UNE VIE PAYSANNE . Épisode 2, La vie sans le Père

 

 

Au retour je me retrouve avec ma mère et mes frères et sœurs, la fièvre de l’enterrement est passée et le silence se fait pesant autour de la grande table de chêne.

Marie Magdeleine en ainée prend les choses en main et sort les écuelles du coffre, un reste de soupe fera l’affaire pour les ventres affamés que nous sommes.

Maman est effondrée et pleure en silence, Victoire voyant cela grimpe sur elle et avec ses petites mains potelées et sales essuie les larmes au goût salé et amer.

La vie va continuer mais pour l’instant l’absence du Père est pour nous tous un manque cruel. Ses outils de vannier traînent et son dernier ouvrage inachevé le long d’un mur semble crier à sa finition.

Sa vieille veste de mouton et son ample chapeau attendent encore son retour, mon frère Jean Pierre a décidé de s’accaparer ses reliques, Maman y consent, rien ne doit se perdre.

Je sens confusément que quelque chose va changer, je suis trop jeune pour bien comprendre mais je sais observer et écouter.

Maman parle à ses fillâtres, les trois aînés ne sont pas du même lit, me dit-on, l’expression n’est pas très claire pour moi mais disons que Papa a eu une femme avant Maman et qu’ils avaient eu chacun des enfants.

Clairement pour moi, cela ne change rien ce sont mes frères et sœurs, mais visiblement pour Maman la donne est différente.

Le lendemain l’oncle et les neveux sont venus à la maison avec un monsieur bien habillé que je n’avais jamais vu. Ils se sont assis à notre table avec le vin de papa et ont discuté. Maman n’a pas eu le droit d’assister à la réunion et elle a attendu dehors avec nous. Heureusement la chose s’est  passée rapidement car j’étais mort de froid.

Louis Fontaines devient tuteur des trois aînés, pour nous autres les petits, c’est Maman qui sera responsable de nous.

Je crois comprendre que Jean Pierre hérite de papa et que Maman ne récupérera que la valeur de sa dot, c’est bien obscur pour moi tout cela.

Maman est maintenant très ennuyée, au début tout le monde était là pour nous prêter assistance, maintenant l’aide s’estompe.

Les trois grands ont quitté la maison, j’ai l’impression que je ne vais plus les revoir beaucoup. J’aimais beaucoup Marie Catherine, elle était gentille, me cajolait sans cesse et surtout elle me laissait lui peigner ses très longs cheveux. Papa se moquait en me disant que j’étais une vraie fille.

Ils sont donc partis et Maman se retrouve seule pour garder Marie Victoire et Jean Baptiste. Nous n’étions déjà pas très riches lorsque Papa était là, malgré qu’il se tuait au travail . Mais maintenant la problématique n’est plus d’avoir une relative aisance mais simplement de manger.

La viande a disparu de la grosse marmite et seuls les raves et les choux nous sustentent un peu. Heureusement nous avons des poules et les œufs, mais en général Maman les réserve pour la vente.

Bon, quand la faim est trop pressante avec mon frère Louis, il nous arrive d’en gober en cachette.

J’observe ma mère à la dérobée, et je fais des paris à moi même, se remariera-t-elle ou pas?

Elle a quarante deux ans, c’est encore possible, moi je la trouve jolie, mais c’est Maman alors c’est normal. Elle aussi a de très long cheveux, mais les fils blancs qui parsèment sa sombre chevelure ne me conviennent guère. Je vous ai déjà parlé de sa poitrine, elle est grosse et en entendant les hommes du village et en premier lieu mon père je pense que les hommes aiment cela.

Évidemment pour moi elle est quand même très vieille et je trouve qu’après l’arrivée de mon petit frère, elle a beaucoup changé.

J’ai surpris une conversation de Maman avec une voisine où elle disait qu’elle ne voulait plus d’homme.

Cette dernière lui a répondu qu’il vaut mieux avoir un homme dans son lit que d’avoir le ventre vide.

En tout cas ma mère qui est originaire du village d’Hondevilliers aimerait y retourner. Moi je ne veux pas je suis bien à Sablonnières.

J’ai dix ans et je peux me rendre utile, j’entends par là que je peux au moins gagner de quoi manger, car vous vous doutez bien que je n’en tirerai pas de salaire.

Nous habitons au hameau de Montcel à Sablonnière et rapidement mon attirance vers les moutons me transforme en berger. Il y en a énormément, en fait dans chaque ferme. Pour sûr on ne me donne pas de grands troupeaux, quelques bêtes tout au plus. Cela me donne de l’importance, j’aime leur compagnie, leur odeur, leur chant et leur regard. J’aime aussi être dehors, le nez au vent, à contempler les nuages. C’est dur car quelques fois il faut beaucoup marcher, il faut aussi se lever à l’aube. C’est Maman qui nous réveille, toujours la première ; à mon frère et à moi elle s’efforce de nous glisser dans nos poches un petit supplément, un oignon, un quignon de pain, parfois un bout de fromage. Elle se prive pour nous, fait des doubles journées, il faut qu’elle tienne, car les deux petits ont besoin d’elle. Les restrictions et les efforts l’ont transfigurée, elle a aussi beaucoup maigri . Un soir elle nous annonce que nous allons déménager à Hondevilliers et plus précisément au hameau de Rousset.

Je vais devoir quitter mes tendres moutons, mais Maman me rassure par l’intermédiaire d’un cousin elle me fera obtenir la garde de quelques troupeaux.

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