petit cochon et proprette comme une chasse.
Nous savions bien sûr de qui il s’agissait, mais nous demeurâmes comme des couillons. Antoine voyait en l’arrivée de cette gamine une ennemie pour sa Marie Rose. Il avait sans doute raison car une belle mère plus jeune que sa bru, cela n’apportait jamais rien de bon. Antoine ne cessa de répéter, il a osé , il a osé nous la ramener.
Il s’appliqua à nous faire les présentations, nous n’étions pas aux Tuileries et cela fut assez comique.
Marie Raffin âgée de dix neuf ans né en 1817, six années après moi, domestique de ferme de son état, mon père en avait tout de même quarante six. Il décida qu’elle mangerait avec nous. L’ambiance fut glaciale, d’autant qu’il m’incomba de la servir. A plusieurs reprises je fus tentée de lui renverser le chaudron sur sa vilaine robe. Le père ne voyait rien, n’entendait rien ne devinait rien tant il était aveuglé par le sourire niais de cette Marie. A travers la table on voyait bien qu’il buvait ses gros seins, qu’il mangeait ses hanches débordantes de vitalité. Si nous n’avions pas été là il y a beau temps que la bouboule aurait été boulottée sur le lit où six mois plus tôt Marguerite agonisait.
C’en était indécent même pour nous qui étions habitués en nos villages à des remariages rapides. Là rien ne pressait, pas de petit aux seins, pas d’enfant à garder car j’étais encore présente. Non mon père avait les plaisirs de la chair chevillés en lui et l’on sentait qu’il se pourléchait des appâts de cette presque enfant. Nous en étions sûr, cela allait jaser au village et encore une fois nous serions la risée des autres.
En plus nous nous aperçûmes que cette oie blanche n’était pas douée d’une intelligence très vive, elle riait à tout comme une folle dans sa camisole. Mon père en la raccompagnant nous précisa que le mariage attendrait un peu car beaucoup de choses n’étaient pas encore réglées. Je croisais les doigts pour que mon père ne soit pas maladroit et qu’il ne lui fasse pas un enfant tout de suite. Car n’en doutons pas le vieux métayer croquait déjà dans ce gros fruit mur.
Nous arrivâmes à la fête de la nativité, c’est à dire que nous fêtions la naissance de notre seigneur Jésus Christ . J’avais appris qu’il était né dans un petit village qui se nommait Bethléem et dans une province qui s’appelait à cette époque la Galilée.
Un colporteur avait l’année dernière faillit être esquinté par la foule car il avait dit que Jésus était Juif. Moi je savais pas trop où était la Galilée mais le curé ne nous avait jamais parlé de cela et bien au contraire il disait que c’était eux qui l’avaient livré aux romains.
Bref Marie avait accouché dans une étable et Jésus entouré de ses parents fut déposé dans une crèche.
En ce jour personnellement j’allais à trois messes, les fidèles en journée étaient des femmes en presque totalité. Les hommes ne viendraient qu’à la messe de minuit. Non eux ils étaient en pleine discussion pour savoir quelle bûche serait mise dans la cheminée pour la veillée. Du choix, en allait la réputation du maître de maison, évidement il fallait qu’elle rentre dans la cheminée qu’elle soit d’un bois bien dur et sec afin que sa combustion se prolonge au minimum jusqu’à notre retour de la messe et idéalement pendant la journée du lendemain. Papa fit choix d’un superbe morceau de chêne , un idéal, une merveille qui nous ferait plusieurs jours, il en était sûr mais il était tout le temps sûr. On nettoya notre âtre, on lui refit une beauté puis comme on aurait placé une couronne on porta notre offrande au feu. J’avais gardé des tisons de la bûche de l’année précédente, on alluma la nouvelle avec.
Nous étions tous réunis, papa, Antoine, Stanislas, Aimé, Thérèse, Marie et moi. On se groupa autour du feu et à l’aide d’un morceau de buis des rameaux on bénit notre bûche de Noël. On pria puis l’on entonna quelques chants. Nous voir réunis autour de ce feu sacrée me faisait dresser les poils du bras. Dans l’attente du départ pour la messe on mangea des noix et des châtaignes. Ma fille dormait dans son berceau et Thérèse s’était écroulée dans les bras d’Antoine.
Quand ce fut l’heure on sortit et à la chandelle nous nous dirigeâmes vers l’église, au loin des petites lumières vacillaient et convergeaient toutes vers le village. Tous étaient joyeux, personne ne sentait le froid, c’était la magie de Noël. L’église était comble, il fit presque chaud, on pria, on chanta, on se leva , on s’agenouilla. Mon mari en eut rapidement marre, ma sœur baillait et mon père lui avait vissé ses yeux sur le postérieur de la Marie Raffin.
On rentra à la maison, Marie Jeanne et René, Jacques et Louise avec leurs enfants nous avaient rejoinTs . J’avais suspendu dans la cheminée un poêlon de grattons. On les mangea avec appétit et bonheur d’une joie simple de paysans honnêtes.
Le lendemain je retournais à la messe sans mes hommes. Chacun fit ce qu’il avait envie vive Noël.