Assis hiératique sur un banc, un vieil homme perdu dans ses pensées semble observer le paysage. Figé dans une immobilité inquiétante l’homme ressemble à un arbre séculaire. Seuls les yeux qui scintillent, témoignent encore d’une vie dans ce vieux corps noueux comme un cep de vigne du Cognaçais. Son visage est tracé de rides profondes, sa moustache grise est jaunie par l’usage du tabac, de sa bouche depuis longtemps édentée surgit parfois un sourire.
Son vieux chapeau le protège du soleil et de la pluie, été comme hiver il porte les mêmes vêtements de drap de laine. Ses deux mains, parcheminées, sillonnées de grosses veines bleues reposent sur le bâton qui lui sert de canne.
Jean Blanchard comme il se nomme sort chaque jour de sa maison serpente dans les venelles du vieux village et va prendre position sur son banc, en chemin les chapeaux se lèvent, des mains se tendent, les femmes respectueuses le saluent d’un mouvement de tête, les enfants nullement effrayés lui donnent du bonjour » père Blanchard ». Il est l’aîné du village, le sage , la mémoire vivante.
Saint Simon hier
Au vrai ceux qui le respecteraient le moins seraient plutôt les membres de sa famille, il demeure chez sa petite fille Marie Blanchard épouse Dubois. Il a le gîte et le couvert, des chemises propres, il serait bien si ses deux arrières petit enfants étaient un peu moins turbulents.
A ses pieds s’écoule tranquille le fleuve Charente, cette eau verte et claire est plus que de l’eau qui s’écoule, elle est son sang.Tous les jours de sa longue vie il les a passés à coté d’elle, s’en abreuvant, il en connaît les moindres détours, chaque arbre qui la borde lui est familier. Il pressent ses réactions, ressent ses sauts d’humeur et tel un goutteur de parfum en hume toutes les odeurs.
De son banc le vieillard cacochyme observe également avec attention des ouvriers qui s’activent sur les bords du quai.
Un squelette en bois se dresse, des hommes aux gestes surs s’affairent, il connaît tous ses ouvriers, la plus part on le même sang que lui dans les veines. Dans ce village de Charente nommé Saint Simon l’activité principale est la construction de gabares charentaises, de nombreux chantiers parsèment les quais. Les charpentiers de gabares y sont légion, Jean Blanchard était autrefois l’un d’entre eux. Ceux qui ne sont pas charpentiers, sont maîtres de gabare ou employés comme marins à leur bord. Le cours de la Charente semble être peuplé des habitants du village, on dit qu’un tiers des embarcations tirant sur le fleuve est enregistré au village.
Dans ce village chacun est cousin, neveu, frère ou fils, l’endogamie professionnelle y est très forte et les lignées de marins ou de charpentiers de gabares se succèdent sur les bords du fleuve éternel. Au 12ème siècle déjà des charpentiers travaillaient à Saint Simon et Jean,malicieux faisait croire à son fils crédule que la vieille pierre sculptée symbole du village représentait un » Blanchard ». La famille de Jean ne faisait pas exception au phénomène bien que sa petite fille Marie fut mariée à un boucher.
Les gabares que Jean saluait en levant sa canne était le moteur économique de la région, chargées de vin, de bois, elles descendaient aidées par le courant jusqu’à Rochefort et Tonnay Charente. Celles construites à Saint Simon l’étaient à franc bord puis calfatées, elles pouvaient porter gréement. Souvent halées, soient par des animaux soient par des hommes ( souvent des femmes à Saint Simon ), elles remontaient le courant chargées du sel, venu des marais salant des environs de Rochefort.
Jean avait abandonné le travail depuis bien longtemps, mais ces coques de bois le rendait nostalgique de sa vie passée.
Nous étions au crépuscule du second empire, Jean était né sous le règne du bien aimé Louis XV en 1770, il avait connu bon nombre de changements, mais lui inexorablement avait poursuivi son labeur de charpentier, l’odeur du bois, les gestes ancestraux et puis l’amour de sa vie, la belle Charente. Âgé de 96 il savait qu’il devait partir au paradis des mariniers, son fils et sa femme étaient morts depuis longtemps, même si sa petite fille était adorable il savait qu’il gênait, il avait fait son temps. Son petit fils Pierre avait perpétué la tradition familiale en devenant marin, mais signe des temps il était devenu plus tard receveur buraliste. Il n’en revenait pas un Blanchard qui ne travaillait plus sur les bords de la Charente, non décidément il était grand temps.
Mais Jean eut le bonheur de partir avant les changements qui l’auraient à coup sur brisé. A voir toutes ces gabares voguer sur le fleuve, il ne pouvait imaginer qu’un concurrent allait tuer la navigation fluviale. La ligne de chemin de fer entre Cognac et Angoulême fut ouverte en 1867, c’était la chronique d’une mort annoncée pour la batellerie. Puis vint le coup de grâce avec le transport routier. Les belles gabares cessèrent de glisser sur l’eau et depuis Jean se retourne sans cesse dans sa tombe.
Saint Simon aujourd’hui
Ce texte est écrit pour Maël mon petit fils, qui a un peu de sang de marinier qui lui coule dans les veines et qui un jour peut être voguera sur les ondes vertes du beau fleuve qui a nourri ses racines familiales.
Gabare de saint Simon reconstitution
ARBRE SIMPLIFIE
Pierre Blanchard dit Caillias 1737 – 1820, marin sur gabare
Jean Blanchard 1770 – 1866, charpentier de Gabare
Pierre Blanchard 1807 – 1855, marin sur gabare
Marie Blanchard 1832 – 1876
Géronime Dubois 1855
Jeanne Fougeret 1885
Édith Aubinaud 1909 – 2000
Albert Maurin
Nicole Maurin
Émilie Vaillant
Maël Chabot
NOTA : lien sur Saint Simon https://www.village-gabarrier.fr/visites-et-decouverte/village-de-saint-simon-en-charente/historique-du-village-gabarrier-de-saint-simon
Très beaux texte
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