LA VIE TUMULTUEUSE DE VICTORINE TONDU, épisode 38, la fin du siècle

Les fêtes de fin d’année approchèrent, de religieuses qu’elles étaient au départ, elles étaient devenues nettement plus profanes, pour la première fois cette année nous accrocherions une branche de sapin à la mode des émigrés alsaciens et nous la décorerions de bouts de tissus.

Nous on allait encore à la messe de minuit et on se faisait un petit repas entre nous en rentrant. Le Charles allait à la messe que pour cette occasion, pour les mariages et les enterrements. Si je l’avais seulement écouté les enfants n’auraient même pas été baptisés.

Dans certaines familles aisées les parents offraient même des joujoux ou bien des fruits que l’on appelait orange, les nôtres étaient trop vieux et de toutes façons nos finances ne s’amélioraient guère avec le départ des enfants.

De plus je n’avais jamais goûté ce fruit et je crois qu’à Coulommiers on en trouverait certainement pas.

Pour le passage à la nouvelle année je reçus une carte de mon fils aîné , c’était la première fois qu’il m’envoyait une telle missive alors je l’ai accrochée au dessus de la cheminée à coté du miroir que Charles utilisait pour se raser.

Nous on avait pas d’argent pour se faire des cadeaux mais on se devait quand même de rendre des visites, moi je n’aimais guère et Charles le sauvage encore moins. Comme nous n’avions plus de parents, nous n’avions en fait que la visite chez nos employeurs. On arrivait bien poliment, mon mari plein de déférence avait la casquette à la main, bien le bonjour messieurs, dames, une bien bonne année. En retour un verre de cidre et quelques banalités sur le temps et les futures récoltes. Cela faisait un peu lèche cul mais bon.

Les enfants ce jour là nous rendaient visite avec leurs petits, nous les gardions à manger, c’était une occasion de se retrouver.

A oui j’ai oublié j’ai reçu également une carte de mon neveu, le fils de mon frère, architecte à Paris vous vous rendez compte, un col blanc dans la famille, là aussi direction la cheminée.

Bon ce n’est pas tout cela mais il faut que je vous parle enfin de ma fille Marie. Elle a maintenant vingt un ans, une beauté assez troublante, garçonne je dirais. Longue comme un jour sans pain,effilée comme un haricot vert , des jambes fuselées comme des couteaux,  un ventre plat comme la plaine de Brie et des seins à peine gros comme des pommes à cidre. Des hanches de gamine qui à mon avis ne pourrait jamais enfanter. De dos on eut dit un jeune conscrit.

Mais le tout vous retournait, vous enjôlait, vous hypnotisait, vous séduisait, cet air androgyne rendait fou les hommes et lors des bals ou des noces tous faisaient la roue pour obtenir une danse.

Son visage n’avait rien à envier à son corps, un sourire cristallin, des pommettes rouges et des yeux bleus azur vous subjuguaient et vous obligeaient à rendre les armes et à l’aimer.

Si elle se moquait du pucelage de ses frères c’est qu’elle avait jeté le sien depuis longtemps avec un ouvrier de la papeterie.

Un jour que bêtement je l’enjoignais de faire attention afin de ne pas anticiper l’arrivée d’un enfant et que le meilleur moyen était encore d’attendre le mariage pour avoir une aventure. Elle me rigola au nez et m’avoua qu’elle l’avait déjà fait avec plusieurs hommes et que je n’avais pas à m’en faire qu’elle maîtrisait la situation.

Maîtriser la situation pour qui me prenait elle, une gamine, une nonne ou une bourgeoise aux fesses serrées. Les bras m’en tombaient pour un peu, Marie se serait galvaudée d’une réputation de femme à homme dépassant de loin toutes mes expériences. Je crois de toutes façons que ma fille ne se doutait pas de ma propre expérience et bien heureusement d’ailleurs.

Donc sa vertu jetée aux orties, elle me chuchotât qu’elle était maintenant amoureuse d’un ouvrier nommé Henri.

J’étais à la fois contente et inquiète comme toutes les mères quand me le présentera t’ elle?

Le siècle était bientôt terminé, et j’avais donc cinq enfants mariés, et dix petits enfants, mon bonhomme était en bonne santé bien qu’un peu vieillissant.

Si il fallait faire un bilan de ma vie je dirais que j’étais presque aussi pauvre que dans ma jeunesse , mais la pauvreté il faut en convenir devenait moins dure. J’avais fait quelques bêtises et il faut malicieusement en rire , mon deuxième séjour en prison m’avait fait découvrir une partie inconnue de moi même. J’avais eu bon nombre d’amants et d’amantes et ces entorses au contrat de fidélité ne m’empêchaient pas d’aimer à ma façon mon rude botteleur. Je n’étais pas une mère parfaite, ni une épouse irréprochable.

J’avais une seule amie en la personne d’Hermance et cela suffisait à mon bonheur. Pour ce qui en est de ce chapitre j’avais eu des nouvelles de ma Marie, son époux l’avait un jour dérouillée et jetée toute nue sur la chaussée. Les gendarmes étaient intervenus, justice , divorce pour mauvaise conduite, elle avait perdu ses enfants et son foyer. Aux dernières nouvelles, elle était partie sur Paris, mais je n’augurais rien de bon pour cette pauvresse qui n’avait fait que suivre son penchant pour les gens du même sexe que le sien.

Maintenant que les enfants étaient grands j’avais plus de temps et je pouvais plus travailler, malgré ma répugnance pour la terre je m’y étais mise, mais je préférais sans conteste faire la lingère et la ménagère. Je trouvais facilement à m’employer, il y avait quelques propriétaires dans les belles maisons du village qui répugnaient à s’occuper de leurs culottes tachées.

Pour l’heure je préparais un repas, une magnifique volaille nous recevions à manger les parents d’Henri le galant de Marie. Les deux amoureux avaient tenu à tout faire dans les règles, des fleurs m’avaient même été portées. C’était la première fois qu’on m’en offrait, Marie jubilait, elle aussi humait son bouquet. Charles évidemment râlait en disant que c’était argent dépensé pour rien. Les parent Auguste et Clémentine arrivèrent avec leur fils, c’était pour nous une première que ces fiançailles en règle. Henri décidément prévenant avait offert un anneau à Marie. Le repas fut un peu coincé au début mais bon il faut dire que la mère Lépolard qui je le rappelle était de Coulommiers m’avait connue dans mes mauvais jours. Il fallut plus d’un verre pour que l’atmosphère se détende.

Pourquoi un tel cirque alors que le Henri il avait déjà boulotté la Marie.

Bien sur nous l’avions déjà vu et il avait fait sa demande dans les règles mais là c’était la première fois qu’il se mettait à la table avec nous et ses parents. Charles le fit asseoir à coté de lui, le pauvre coincé entre le vieux et mon turbulent Daniel n’en menait pas large. Les parents de Marie étaient assis à coté de Marie, une vive discussion s’engagea entre ces ouvriers rouges et mon fils Gustave un peu rétrograde qui en pinçait encore pour les gens des châteaux. Mon pain perdu départagea tout le monde et les hommes s’en allèrent boire un dernier coup au cabaret, moi j’allais me promener avec ma commère et avec Marie.

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