Le patron, lui de la merde il en vit et croyez moi plutôt bien. Tout ce que l’on récupère, lui il en fait commerce. Certains foutent la merde lui il la vend. Je ne connais pas exactement le procédé mais le Léon il a une usine à Paris, tous les jours des charretiers emmènent des tombereaux de merde. C’est mis dans des grandes cuves et on ajoute de la chaux. Le produit finit se nomme la poudrette, j’y suis allé une fois rue du dépotoir à la petite Villette, un vrai cauchemars pour l’odorat.
Le patron tellement il gagne bien, a pu se payer une jeunette , je l’ai vue une fois, pour sur j’en ferais bien mon affaire.
Le Favin il ne fait pas que dans la merde, il est aussi équarrisseur, rien de bien ragoutant mais l’argent n’a pas d’odeur.
Moi aux abattoirs j ‘ai jamais pu y mettre les pieds, je préfère encore mes fosses,l’argent n’a certes point d’odeur mais mon brave patron est nommé fabriquant d’engrais, ce qu’il est assurément. Cela fait mieux que entrepreneur en vidange pour se faire recevoir chez les notables de Provins.
Comme pour se rappeler que lui aussi il avait commencé avec des seaux, ce soir là il avait tenu à conduire le digne convoi. Il le faisait de temps à autre, point bégueule le chef.
Vider une fosse avait un prix et croyez moi le patron du café il avait attendu le dernier moment, la cuve était pleine et les émanations étaient suffocantes. La chaleur augmentait encore la pestilence, nous y étions habitués mais cette fois mon cœur tendait à se soulever.
Il faisait nuit noire, les rues étaient désertes, nous commençâmes notre triste labeur. Nous le faisions comme je l’ai dit, toujours lorsque le citoyen dormait, pour ne pas incommoder.
La noria commença, au début facile nous puisions à plein seaux dans les matières liquides. Ce n’était pas facile l’accès était étroit, les récipients s’entrechoquaient et nous nous en mettions partout.
Le Louis qui savait tout, me dit » le patron ne nous a pas fait désinfecter la fosse, il économise encore le sulfate de fer, nom de dieu c’est pourtant pas bien cher »
En effet il faut que je vous explique, ce que nous redoutions le plus n’était pas les odeurs mais les gaz, moins l’odeur était forte plus nous devions nous méfier. Ces vapeurs méphitiques portaient un nom compliqué ( Hydrogène sulfuré ), nous on les appelait mofette ou moufette.
Ces émanations étaient très dangereuses et souvent mortelles, le patron il avait obligation de mettre du sulfate de fer pour les combattre mais il s’en foutait et pour économiser se passait bien de cette protection obligatoire. Nous pauvres diables nous avions besoin d’argent., alors en dépit des règles et du danger on effectuait la sale besogne, si on refusait, on se faisait virer, un point c’est tout.
Au bout d’un moment nous ne sentions plus l’odeur caractéristique de l’œuf pourri, j’en fis la réflexion à Valéry. C’est parce que tu es saoul que tu sens rien me répond t’ il. Moi je sais bien ce que je dis et je commence à être un peu oppressé. Je connais bien ce phénomène cela m’est arrivé il y a quelques semaines, un poids sur la poitrine, comme une chape de plomb, je commençais même à pousser des cris involontaires et à rire bizarrement. Quand ils avaient vu cela les autres m’avaient sorti, je poussais le chant du plomb.
Nous n’en étions pas là, Valéry en professionnel aguerri me dit cela pue trop pour que cela soit dangereux. Bon alors si il le dit.
Il nous fallait descendre maintenant dans la fosse, les matières devenaient solides, nous remplissions nos tinettes et la vase était bien brassée. Je remonte et sors à la rue pour vider mon contenant, Louis se fume une pipe car le patron est parti au dépôt pour vider une première tournée.
Je m’en retourne à la fosse et je n’entends plus Valéry, je gueule, il ne répond pas. C’est alors que je le vois, écroulé inerte dans la merde. J’appelle aux secours et je commence à descendre pour aller le récupérer.
Mais témérité , folie, la tête me tourne, ma poitrine me brûle, je m’enfonce dans le néant, je coule dans les rebuts humains. C’est chaud, humide, cela un drôle de goût, pas si mauvais, je vois ma petite bergère. J’arrive à me ressaisir et je m’extirpe de la gangue merdeuse, je n’ai pas réussi à remonter Valéry il faut que j’y retourne, ma faculté de penser est un peu trouble, j’ai mal à la poitrine.
Les autres ne sont toujours pas là , que fait Louis?
Je redescends, mû par une force invisible, je patauge à la recherche de mon compagnon, je le saisis mais il est trop lourd, malgré tout sa tête n’est plus dans la vase il ne se noiera pas.
Moi maintenant je perds pied, je m’affaisse sur moi même, au loin j’entends des voix. Je crois percevoir celle de Léon Favin mon patron, à moins que cela ne soit Louis.
Puis plus rien, seulement une légère brise au dessus de moi. Serais je sorti de la fosse plombée?
C’est Léon Favin qui de retour de son dépôt avec sa voiture s’élança dans la fosse pour récupérer ses deux ouvriers. Louis Mauguet l’aida à installer les deux hommes dans la rue et dans le corridor du café.
Nous étions rue du Val et Léon savait y trouver le docteur Rondeau, il le fit appeler et ce dernier rapidement accouru porta secours aux deux infortunés
C’est un praticien expérimenté de 31 ans, il voit immédiatement l’état gravissime des deux hommes.
Curieusement c’est Valéry Degrelle qui semble se remettre le mieux, malgré que cela soit lui le premier à avoir ressenti les effets de l’hydrogène sulfuré. En tout cas même si son état est inquiétant il a repris conscience.
Le pharmacien Jules Cordier réveillé par le bruit à quitter le nid douillet de son intérieur et est venu porter aide et assistance, il se penche sur Victor allongé sur le trottoir de la rue du Val face au café de l’hôtel de ville.
L’ouvrier est inconscient, parfois il râle, mais est toujours vivant. Les soins prodigués par le docteur et le pharmacien ne suffisent pas. On hisse les deux hommes sur la charrette de Favin et on file à l’hôtel dieu aussi vite que les chevaux le permettent, il y a maintenant attroupement, des femmes en chemise, des hommes à peine habillés jacassent sans rien savoir. Louis Mauguet fait son important et relate les faits. Son action au vrai fut minime car c’est son patron qui est descendu dans la fosse pour sortir les deux hommes moribonds.
L’hôpital n’est pas très loin, les sœurs réceptionnent les accidentés et l’on réveille le docteur Raphaël.
Rapidement l’on sort Degrelle de sa torpeur, il est sauvé, il pue, les infirmières le déshabillent et le lavent.
Par contre le Victor Calu aucun soin ne le sort de sa léthargie, le lendemain matin le médecin constate le décès.
Mort à 19 ans parce que son patron faisant fi de toutes les recommandations n’avait pas fait désinfecter la fosse d’aisance du café de l’hôtel de Ville et n’avait pas fourni de ceintures pour remonter plus vite.
Cet empoisonnement par les gaz était appelé par les vidangeurs le chant du plomb, à cause de la sensation d’étouffement et d’oppression. Lorsque ceux qui en étaient atteints poussaient des cris involontaires l’on disait qu’ils chantaient le plomb.
Léon Favin fut condamné à l’audience du tribunal correctionnel de Provins du 22 mai 1867 à une amende de 50 francs il dut payer 100 francs de dommages et intérêts à Magloire Calu le père de Victor.
Pour avoir économisé quelques francs Léon Favin a mis en danger ses ouvriers.
Le jeune Calu n’était certes pas un bon élément et les médecins sous entendirent que si il n’avait pas été ivre sa vie ne se serait pas arrêtée tragiquement dans cette fosse à merde d’un café de la ville de Provins.
Métier bien vil, mais nécessaire, les vidangeurs comme maintenant les éboueurs ne devraient susciter qu’admiration en lieu et place du mépris qu’on leur témoigne.
Reprenons donc une nouvelle histoire…..
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Non pas encore, juste des petites histoires courtes, mais patience
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Bravo pour votre récit si juste et si vrai. Vous savez écrire et je vois la scène. À cette époque la vie des petites gens ne comptait pas beaucoup. Merci
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