MARIE ET LA GALIPAUDE

 

La nuit était à peine tombée sur le petit hameau de la Roulière. Seule une légère brise subsistait à la tempête qui s’était abattue les jours précédents sur la commune de Benon. Les feuilles des saules qui surlignaient le cours linéaire du petit ruisseau bruissaient faiblement. Simple filet d’eau au cours tranquille, il était gonflé ces jours par les pluies diluviennes qui s’étaient abattues sur la région. Un épais brouillard se levait engloutissant les masures de pierre. Les toits en chaume, écrasés par la masse blanche se confondaient  avec les ramures des arbres.

L’ombre tutélaire des ailes des trois moulins qui montaient la garde sur le chemin qui menait au bourg principal de Benon, s’étendait inquiétante sur les demeures et les âmes.

Dans les maisons à l’intérieur, des lit clos, chacun dormait du sommeil du juste, dans les cheminées les dernières braises finissaient de rougeoyer. Les devoirs conjugaux avaient été remplis et les travaux d’hiver avaient eu raison des plus forts, tous se reposaient en vue de la journée du lendemain.

Tous ou presque car Marie , immobile dans son lit feignait de dormir, comme de coutume elle s’était déshabillée et glissée derrière les gros rideaux de courtil de son lit. Dans la pièce principale ses parents ronflaient en cœur, un petit sifflement pour Madame et un corps de baryton pour Monsieur.

Marie se glissa à l’extérieur de son lit , prit ses vêtements et sa paire de sabots. Sur la pointe des pieds elle traversa inquiète la grande salle et souleva la gâche de la porte. Le grincement des gonds lui fit monter en flèche les battements de son cœur et il lui semblait qu’on allait les entendre au moins jusqu’au Gué d’Alleré. Dehors elle  fut saisie par le froid, elle se vêtit bien vite et se mît en route.

Ses sabots s’enfonçaient dans la boue, le chemin de Benon à Bouhet n’était qu’une succession d’ornières remplies d’eau. Elle s’engagea sur le chemin qui menait à Blameré par le fief aux loups et par la forêt. L’endroit était fort inquiétant, il faisait froid, humide et la ouate qui engloutissait tout de son gros manteau accentuait la peur de Marie. Le moindre bruit la faisait tressaillir, dernièrement des loups étaient réapparus et une battue paysanne était en préparation pour en finir avec la bête du mal.

Malgré l’obscurité il ne lui fallut que quelques minutes pour se rendre au chais de Bel Air, au vrai elle connaissait le chemin par cœur et même les yeux bandés elle aurait su s’y rendre.

Elle toqua le long de la grosse porte en bois et cette dernière s’ouvrit aussitôt, à la clarté d’une chandelle l’attendait Pierre son galant.

En dépit des loups, des animaux fantastiques et des êtres maléfiques qui peuplaient la campagne et la forêt, Marie chaque soir vainquait sa peur pour se blottir dans les bras de son amoureux. Faisant fi des convenances, des us et coutumes, telle une catin des villes elle s’offrait toutes les nuits à l’amour.

Ils s’enlacèrent et leur bouches se joignirent, la paille fut leur couche et leurs étreintes endiablées leurs firent oublier la froidure. Après mille et un assaut les deux amants sans force s’endormirent.

A l’aube un bruit les réveilla, sorte de râle animal, des cris stridents les surprirent, Pierre se leva d’un bon et sortit dans la nuit, il fit le tour du chais mais rien ne se révéla à sa vue, rassuré il rejoignit sa belle. Sûrement une chouette ou un animal diurne qui avant le jour regagnait son gîte.

De toute façon il était l’heure de se séparer, un dernier baiser et Pierre partit en direction de la ferme de Linoizeau où il était gagé et Marie reprit le chemin de la Roulière.

A mi chemin au lieu des Galipaudes une grande haie masquait la vue des premières maisons du hameau, Marie n’en menait pas large. Un cri strident déchira soudain les ténèbres, un fantôme, une créature, ou une bête avait surgit et s’était juchée sur les épaules de Marie. Elle hurla et se débattit, l’être maléfique s’accrochait à elle, plantant ses griffes, elle courut en gesticulant, perdit son fichu et son tablier.

La bête finit par lâcher prise et s’enfuit vers la Motte aux loups.

Marie folle de peur, terrorisée continua de courir en hurlant, rien ne put arrêter cette fuite éperdue, ni buissons, ni ruisseaux, ni fossés, poursuivant en courant sa troublante farandole elle se dirigea vers l’Abbaye de Benon.

Pierre qui avait entendu les hurlements de Marie avait fait le chemin inverse mais n’avait rien vu, inquiet qu’ il était, il dut  quand même rentrer à la ferme pour y commencer la première traite.

Chez Marie aussi l’inquiétude grandissait, au réveil elle n’était pas dans son lit et dans le village on ne la trouva point. Tous les habitants du hameau avaient été réveillés par des cris et tous se répandaient en conjectures. Les plus vieilles vinrent rapidement à dire que le cri venait des Galipaudes présentes dans le village depuis des temps immémoriaux. Les hommes haussèrent les épaules mais prirent pour rechercher Marie leur fusil de chasse, on ne savait jamais la part de vérité dans les contes de bonnes femmes.

Évidement le bruit se répandit rapidement que la petite Marie courait la Ganipote, les parents en furent outragés car cela revenait à dire que leur petite fille s’en allait rejoindre un galant pour non pas cueillir des fleurs mais plutôt pour offrir la sienne.

Un pauvre journalier qui n’était point du coin ricana de savoir qu’un être mi homme, mi loup garou puisse attaquer une jeune fille. Mais tous au fond d’eux même savaient . Était ce un sorcier, l’âme d’une personne victime d’un sortilège qui se transforme en Loup Garou, était ce l’âme d’un enfant non baptisé ou bien celle d’un enfant de prêtre ,quel persistant mystère.

La seule chance de s’en délivrer serait de la capturer et de lui faire avouer son nom, ainsi elle serait délivrée de son maléfice. Cela ne sera point aisé, la battue continua quelques heures mais il fallut se rendre à l’évidence, pas de Marie ni de Galipaude. La bête était réputée pour s’accrocher avec ses griffes sur le dos de sa victime, quand on trouvera l’un on trouvera l’autre.

Deux jours passèrent, Marie ne réapparut pas en sa demeure, son père et ses proches continuèrent les recherches mais ce fut le régisseur de l’abbaye de la Grâce Dieu qui trouva la belle, noyée dans la fontaine miraculeuse. Son corps à moitié nu laissait apparaître ses beaux seins blancs, des griffures la striaient en de multiples endroits, son visage était révulsé, de la bave sortait de sa bouche et ses yeux tournés semblaient être emplis de terreur.

C’était évident, la Galinote était responsable, la terreur s’abattit sur la contrée, irrationnel venue du fond des temps. Plus personne ne sortait seul en la campagne nocturne à l’exception des deux drôles du moulin du jard.

En effet les deux compères qui avaient eu vent des virées nocturnes de la belle Marie qu’ils courtisaient avec avidité avaient monté cette farce. L’un s’était drapé d’un drap blanc et avait bondi sur le dos de Marie en hurlant.

Sans la terreur qui avait rendue folle la pauvre petite, la pièce eut pu être drôle, les deux vilains ne se vantèrent pas de leur exploit.

On inhuma la Petite, Pierre se trouva une autre galante, les deux drôles firent contrition et les galipaudes continuèrent à battre la campagne.

Méfiez vous promeneurs ou jeunes filles pas sages, certains soirs en ce troisième millénaire au lieu dit la Galipaude sur le vieux chemin de Blameré en la commune de Benon, département de Charente Maritime un être mi homme mi loup pourrait  encore se jeter sur votre dos et vous  conduire dans sa tanière de la Motte au loup.

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