1919 – 1921, la Cossonnière commun de la Chapelle Achard
Ernestine Guerin épouse de Jean Marie Proust
Enfin il était là, sur la commune,
Quarante cinq n’étaient pas revenus sur les trois cent quarante cinq qui avaient été mobilisés sur l’ensemble de la guerre . Mais n’allez pas croire que ceux qui revinrent en sortir indemnes, Jean Marie ne serait jamais plus comme avant. Il devint sombre, taciturne et il garda la mauvaise habitude de boire du vin et de trop fumer. Alexandre son frère fit des cauchemars pendant de long mois, nous l’entendions hurler.
A la Gendronnière mes parents se remettaient difficilement de la mort de mon frère, maman se drapa dans un deuil qu’elle garda jusqu’à sa mort.
Tous reprirent place à la ferme mais mon dieu que ce fut dur, mon beau père qui avait géré la ferme seul pendant que ses deux fils se battaient n’accepta que difficilement que ceux ci s’immiscent de nouveau dans la gestion de la métairie. D’autant que le caractère des deux hommes s’était affermi et qu’ils n’étaient pas à prendre avec des pincettes. M’est d’avis que cela ne durera point.
Moi j’étais de nouveau enceinte et nous attendions ma délivrance pour le début d’année 1921.
A la Cossonnière il y avait donc nous, les enfants et Alexandre avec sa femme et son fils. Nous avions comme voisin Auguste Ferré le frère de mon beau père il vivait avec sa nouvelle épouse Justine Daniaud et le fils de cette dernière le Joseph Thomazeau ainsi que Marguerite la fille d’Auguste.
Il y avait aussi le frère de ma mère Auguste Cloutour, il venait de perdre sa femme et se retrouvait veuf avec encore trois grands enfants au foyer.
La Cossonnière était donc très familiale, nous allions les uns chez les autres et bien sur on s’entraidait pour les gros travaux. J’aimais cet univers, mais une inquiétude me tenaillait, Jean Marie et mon beau frère Auguste Raffin n’arrêtaient pas de parler d’un départ éventuel dans les département du sud ouest. Tous y allaient, la terre était meilleure, les baux de fermage plus avantageux, la météo plus clémente. De plus de nombreux vendéens étaient déjà partis et personne n’était revenu.
Certains notaires s’étaient un peu spécialisés dans le recrutement de bras en Vendée et les contrats signés étaient très favorables. C’était en quelques sortes le chant des sirènes. Avec ma sœur on freina des quatre pieds et les hommes n’en parlèrent plus du moins devant nous.
En février 1921 mon petit Denis arriva, cinq enfants faisaient largement mon affaire, le Jean Marie il faudrait bien qu’il saute un peu en marche.
La principale question que se posaient mes parents était le sort qui serait réservé à Gustave, où irait il et comment se débrouillerait il. Certes le frère il était pas très futé, de toute façon moi je n’en voulais pas chez nous. Je l’aimais bien oui mais de la à m’en occuper, prions pour que mes parents vivent encore longtemps.
Ma sœur Elisabeth était maintenant mariée avec un journalier répondant au jolie prénom de Calixe, il vivait au Puy Gaudin chez les parents Piffeteau, elle avait eu une petite fille que je portais sur les fonds baptismaux. Angèle la petite dernière se maria également en 1920 à Saint Mathurin où elle était servante de ferme. Nous étions tous appareillés et ma mère en était très fière.
Sauf les deux dernier trop jeunes, ma petite troupe allait à l’école communale, les enfants travaillaient bien sur encore avec nous mais sûrement moins durement que nous autres. Dans la mesure du possible je n’envisageais pas de les placer comme servantes ou valets.
1928, la Cossonnière commun de la Chapelle Achard
Jean Marie Proust époux de Ernestine Guerin.
C’en était trop de la vie en commun et surtout du travail avec mon père. Nos engueulades prenaient des proportions importantes et si nous n’avions pas été père et fils nous nous serions battus. Il était rétrograde sur tout et pour peu on aurait cultivé nos terres comme au moyen age.
De plus les améliorations techniques avaient fait qu’il fallait moins de main d’œuvre, la Cossonnière n’était pas extensible et nous nourrissait que chichement je pris donc la décision de partir du pays .
J’avais entendu dire que dans le département de Charente on manquait de bras . Par l’intermédiaire d’un notaire de la Mothe Achard je pris donc contact avec un propriétaire Charentais qui s’appelait monsieur Pougnaud.
Un accord fut possible mais je préférais aller voir sur place de quoi il retournait. Je me rendis donc avec mon beau frère Raffin dans le petit village de Coulonges en Charente, lui aussi projetait de quitter la Vendée. On revint enthousiastes de notre voyage la métairie qu’on nous avait présentée sans être très grande pouvait aisément faire vivre ma famille. Il me restait à convaincre Ernestine ma femme et Ernestine ma fille. Eh oui cette dernière malgré son jeune age s’était entichée d’un travailleur agricole qui se nommait René Martineau. La parole des femmes comptait maintenant dans la gestion d’une exploitation et nous ne pouvions envisager de partir si l’un de nous n’était pas d’accord. Ce fut donc opération séduction et je lui décrivis avec passion ce que j’avais vu la bas.
Finalement elle se laissa convaincre et nous organisâmes notre départ. Ernestine n’avait jamais voyagé et elle était apeurée , de plus abandonner sa famille lui fendait le cœur, heureusement sa sœur Marie avec sa famille allaient partir aussi mais sans toute fois être exactement au même endroit car eux partaient en Charente inférieure.
Nous partîmes un beau matin en abandonnant la Cossonnière et la Chapelle Achard, nous savions bien que ce voyage serait sans retour.
Les enfants étaient excités par l’idée de prendre le train sauf Ernestine qui boudait son galant.
Je me vois arriver avec nos maigres bagages sur une hauteur où nous vîmes pour la première fois la bâtisse de la Malbatie. Une grande maison sur deux étages, un grand terrain verdoyant avec des arbres et le fleuve Charente qui coule avec paresse presque au bout de l’exploitation. Partout des bosses et des petits vallons, la ferme est éloignée du village de Coulonges de quelques kilomètres. Ce petit bourg rural situé sur une hauteur d’une petite colline est blotti autour de son église. Des vendéens se sont déjà installés ici, nous y serons heureux.
Le propriétaire nous accueillit et on s’installa, Ernestine en un premier geste symbolique posa son assignat sur le manteau de la cheminée. Faisant suite à son geste je fouillais ma veste et j’en sortis un papier un peu froissé. Moi aussi je gardais précieusement un billet révolutionnaire issu du trésor de nos ancêtres, il alla rejoindre celui de ma femme.
Ce précieux témoignage m’avait porté chance à la guerre et cet exvoto déposé comme une offrande sur la cheminée nous assurerait le bonheur.
Le bonheur de cultiver la terre et d’en vivre ce qui était somme toute le vrai trésor des Vendéens.
Avant la révolution française le Nord des Charentes et le département de Vendée faisaient partie du Poitou, et ne devaient guère différer culturellement.
Le trésor des Vendéens c’est un peu le même que celui des Juifs : avoir survécu culturellement au massacres.
Merci de votre constance .
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