Les hommes pour la plupart se remarièrent, les veuves se réfugièrent dans d’autres bras réconfortants et bientôt les enfants oublièrent le rire de leur mère et l’odeur de leur père.
La boisson me coupa toutes velléités de travail, je perdis les fruits de mes vignes. Le revenu de la vente de mon vin me manqua terriblement, l’année 1850 fut terrible je n’arrivais pas à joindre les deux bouts, on me traitait de feignant car ma vigne n’était plus entretenue.
Pour me sauver, pour m’aider on voulut me la racheter, plutôt crever oui.
Pour ce qui était de crever nous n’en étions pas loin, moi je vivais du mauvais vin de l’auberge et mon fils François était nourri chez sa tante. Pas comme un neveu non mais comme un chien à qui l’on jette un quignon de pain dur.
On se moquait de nous, de moi pour mon ivresse constante de ma crasse et de mon fils pour son air de vagabond poussé à la rue et se développant comme une mauvaise herbe. Le maitre d’école n’en voulut plus car je ne payais plus rien. François était aussi battu car soit disant il ramenait des puces et des poux. Il se défendait diablement et le maire m’en faisait reproche.
Cette année de détresse fut longue à passer mais enfin le temps fit son œuvre et péniblement je remontais la pente. La mairie nous avait classé comme indigents, cela me vexa, me cingla le visage, on m’aurait attaché au carcan que cela ne m’aurait pas plus anéanti.
Ce fut finalement ce qui me sauva.
Fin février 1851 l’un de mes voisins décéda, il s’appelait Charles Court, sa femme un matin frappa à ma porte , elle était comme folle, hirsute, à peine habillée d’un châle qu’elle avait jeté sur sa chemise de nuit. » Mon mari il est mort , il est mort, venez vite, vite. »
Je me précipitais à sa suite et pour mort il semblait bien mort. L’homme s’était écroulé de toute sa masse. Il s’était pissé dessus et de sa bouche sortait un filet de bave.
Ne sachant que faire l’éplorée se jeta dans mes bras en pleurant. Il faut bien dire que le contact de ce corps chaud, de ses larmes tièdes qui me mouillaient le cou m’émurent bien au delà de ce que la présence d’un cadavre aurait du m’autoriser.
Cela me fit fondre et comme un idiot je me mis à pleurer aussi.
Il fallut bien s’occuper du corps du défunt, je le portais dans le nid nuptial où sûrement la veille le couple s’était uni.
Le lendemain je suivais le cortège, peu de famille, je tentais de rester en arrière mais Marie Magdeleine tenant sa petite fille par la main me demanda de rester à coté d’elle.
Autant vous dire que tout le village parla du François Petit qui s’installait dans le nid d’un homme point encore enseveli .
Il faut dire que nous passâmes les jours suivant ensemble, elle avait besoin de ceci moi j’avais besoin de cela. On discutait de tout et de rien de notre vie, de nos peines. Elle m’avoua qu’elle n’avait pas d’argent pour payer son loyer et qu’elle allait être jetée dehors.
Sans que je réfléchisse, spontanément je lui proposais de s’installer chez moi. Elle me regarda surprise, puis sans un mot se jeta à mon cou.
Je n’avais aucune idée derrière la tête. Mon fils me regarda d’un drôle d’air quand je lui annonçais la nouvelle.
Ce fut d’un bel effet,une veuve de quinze jours âgée de 30 ans qui s’installait chez le veuf noir.
Encore une fois rien entre nous mais on ne peut empêcher les gens de jaser. J’étais un moins que rien et elle une pauvre fille, nous étions affublés d’un enfant chacun, bien que ma situation ce soit considérablement rétablie le maire nous nota tous deux comme indigents et de plus vivants en concubinage.
J’eus beau protester ainsi fut noté.
Il était aussi écris que je n’en n’avais pas encore fini avec le malheur. Mathilde la fille de Marie Magdeleine tomba malade au mois de mai 1851, le médecin diagnostiqua un refroidissement , la petite sur le bord du champs avait joué avec d’autres gamins, ils étaient trempés de sueur et le soir en rentrant alors que la température fléchissait elle avait du attraper froid.
Il n’empêche, elle eut une belle fièvre, sa gorge lui faisait mal, sa mère la coucha le long d’elle pour la réchauffer car elle tremblait mais aussi pour se rassurer.
Je me permis de rentrer dans la chambre pour m’assurer que tout allait bien, Marie Magdeleine me gratifia d’un sourire qui semblait vouloir dire que tout allait bien.
Rassuré je pouvais aller me coucher car le lendemain je devais mener des bœufs sur la lointaine La Rochelle.
A l’aube je fus surpris de ne pas voir apparaître ma locataire, elle avait en effet pris l’habitude de me faire réchauffer ma soupe le matin avant que je ne parte.
J’appelais doucement, rien, je pris ma chandelle pour aller voir si tout se passait bien. Marie Magdeleine allongée dans sa chemise de lin blanche ne bougeait pas, pétrifiée, le regard fixe comme une pierre de gisant. Sur son visage livide coulait de grosses larmes qui se répandaient le long de son cou puis sur ses épaules dénudées, certaines hésitaient puis allaient se perdre entre les vals de sa poitrine. Dans ses bras serrés ,sa fillette semblait dormir d’un profond sommeil. Les yeux clos, sa peau blanche de poupée de porcelaine était parsemée de fines veinules . Son teint diaphane me fit peur, un fantôme, une dame blanche non pas. Les cheveux mouillées par les pleurs de sa mère lui collaient sur le front, tout aussi immobiles que sa maman mais sans les larmes. Un fantôme ou une dame blanche , non pas mais une morte gamine qui s’en était allée dans les bras chauds de sa maman.
Je devais porter malchance, après mes enfants et mes femmes, mourait une petite que je recueillais en mon sein.
Merci de nous faire revivre cette terrible période à Saint sauveur. Mes ancêtres ont eu à en souffrir, la lecture fut poignante. Beaucoup de prénoms et patronymes sont dans ma généalogie puisque j ai une branche petit à Saint sauveur. Il faut que je compare. Bien cordialement et merci encore de leur rendre ce bel hommage
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