LA VIE TUMULTUEUSE DE VICTORINE TONDU, épisode 32, la mort de Maman

En juillet la vieille tomba malade, apparemment et selon les dires du docteur de Coulommiers la gravité de la pathologie ne laissait rien présager de bon. En bref elle allait passer et il fallait que je prévienne mon frère. Je me fis un peu aider par l’institutrice de ma fille Marie Albisse, car si j’avais une belle écriture les subtilités de l’orthographe m’échappaient au fur et à mesure des années qui passaient. Il ne traîna pas mon tonnelier de frère, je le vis arriver un jour en carriole. Magnifique attelage, visiblement ses affaires étaient bonnes, vêtu comme les messieurs de la ville il ne ressemblait plus à ce sauvageon qui mendiait dans les rues de Provins. A ses cotés se tenait roide comme un croque mort un grand dadais, pantalon fuseau, redingote jaune, chapeau, gants et canne, nous nous serions crus au théâtre. C’était mon neveu Victor, il faisait des études d’architecte. Visiblement il eut comme une réticence à me biser, peut être l’odeur ou mon style vestimentaire.

Pour un peu ce couillon aurait serré la main de sa tante. En tous cas cela m’amusa de le voir patauger dans la gadoue avec ses souliers vernis.

Pour tout dire la Mère ne les reconnut même pas, le futur bourgeois crut défaillir tant l’odeur de l’antre de la mourante était prégnante. Si il est vrai, que la mort et la vieillesse ont une fragrance nauséabonde la démonstration en était faite dans la petite chambre qu’occupait ma mère.

Pourtant nous n’avions cesse ma fille et moi de la rendre digne à la vue, mais l’odeur des renvois et des défécations jointes à celles des esquarres, rendait la situation en ce mois de juillet torride presque intenable. L’artisan potelé serré dans sa belle tenue et le bourgeois infatué eurent beaucoup de mal à se soutenir devant la moribonde. Heureusement celle ci compatissante leurs fit grâce d’une trop longue attente et décéda dans la nuit. On expédia au plus vite les formalités car voyez vous pauvre ou bien riche , le corps d’un être aimé devient charogne et la chaleur moite de cet été torride aurait vite raison de l’enveloppe corporelle de ma digne Maman.

Le 24 juillet elle était en terre, un peu isolée en vrai car la première de la famille à mourir ici.

Il n’y eut pas grand monde à l’enterrement, elle n’était pas d’ici et n’avait comme seule connaissance mon mari et mes enfants et bien sur les fats de Villeneuve Saint Georges.

Je ne revis jamais mon frère ni bien sur mon neveu, un monde désormais nous séparait, il avait réussi en son métier et son fils portait de beaux habits avant de se faire un nom à Paris, moi je n’étais qu’une femme de paysan, mal attifée, pas très propre et déjà un peu vieillissante, mes enfants étaient tous botteleurs, portaient sabots et ceintures de flanelle. Un monde je vous dis.

La vie , ma vie s’accélérait, mes parents étaient morts, une barrière était franchie et il me semblait que maintenant mon tour pouvait venir à tout moment. J’exprimais mes craintes à Hermance et cette dernière me dit  »mais fonce ne laisse pas passer ta chance d’être aimé pour ce que tu es  ». Oui elle en avait de bonne, j’avais déjà fait des conneries, mes amants, la prison, mais prendre le risque d’être mise au banc de la société et de ma famille pour une légère inclination envers une femme il y avait un pas que j’avais quand même du mal à franchir.

J’étais au crépuscule de ma vie de femme, mon Charles n’avait plus la même régularité, le soir la fatigue accumulée dans la journée avait raison de ses forces. Il faut également dire qu’il aimait toujours autant, sinon plus, la rude ambiance masculine des cabarets , il était un habitué de tous.

Son amour de la dive bouteille commençait à marquer ses traits et il arborait un beau visage couperosé. Bref mon corps était prêt à de nouvelles aventures.

Ce ne fut pas aussi simple qu’on aurait pu le penser, l’objet de ma convoitise habitait au hameau de Champbretot. Je n’avais pas grand chose à faire par là, mais le hasard joua en ma faveur.

J’avais repris mon métier de blanchisseuse et la veuve Lantenois m’avait confié son linge. Après la buée je devais aller au lavoir pour le rinçage. Depuis quelques années la commune avait installé le lavoir communal à la Bretonnière sur le Morin. Faste et spacieux certes mais fort éloigné du bourg et des autres hameaux. A dire vrai c’était bien une décision prise par des bonhommes qui n’avaient jamais porté une brouette de linge. Avant cette décision funeste pour mes reins je rinçais mes hardes dans le ru du Coutant celui qui sortait de l’étang du vieux château. Maintenant sous peine d’amende vous n’aviez plus droit et croyez moi le père Bordereau il était bien zélé le salopard pour vous rédiger un procès. Plusieurs femmes avaient menacé de le foutre à l’eau et certains chasseurs lui auraient bien foutu un coup de plomb dans le cul.

Donc un jour je convergeais de Chailly et Marie venait de Champbretot. On engagea la conversation et fort tard dans la journée nous causions toujours. Bien sur nous fumes au dessus de tous soupçons, deux mères de famille avec leur battoir, les mains dans l’eau glacée. Au retour ma brouette versa et nous nous retrouvâmes à quatre pattes en train de ramasser mon linge. Attirance irrémédiable on se vola un tendre baiser. Ma vie bascula je n’avais de cesse d’en goûter plus.

Marie était coquette je le devins aussi, Charles qui me connaissait par cœur remarqua un changement en moi et me posa abruptement comme il en avait l’habitude une rude question. Pour quoi donc que tu te laves le cul comme une catin et que tu t’arroses d’eau de Cologne, tu as un galant?

J’étais vexée qu’il ose me faire cette remarque qui sous entendait que je ne me lavais guère. C’était absolument faux je faisais régulièrement ma grande toilette une fois par semaine. Hermance à ce sujet m’expliquait que maintenant dans les grandes villes l’eau arrivait dans les immeubles et pour les plus riches, arrivait directement dans les appartements. A Chailly en Brie c’était l’eau du puits et quelques fois elle n’était pas bien bonne. Pour dire que certaines bourgeoises se lavaient plus souvent qu’avant grâce à cette amélioration technique.

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