LA VIE TUMULTUEUSE DE VICTORINE TONDU, épisode 39, le crépuscule

En octobre 1899, je mariais donc ma seule fille, autant vous dire que cela faisait bizarre. Un garçon ce n’est pas pareil, il est sensé dominer son monde il est le chef de son ménage( en théorie), alors que pour sa petite on a le sentiment de la livrer au minotaure, de la mener au taureau si vous préférez.

Il n’y eut évidemment pas de contrat de mariage, forcément ils n’avaient rien, Marie n’avait pas un trousseau énorme car en sa jeunesse elle n’avait pas été passionnée par sa confection.

D’après ses propres termes ils allaient vivre d’amour et d’eau fraîche. C’est mon mari qui fier comme un paon conduisit sa fille à l’autel, je crus même percevoir une larmichette dans ses yeux de vieux bourru.

Victor avec sa famille était arrivé la veille par le train de Nogent sur Marne, Joseph avec sa femme firent le chemin à pieds de Beton Bazoche, il ne manqua que mon fils aîné qui gentiment par une lettre nous expliqua qu’il avait à faire avec son entreprise de vente de fourrage qu’il venait de fonder.

J’étais pas peu fière d’avoir un fils qui enfin tentait quelque chose. Mais pour sur ancien botteleur , il restait toujours dans la paille.

La noce fut traditionnelle servie par nous autres les femmes aidées toutefois par une pauvrette à qui on avait donné une pièce.

Contrairement à la noce de Joseph, je n’eus pas de chevalier servant et évidemment aucune escapade dans les taillis. Mes fils me firent bien un peu tournoyer, mais personne ne s’intéressa à moi en tant que femme.

Je ne me rendais peut être pas compte que j’étais entrée dans la vieillesse, alors que visuellement les hommes considéraient que j’y étais déjà entrée.

Tout cela ne fut rien par rapport au vide que laissa ma fille, elle nous charmait tous, nous enquiquinait tous, mais elle nous apportait une sorte de joie de vivre.

Comme une idiote j’ai chialé, heureusement mon amie est passée et nous avons bu un café en discutant du village et en médisant bien un peu.

Nous étions maintenant dans un autre siècle, le vingtième, que de progrès depuis ma naissance.

Nous avions maintenant le train qui raccourcissait les distances, dans les villes il y avait l’eau courante,  enfin chez les plus riches. Mais l’invention qui révolutionnait le plus était l’électricité, je ne savais pas comment cela marchait. Vous pensez bien qu’à Chailly en Brie ni même à Coulommiers ce n’était pas encore installé. Tourner un bouton de faïence pour avoir de la lumière cela tenait de la magie. D’autres choses encore, des voitures qui marchent toutes seules sans chevaux, des oiseaux de toiles et de bois qui volent dans les airs.

Je n’en n’avais jamais vu de ces inventions du diable, mais dans les journaux il y avait plein de dessins les illustrant.

Un jour un drôle de type est venu au village, il avait une boite avec un trépied, on est tous sortis de chez nous, que voulait il cet étranger? Gamins, vieux, ménagères, artisans voulurent en être car il s’avéra que c’était un photographe ambulant qui fixait les villages pour en faire des cartes postales.

Ce fut une sacrée affaire de mise en scène, un peu longue, mais pour être immortalisée un peu de patience était de mise.

Mes fils Daniel et Gustave sont allés à Paris à l’exposition universelle, ils furent stupéfaits, une grande roue de 70 mètres de haut qui permettait de voir tout Paris, un télescope géant pour voir les étoiles, une sorte d’appareil qui projette des images et qu’on nomme le cinéma des frères Lumière. Ils prirent aussi une sorte de train qui s’appelait le métro. Puis il y avait les pavillons étrangers, les nègres, les indiens , les asiatiques et des russes.

Mais ce qui les marqua le plus était la tour Eiffel, monstruosité en ferraille plus grande que la cathédrale Notre Dame héritée de l’exposition précédente.

Bon je crois que mes deux lascars furent aussi séduist par d’autres beautés, mais cela nous en reparlerons plus tard.

Moi l’aventureuse, celle qui voulait voyager pourquoi n’y ai je pas été moi même, certes Charles ne tenait pas à ce que j’y aille, mais j’aurais pu désobéir à mon seigneur et maître après tout je ne lui avais jamais obéi aveuglement. Je perdis donc la seule chance de voir toutes ces merveilles réunies.

En lieu et place de Paris, Chailly en Brie, en lieu et place du champs de Mars, le hameau de Saint Lazare, tout me paraissait mesquin et ridiculement petit. En lieu et place de la gare de l’est, la gare de la Bretonnière, en remplacement du Louvre, nous avions le château voisin et coulant négligemment le ru du Charcot faisait une piètre Seine.

Ma vie se faisait de plus en plus intriquée, il ne restait à la maison que ce diable de Daniel, bagarreur, grande gueule, il parlait de s’engager dans l’armée. Son père disait que c’était une bonne chance plutôt que  de se retrouver à Cayenne.

Car voyez vous perpétuant une tradition commencée par moi il passa par le tribunal correctionnel de Coulommiers pour outrage, il n’avait pas montré son cul mais c’était copieusement engueulé avec le garde champêtre , l’amende avait été salée et il n’était plus dans les petits papiers de la maréchaussée.

Gustave était maintenant au service, il était comme son frère Auguste à Orléans au 5ème commis.

Ma fille avait suivi son ouvrier d’usine et filait un parfait amour, entre mansarde et réunion syndicale, entre nuits d’amour et pain sec.

Je sentais confusément que j’entrais dans une période crépusculaire, le plus beau de ma vie était passé, mais quel bilan tirer de cela. Était ce ma vie de famille ou bien mes transgressions qui m’avaient apporté le plus de joie et de satisfaction? Je n’en savais rien, en ces années je me tournais doucement vers l’église, j’étais plus assidue à la messe, et je me mis à me confesser pour Pâques. C’était une redécouverte pour moi, mais dans le silence de confessionnal que devais je dire, que j’avais eu des amants mais c’était de l’histoire ancienne, enfin un peu, que j’avais par deux fois succombé au charme du corps d’une femme ça c’était entre ma conscience et moi et ne regardait pas notre Seigneur.

Mon mari me disait : pourquoi tu te comportes comme une vieille veuve, je ne suis pas encore mort.

Alors que dire, que j’avais médis au lavoir, que je m’étais moquée ou bien même cela ne portait pas à conséquence que je m’étais refusée au pauvre Charles. Deux, trois avé maria et deux trois pater et j’étais tranquille, il me semblait qu’il pouvait m’arriver n’importe quoi.

Je ne me considérais pas pour autant comme une grenouille de bénitier, mais je faisais œuvre de charité en m’ occupant de l’église, nettoyage, fleurs, changement des cierges.

Pour sur les mauvaises langues allaient bon train, une ancienne prisonnière qui fréquentait monsieur le curé. Ces mégères coincées du cotillons, si elles avaient su l’usage que j’avais fait de mon corps elles m’auraient interdit l’entrée du lieu saint.

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